Droit des affaires

  • Limite à la présomption de solidarité en matière commerciale

     

    (Cass. com.; 24 janvier 2024, n°20-13.755)

     

    Le 24 janvier 2024, la Cour de cassation a rendu un arrêt précisant le mécanisme de la présomption de solidarité commerciale lors d’une cession de contrôle.

     

    Dans cette affaire, quatre associés détenaient l’intégralité des 7000 parts d’une société. Le 4 juillet 2011, ils ont transmis 6930 parts sociales à une société espagnole à travers quatre actes distincts. Cette opération a conduit à la prise de contrôle de la société cédée par la société cessionnaire. Le même jour, dans un cinquième acte, l’un des cédants a cédé les 70 parts restantes de la société cédée au dirigeant de la société cessionnaire. Chacun de ces actes de cession était assorti d’une garantie de passif1.

     

    Le 29 juillet 2015, la société cessionnaire et son dirigeant ont assigné les cédants afin de mettre en œuvre cette garantie pour un passif non déclaré et antérieur à la cession.

     

    Par une décision du 19 décembre 2019, la Cour d’appel de Lyon2 a condamné solidairement les cédants à verser une certaine somme à la société cessionnaire ainsi qu’à son dirigeant. Selon les juges du fond, la cession revêtait indiscutablement un caractère commercial. Les cédants sont alors présumés solidaires, ce qui permet également au dirigeant de se prévaloir de cette solidarité. Les cédants se pourvoient alors en cassation.

     

    La Cour de cassation censure l’arrêt attaqué pour violation de l’article 1202 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 20163. Elle retient que le dirigeant de la société cessionnaire n’avait acquis de parts que de l’un des cédants, de sorte que la solidarité dont bénéficie la société cessionnaire envers l’ensemble des cédants ne peut produire d’effet à l’égard du dirigeant.

     

    Par principe, la solidarité ne se présume pas. Par dérogation à l’article 1310 du Code civil, la Cour de cassation a depuis longtemps admis une exception à cette règle en matière de solidarité commerciale4. Par ailleurs, bien que la cession d’actions ou de parts sociales soit un acte civil, la Cour de cassation a établi que la cession de contrôle revêt un caractère commercial5. Ainsi, la solidarité est présumée entre les cédants lors d’une cession de contrôle.

     

    Récemment, dans un arrêt rendu le 30 août 20236, la Cour de cassation a apporté des précisions sur ces règles coutumières en retenant la solidarité d’obligations nées de contrats distincts dès lors que celles-ci ont été contractées dans un même but, celui d’une cession de contrôle.

     

    Dans l’arrêt, objet de notre commentaire, la Cour de cassation soutient que la solidarité bénéficie à la société cessionnaire envers l’ensemble des cédants. En effet, chaque associé avait cédé ses parts à la société cessionnaire par acte distinct, et chacun de ces actes contenait une clause de garantie de passif. Bien que les obligations des cédants aient été issues de contrats distincts, elles avaient le même effet : la prise de contrôle de la société.

     

    Seuls les quatre actes de cession emportaient transfert du contrôle de la société. Le dirigeant n’a acquis que 70 parts, devenant associé ultra-minoritaire. Cette cession ne présente pas de caractère commercial car elle ne constitue pas une cession de contrôle. En conséquence, les cédants ne sont pas solidairement tenus envers le dirigeant.

     

    L’enseignement de la Cour de cassation est clair : la solidarité est présumée en cas de cession de contrôle, mais seules les obligations nées de conventions ayant pour effet le transfert du contrôle sont solidaires.

     

    Eva THEBAULT.

     

     

     

     

     

    SOURCES :

    - P. CATHALO, Cession de droits sociaux : absence de solidarité entre cédants, le Quotidien, Lexbase, février 2024. Disponible sur Cession de droits sociaux : absence de solidarité entre cédants | Lexbase

    - P. GAIARDO, Précisions sur la solidarité commerciales en cas de cession de contrôle, Dalloz Actualité, 8 février 2024. Disponible sur Précisions sur la solidarité commerciale en cas de cession de contrôle - Affaires | Dalloz Actualité (dalloz-actualite.fr)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    1 Selon T. ALLAIN, il s'agit des clauses obligeant le cédant (garant) à garantir le cessionnaire (garanti) de la diminution de la valeur des actions résultant de la sous-évaluation du passif de la société dont les droits sociaux ont été cédés.

    2 CA Lyon 19 décembre 2019 n°17/04509

    3 Aux termes de ce texte, la solidarité ne se présume pas ; il faut qu'elle soit expressément stipulée. Cette règle ne cesse que dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit, en vertu d'une disposition de la loi.

    4 Req 20 oct 1920

    5 Com 28 nov 1978 n°77-12.609

    6 Com. 30 août 2023 n°22-10.433

  • Les droits sociaux nés postérieurement à la dissolution de la communauté universelle échappent à la qualification de recel de communauté.

    (Civ. 1re., 17 janv. 2024, n°22-11.303)

    Par un arrêt de cassation en date du 17 janvier 2023, publié au bulletin, la première chambre civile de la Cour de cassation apporte des éclaircissements sur l'articulation entre les principes du droit patrimonial de la famille et les règles en droit des sociétés.

    En l’espèce, un époux en instance de divorce, marié sous le régime de la communauté universelle, a déposé le 30 janvier 2012 une somme présumée commune sur un compte ouvert au nom d’une société civile immobilière en formation, correspondant, selon les statuts de la société, au montant de l’apport au capital social. La société a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 29 février 2012. Le divorce du couple a été prononcé par un jugement le 21 janvier 2013, lequel a homologué l’état liquidatif fixant la date des effets du divorce entre les époux concernant leurs biens au 27 février 2012.

    L'ex-épouse assigne son ex-époux en recel de communauté portant sur les parts sociales acquises par ce dernier au moyen de fonds présumés communs.

    Par un arrêt du 27 janvier 2022, la Cour d’appel de Versailles donne raison à l’ex-épouse. Elle déclare que le mari avait commis un recel de communauté, aux motifs que la naissance des parts sociales devant revenir à l’associé au titre de son apport a lieu à la date du contrat de société, même si celui-ci ne peut les recevoir que lorsque la société est dotée de la personnalité juridique. Ainsi, les juges versaillais ont considéré que l’élément matériel du recel était établi, car les parts sociales de l’ex-époux, acquises avec des fonds présumés communs, sont nées avant la dissolution de la communauté.

    L’ex-mari conteste l’arrêt et se pourvoit en cassation. Il demande aux magistrats du Quai de l’Horloge de déterminer si le recel en communauté est caractérisé dès lors que la société, dont les parts sociales ont été acquises par l’ex-mari, a été immatriculée après la dissolution de la communauté. Selon le demandeur au pourvoi, « les droits sociaux ne naissent et ne sont acquis qu’à compter de l’immatriculation de la société », alors que les juges d’appel ont situé la naissance des droits sociaux au jour de la constitution de la société."

    Par sa décision du 17 janvier 2024, la Cour de cassation censure les juges du fond et répond négativement à la question du demandeur au pouvoi. Elle rappelle aux visas des article 1477 et 1842 du Code civil que les sociétés en participation jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation et elle affirme que les droits sociaux naissent à la date de l’immatriculation de la société. En l’espèce, la naissance des parts sociales avait eu lieu au moment de l’immatriculation de la société, le 29 février 2012. L’immatriculation de la société étant intervenue après la dissolution de la communauté, les parts sociaux acquises ne constituaient pas un effet de la communauté. La Cour de cassation en déduit que le recel ne pouvait donc être caractérisé.

    Le recel de communauté résulte « de tout procédé tendant à frustrer un époux de sa part de communauté, et notamment résulter de la dissimulation de la valeur réelle d’un bien ». Pour que le recel soit caractérisé, encore faut-il prouver l’existence d’une communauté et démontrer que le bien incriminé en fasse partie, car le recel ne peut porter que sur des biens faisant partie de la communauté. Enfin, la dissimulation du bien doit avoir eu lieu avant la dissolution de la communauté. En l’espèce, les parts sociales nées après la dissolution de la communauté, ne peuvent être qualifiée d’effets de la communauté. Tant que l’immatriculation de la société n’a pas été réalisée, aucun transfert de valeur entre l’apporteur et la société n’a pu intervenir.

    Dorian GABORY

    Source :

    • ALVAREZ-ELORZA Alexis, « Exclusion du recel en cas de naissance des parts sociales postérieure à la dissolution de la communauté », [en ligne], La semaine juridique notariale et immobilière, Lexis 360, n°6, de février 2024, [consulté en février 2024]. https://lexis360intelligence.fr

  • La présomption irréfragable de connaissance des vices pour le seul vendeur professionnel et l’exercice de l’action récursoire

    (Cass.com., 17 janv. 2024, n°21-23.909)

    Par un arrêt de cassation en date du 17 janvier 2024, publié au bulletin, la chambre commerciale de la Cour de cassation se prononce sur la présomption irréfragable de connaissance des vices pour le seul vendeur professionnel et l’exercice de l’action récursoire.

    En l’espèce, une société consent à un exploitant forestier un contrat de location-vente d’un tracteur. Quelques mois plus tard, l’engin prend feu lors de son ravitaillement en carburant occasionnant sa destruction et des dégâts aux propriétés environnantes.

    L’expertise diligentée par l’assureur du preneur de la location-vente conclut à l’existence d’un vice caché.

    L’assurance de l’exploitant assigne la société venderesse et son assuré en garantie légale des vices cachés. Le preneur exerce devant la Cour d’appel une action récursoire contre le vendeur.

    Par un arrêt du 7 septembre 2021, la Cour d’appel de Pau déclare irrecevable pour cause de prescription l’action récursoire et condamne la société venderesse ainsi que l’exploitant à indemniser la compagnie d’assurance pour les frais d’assistance à l’expertise et pour les fonds touchés par l’incendie.

    L’exploitant se pourvoit en cassation. Il estime, tout d’abord, que seul le vendeur professionnel doit être présumé connaître les vices et qu’en l’occurrence son activité forestière ne lui permet pas de bénéficier de cette qualité. Ensuite, il reproche aux juges du fond de déclarer irrecevable son action récursoire alors que « l’action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l’acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice, sans avoir à être intentée dans un délai de prescription de cinq ans à compter du jour de la vente ».

    Au visa des articles, 1645, 1648 et 2232 du Code civil, la chambre commerciale de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Pau.

    Tout d’abord, les magistrats du Quai de l’Horloge assoient leur première cassation en rappelant qu’il résulte de l’article 1645 du Code civil « une présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice qu’il a vendu, qui l’oblige à réparer l’intégralité de tous les dommages qui en sont la conséquence ». Il s’agit d’une position jurisprudentielle constante. Pour que cette solution déjà bien établie par la Cour de cassation puisse s’appliquer, il est indispensable que les juges du fond opèrent une distinction entre le vendeur professionnel et le vendeur non professionnel. C’est exactement là où le bât blesse. La cassation a été prononcée, pour défaut de base légale, car la Cour d’appel de Pau n’a pas été en mesure de caractériser la qualité de vendeur professionnel de l’exploitant. Pour retenir cette qualité, la cour d’appel de renvoi de Bordeaux devra vérifier si le preneur « se livrait de façon habituelle à la vente d’engins agricoles ».

    Ensuite, la Cour de cassation reprend la solution de la chambre mixte pour prononcer sa seconde cassation en rappelant, au visa de l’article 1648, alinéa 1, et 2232 du Code civil, que « l’action en garantie des vices cachés doit être exercée dans les deux ans à compter de la découverte du vice ou, en matière d’action récursoire, à compter de l’assignation, sans pouvoir dépasser le délai-butoir de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit, lequel est, en matière de garantie des vices cachés, le jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie ». Par cette solution, la Cour de cassation confirme que l’action récursoire fondée sur les vices cachés peut intervenir dans le délai-butoir de vingt ans prévu à l’article 2232 et ce, peu importe que la vente soit commerciale ou mixte ou qu’elle ait eu lieu avant 2008.

    Une chose est sûre, la garantie légale des vices cachés n’a jamais autant fait parlé d’elle que ces derniers mois !

    Dorian GABORY

    Sources :

    • HELAINE Cédric, « Vices cachés : présomption irréfragable de connaissance du vendeur professionnel et mise en œuvre de l’action récursoire », [en ligne], Dalloz Actualité, février 2024, [consulté en février 2024]. https://www.dalloz-actualite.fr/

    • PLANCKAERT Héloïse, « Présomption de connaissance du vice : ne pas confondre professionnel et vendeur professionnel », [en ligne], Revue Droit civil, Lamyline, janvier 2024, [consulté en février 2023]. https://www.lamyline.fr

  • Le poids de l’intérêt social dans la demande de désignation d’un mandataire ad hoc

    (Cass.com., 20 décembre 2023, n°21-18.746)

    Dans un arrêt de cassation du 20 décembre 2023, publié au bulletin, la chambre commerciale de la Cour de cassation se prononce sur la conformité d’une demande de désignation d’un mandataire chargé de réunir une assemblée générale.

    En l’espèce, à la suite de dissensions familiales au sein d’une société civile immobilière, un protocole a été conclu le 15 décembre 2019 entre les actionnaires, prévoyant notamment une promesse de cession des parts de la société.

    Faute d’accord sur l’exécution de ce protocole, un arbitrage prévu par une clause compromissoire du protocole s’est chargé de déterminer la valeur des parts sociales et a indiqué que les cessions devaient être réalisées conformément aux stipulations du protocole dans les deux mois suivant la notification de la sentence arbitrale.

    Les associés promettants ont assigné le gérant de la société aux fins d’obtenir la désignation d’un mandataire judiciaire chargé de convoquer l’assemblée générale des associés de la société pour constater l’absence de cession et voter sur le constat de leur qualité d’associés de la société sans interruption.

    Ils fondent leur demande sur l’article 39, alinéa 1, du décret 78-704 du 3 juillet 1978 qui dispose, dans sa version applicable, « qu’un associé non gérant d’une société civile peut à tout moment, par lettre recommandée, demander au gérant de provoquer une délibération des associés sur une question déterminée ».

    Par un arrêt du 25 mars 2021[1], la cour d’appel de Versailles fait droit à la demande des associés et désigne un mandataire chargé de réunir l’assemblée générale de la société, au motif que le gérant de la société immobilière n’a pas répondu à leurs sollicitations et que le délai d’un mois fixé par le décret était expiré.

    Dans ces circonstances, le gérant de la société a décidé de former un pourvoi en cassation. Comme moyen, il fait notamment valoir que la demande de désignation d’un mandataire doit être conforme à l’intérêt social de la société. Or, bien que cet aspect ait été clairement exposé dans les conclusions, les juges d’appel ont omis de se prononcer sur ce point, méconnaissant ainsi les exigences de l’article 455 du Code de procédure civile.

    Au visa de l’article 39 du décret n°78-704 du 3 juillet 1978, la chambre commerciale de la Cour de cassation censure le raisonnement des juges du fond. Par cet arrêt de cassation, elle juge que la cour d’appel aurait dû, pour donner une base légale à sa décision, rechercher si la demande des associés était conforme à l’intérêt social.

    La Cour de cassation estime que le juge, saisi par un associé pour une telle demande, doit « apprécier la conformité de la demande dont il est saisi à l’intérêt social ». Elle considère que « l’assemblée générale des associés d’une société est dépourvue de toute compétence pour déterminer si des parts de la société ont fait ou non l’objet d’une cession et, partant, si les détenteurs de ces parts ont, ou non, la qualité d’associé ». Ainsi, la demande de convocation de l’assemblée n’était donc pas conforme à l’intérêt social.

    La lettre de l’article 39 du décret du 3 juillet 1978 n’exige pas explicitement comme condition la conformité de la demande à l’intérêt social. Toutefois, la solution de cet arrêt n’est pas surprenante étant donné que la jurisprudence rappelle fréquemment son attachement à l’intérêt social. En effet, la Cour de cassation avait déjà ajouté cette condition en présence de demandes de désignation, prévues dans le décret pour la société civile, pouvant être formulées en matière de SA sur le fondement de l’article L.225-103[2] et de la SARL sur le fondement de l’article L.225-103[3]. Cette décision s’inscrit naturellement dans le sillage d’une jurisprudence constante. En définitive, entraver la société dans un processus qui lui fait perdre temps et ressources n’est certainement pas en accord avec l’intérêt de la société.

    Dorian GABORY

    Sources :

    • LAVIELLE Clara, « Demande de désignation d’un mandataire ad hoc et intérêt social », [en ligne], Revue Droit des sociétés, Lexis 360, n°2 de février 2024, [consulté en février 2023]. https://lexis360intelligence.fr

    • JULLIAN Nadège, « Précisions autour de la désignation d’un mandataire chargé de provoquer une délibération des associés dans une société civile », [en ligne], Revue Droit des sociétés, Lexis 360, n°2 de février 2024, [consulté en février 2023]. https://lexis360intelligence.fr
     

    [1] CA Versailles, 25-03-2021, n°20/04589

    [2] Cass. com., 13 janv. 2021 n°18-24.853

    [3] Cass. com., 15 déc. 2021 n°20-12.307

  • QPC : la cession forcée des droits sociaux d'un dirigeant dans le cadre d'une procédure judiciaire est conforme à la Constitution

    Article publié le 30 novembre 2015

     

    Le 7 octobre dernier, le Conseil Constitutionnel a déclaré que l'article L. 631-19-1 du Code de commerce ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété (1). Cet article prévoit la possibilité pour le tribunal, lorsque le redressement de l'entreprise le requiert, de subordonner l'adoption du plan à la cession des titres du dirigeant de l'entreprise. Pour le Conseil Constitutionnel, les garanties offertes par l'article sont suffisantes dès lors que cette cession forcée ne peut être mise en œuvre « que si l’entreprise fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire », « si le redressement de cette entreprise le requiert » et uniquement « à la demande du ministère public ».  De plus, les mesures de cession forcée ne s’appliquent qu’au « dirigeant qui détient des parts sociales, titres de capital ou valeurs mobilières donnant accès au capital qui n’a pas renoncé à l’exercice de ses fonctions de direction » et le prix de la cession est « fixé à dire d'expert ».

    Certains voient en cette mesure un dispositif d'expropriation grave et peu encadré dans la mesure où « elle porte l’atteinte la plus grave aux prérogatives des dirigeants concernés, puisqu’elle les exproprie de leurs droits sociaux, les privant corrélativement de leur droit de vote » (2).

    L'atteinte faite au droit de propriété est ici indéniable, mais en droit français elle est admise dans la mesure ou elle vise à préserver l'intérêt général, où elle reste proportionnelle au but recherché et présente les garantie nécessaires à la protection du droit. La question à laquelle le Conseil Constitutionnel devait répondre portait sur ce point : L'article L 631-19-1 du Code de commerce constitue t-il une atteinte disproportionnée au droit de propriété ? Pour les neufs Sages, la réponse est non. Cette décision est compréhensible dans la mesure où l'on cherche à sauvegarder une entreprise, plusieurs emplois et donc une certaine stabilité économique. La cession forcée des droits sociaux paraît proportionnelle au but recherché puisqu'il semble en effet plus important de protéger une entreprise en difficulté plutôt que les droits de son dirigeant.

    Cependant, la condition « si le redressement de l'entreprise le requiert » reste trop floue pour affirmer que l'article présente les garanties nécessaires. En effet, comment déterminer si le redressement nécessite la cession des titres du dirigeant ? Sur quels critères le juge doit il se baser pour rendre sa décision ? Plusieurs situations pourraient être envisagées. On pourrait tout d'abord imaginer que le Législateur cherche à évincer le dirigeant qui par une attitude malveillante, nuirait au processus de rétablissement de l’entreprise. Mais on pourrait aussi concevoir le fait qu'il cherche en plus à écarter le dirigeant qui ne serait pas apte à rester à la direction d'une entreprise en état de redressement judiciaire. Si on se place dans la première hypothèse, la cession des droits du dirigeant malveillant, l'atteinte parait justifiée. Si on se place dans la seconde, la cession des droits du dirigeant qui ne disposerait pas des capacités techniques ou mentales pour mener à bien le redressement de son entreprise, la mesure paraît moins fondée.

    Mettant en place un mécanisme similaire, le nouvel article L 631-19-2 du Code de commerce (3) récemment introduit par la loi Macron, ne s'applique qu'en cas d'attitude malveillante des associés et actionnaires. En effet, le nouvel article permet au Tribunal de Commerce d’ordonner, au profit des personnes qui se sont engagées à exécuter le projet de plan de redressement, la cession de tout ou partie de la participation détenue dans le capital par les associés ou actionnaires, ayant refusé la modification de capital. Cette nouvelle disposition ne concerne que les entreprises de plus de 150 salariés, pour lesquelles les répercussions seront plus graves si le redressement échoue. La mesure prend réellement la forme d'une punition en sanctionnant ceux qui refusent de financer le plan et qui mettent en péril l’avenir de la société. Il aurait donc semblé souhaitable que le Conseil Constitutionnel profite de l'approbation de ce nouveau texte, pour déclarer que l'article L 631-19-1 ne présentait pas les garanties nécessaires dans la mesure où il ne précisait pas suffisamment les conditions d'application.

    Lucie PARIS

    (1) Cons. Const., Décision n° 2015-486 QPC, du 7 octobre 2015.

    (2) Vermot-Gauchy, Eric. « L'expropriation du dirigeant social, examinée à double titre par le conseil constitutionnel ».

    (3) Cons. Const., Décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015.

  • Lanceur d'alerte : ce qui change avec la loi sapin II.

    Article publié le 16 janvier 2017

     

    Cette semaine, les lanceurs d'alerte ont été au cœur de l'actualité avec notamment la dernière audience en appel du procès Luxleacks. En France, entre 2007 et 2015, pas moins de sept lois ont été adoptées afin de créer un statut pour ces derniers.

    Toutefois, il s'agissait de lois sectorielles et non pas d'une loi commune pour l'ensemble des procédures d'alerte, c'est pourquoi il était urgent que le législateur intervienne. La loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite loi Sapin II, promulguée le 9 décembre 2016, a permis de mettre en place un socle commun à l'ensemble des procédures d'alerte.

    Dans un premier temps, la loi sapin II donne une définition de cette notion. Ainsi, est considéré comme lanceur d'alerte «toute personne physique qui relève ou signale de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou délit, une violation grave ou manifeste d'un engagement international, régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice grave pour l'intérêt général dont elle a eu personnellement connaissance». Sur cette définition subsistent encore quelques interrogations. En effet, l'article 6 de la loi Sapin II ne mentionne que les personnes physiques. Par conséquent, sont exclues de ce régime de protection, les personnes morales telles que les syndicats ou associations qui pourtant pourraient avoir intérêt à agir. Le législateur précise également que le lanceur d'alerte doit être désintéressé et de bonne foi, ce qui a priori exclut, les personnes dont l'activité principale est d'alerter l'opinion comme par exemple, les journalistes ou magistrats. Enfin, il faut également que celui-ci ait eu personnellement connaissance des faits. Cela soulève alors une question: faut-il que ce lanceur d'alerte ait lui même découvert les faits ou bien ceux-ci peuvent-ils lui avoir été rapportés? Les décrets d'application de la loi devront clarifier les choses.

    Dans un deuxième temps, le législateur a instauré une procédure se déroulant en trois étapes. Tout d'abord, le signalement doit être porté à la connaissance du supérieur hiérarchique. Si ce dernier ne répond pas dans un délai raisonnable, le signalement peut être porté à la connaissance des autorités judiciaires, administratives ou aux ordres professionnels. A défaut de traitement par l'une de ces autorités dans un délai de trois mois, l'alerte pourra être rendue publique. Une exception est prévue par le législateur, ainsi, en cas de danger grave ou imminent, l'alerte pourra être directement signalée aux autorités ci-dessus mentionnées. Elle pourra également être rendue publique. Toutefois, les décrets d'application de cette loi devront veiller à préciser ce qu'il faut entendre par danger grave et imminent. Par ailleurs, la loi impose aux entreprises de plus de 50 salariés de prévoir une procédure d'alerte. Cependant, dans l'attente des décrets d'application, les modalités de cette procédure restent floues.

    Dans un troisième temps, le législateur met en place un régime de protection commun à l'ensemble des lanceurs d'alerte. Cette procédure reste confidentielle, c'est à dire que l'identité du lanceur d'alerte ne doit pas être divulguée. En fonction de leurs statuts, les lanceurs d'alerte bénéficient d'un régime de protection. La loi sapin II prévoit,en effet, que les salariés ne peuvent être écartés d'une procédure de recrutement, ou ne peuvent être licenciés pour avoir déclenché la procédure d'alerte. Il en va de même pour les fonctionnaires et les militaires. Par ailleurs, celui qui s'oppose à la transmission du signalement alors qu'il en a connaissance, encourt des sanctions pénales pouvant aller jusqu'à un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende.

    Si cette loi représente une avancée importante puisqu'elle est la première qui tente d'harmoniser les règles relatives au lanceur d'alerte, on comprend cependant que ce dernier reste soumis à un «parcours du combattant» pour transmettre son signalement. En outre, pour que cette loi soit effective, il faudra attendre l'adoption des décrets d'application.

    Camille Rio.

    Sources :

     

     

     

     

     

  • La mise en place des nouvelles mesures anticorruption

    Article publié le 22 avril 2018

     

    La loi n° 2016-1691 dite « Sapin II » du 9 décembre 2016 impose aux dirigeants de sociétés qualifiées de « grande taille » de mettre en place de nouvelles mesures anticorruption. Ces nouveaux dispositifs touchent tant le domaine public que le domaine privé.

    Un juriste d’entreprise préférant garder l’anonymat a accepté de répondre à nos questions.

     

    Pouvez-vous nous rappeler les nouveautés apportées par la Loi Sapin II ? 

    "Tout d’abord, il convient de rappeler le contexte de la loi Sapin 2. Elle renforce la législation française en matière de lutte contre la corruption et le trafic d’influence, en particulier contre la corruption transnationale, en mettant en place des mesures comparables à certains pays : US (FCPA), Royaume-Uni (UK Bribery Act). La France comble ainsi son retard en la matière. La loi SAPIN 2 prévoit que les sociétés (avec certaines caractéristiques) adoptent 8 mesures obligatoires pour prévenir et détecter la commission d’actes de corruption ou de trafic d’influence en France et à l’étranger. 

  • Projet de loi confiance : focus sur la médiation entreprise et administration

    Publié le 16 mai 2018

     

    Les députés ont voté le 30 janvier 2018 en première lecture le projet de loi pour un État au service d’une société de confiance (dit projet de loi « sur le droit à l’erreur »). Nous avons décidé de nous intéresser à la médiation entreprise et administration prévue par ce projet.

    Madame Agnès ROUILLIER, juriste d’entreprise en cabinet d’expertise comptable a accepté de répondre à nos questions.

     

    Pouvez-vous nous rappeler en quelques mots en quoi consiste la médiation entreprise administration prévue dans le projet de loi « confiance » ?

    Agnès ROUILLIER : La médiation est un mode amiable et confidentiel de règlement des conflits. Elle permet aux individus en conflit de faire intervenir un tiers indépendant et impartial entre eux afin de résoudre leurs différends de façon consensuelle sans préjudice des voies de recours existantes. La loi pour un Etat au service d'une société de confiance propose d'expérimenter la médiation entre les entreprises et les administrations ainsi que les établissements publics de l'Etat pour une durée de quatre ans.  Le projet de loi prévoit surtout ce type de recours entre les URSSAF et les cotisants. 

     

  • Les clauses attributives de juridiction lors d’abus de position dominante

    Article publié le 14 avril 2019

     

    Le 30 janvier 2019, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée sur la portée des clauses attributives de juridiction lorsqu’une atteinte au droit de la concurrence est alléguée.

    La société eBizcuss.com (la société eBizcuss) s’est vu reconnaitre la qualité de revendeur agréé des produits de la marque Apple par un contrat signé le 10 octobre 2002 avec la société Apple Sales International, société irlandaise appartenant au groupe Apple. Dans ce contrat se trouvait une clause attributive de juridiction. Celle-ci désignait les juridictions irlandaises comme étant compétentes en cas de litiges. Elle permettait également à la société irlandaise de saisir les juridictions françaises ainsi que les juridictions de tout pays où elle aurait subi un préjudice.

  • Le possible cumul de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité issue d’une rupture brutale des relations commerciales établies

    Article publié le 28 janvier 2019

     

    Le 24 octobre 2018, la chambre commerciale de la Cour de Cassation a décidé que le principe de non cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle ne s’opposait pas à l’invocation du cumul de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales établies.

    En l’espèce, il s’agissait d’un litige qui opposait la société CRG (société d’édition) à l’association dentaire de France (ADF). Les deux parties entretenaient une relation commerciale depuis 1997. Un contrat bipartite prévoyait que la société CRG bénéficierait d’un stand lors des congrès annuels de l’ADF. Lors du congrès de 2010, la société CRG s’est vu refuser sa demande d’admission au congrès. Elle assigne la société AFD en réparation sur le fondement de l’inexécution contractuelle par l’ADF de son obligation de lui fournir un stand. Elle soutient également être victime de discrimination de la part de l’ADF. L’ADF n’aurait pas fournit de stand à la société CRG a cause des opinions politiques de cette dernière.

  • L'unilatéralité de la renonciation réaffirmée par la Cour de cassation

    Article publié le 25 février 2017

     

    La renonciation apparaît comme un droit insaisissable, que le législateur n'a pas pris soin de définir. Il appartient donc à la jurisprudence de rappeler ce mécanisme. L'arrêt du 2 février 2017 de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation vient réitérer le caractère unilatéral de celle-ci.

    En l'espèce, une société civile immobilière (SCI) fait assurer par l'intermédiaire de son courtier et de l'agent général de la compagnie, un ensemble immobilier dont elle est propriétaire. Celui-ci a été détruit par un incendie. À la suite de cela, la SCI accepte la limite contractuelle de garantie de l'assureur. Peu après, elle signe une quittance dans laquelle il est précisé que « déclare la compagnie d'assurance quitte et décharge de toute obligation consécutive à ce sinistre ». 

    S'estimant lésée, la SCI a assigné le courtier ainsi que la compagnie d'assurance en réparation de son préjudice résultant de la perte de chance de souscrire un contrat ne prévoyant pas de limite contractuelle de garantie.

    La solution paraissait ici évidente. Pourtant, dans son arrêt du 11 janvier 2016, la cour d'appel de Nancy a accueilli favorablement les prétentions de la SCI. Pour  condamner l’assureur, les juges du fond retiennent, que la SCI n'était pas signataire des conditions particulières prévoyant la limite contractuelle et que par conséquent celle-ci ne pouvait pas lui être opposée. Puis, elle avait estimé que l'assureur ne pouvait invoquer une renonciation de la SCI à son égard car les différents actes de renonciation ne comportaient aucune concession réciproque.

    La question à laquelle les juges du droit ont du répondre était de savoir si la renonciation pour être valable, devait comporter des concessions réciproques de la part de chacune des parties. La Cour de cassation dans son arrêt du 2 février 2017 casse l'arrêt de la cour d'appel au visa de l'ancien article 1234 du code civil. Dans un premier temps, elle énonce que la SCI avait eu connaissance des conditions particulières prévoyant la limite contractuelle de garantie puisque le courtier de la SCI lui avait remis les documents. De plus, avant la souscription de la police d’assurance, elle avait adressé à l'assureur une proposition comportant une limite contractuelle de garantie. Dans un second temps, les juges du droit rappellent que la renonciation est un acte unilatéral qui n'exige pas l'existence de concessions réciproques.

    Il existe bien une confusion de la part de la cour d'appel entre la transaction prévue par l'article 2044 du code civil et la renonciation prévue par l'ancien article 1234 du code civil. L'article 2044 du code civil dispose, en effet, que « la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques terminent une contestation née ou préviennent d'une contestation à naître ». C’est 'un véritable contrat synallagmatique où chacune des parties a des obligations vis-à-vis de l'autre. Il convient de distinguer ces deux notions puisque l'objet de la transaction ne consiste pas forcément en l'abandon d'un droit. La renonciation quant à elle présente un véritable caractère unilatéral et peut se définir de la façon suivante « il s'agit d'un acte juridique unilatéral par lequel le titulaire abdique une prérogative ou un ensemble de prérogatives ». L'unilatéralité de cet acte tient au fait que la renonciation ne porte préjudice qu'à celui qui y renonce. La jurisprudence précise que la renonciation ne peut résulter que d'acte manifestant sans équivoque sa volonté de renoncer. [1]

    La solution retenue par la Cour de cassation est logique. La renonciation faite par la SCI est sans équivoque car elle l'a manifestée à deux reprises, la première fois par la lettred'acceptation de la limite contractuelle de la garantie, puis par la signature de la quittance.  L'abandon de ce droit par la SCI rend impossible toute transaction postérieure.

    Camille RIO

     

     

     

     

  • Le délai de prescription d’une créance ne court qu’à partir de sa date d’exigibilité

    Article publié le 26 janvier 2019

     

    En droit français, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans[1]. Mais à partir de quel moment exactement commence à courir ce délai de prescription ? Est-ce à partir du jour où la créance est née, ou à partir de sa date d’exigibilité ?

    Par un arrêt du 5 décembre 2018, la chambre commerciale de la Cour de cassation opte pour la seconde option, venant rappeler que le délai de prescription de 5 ans prévu pour les créances entre professionnels, court à partir de la date d’exigibilité de celles-ci.

  • La nécessité de l’intervention d’un huissier pour mettre en œuvre la clause résolutoire d’un bail commercial

    Article publié le 26 février 2018

     

    Le commandement de payer, préalable indispensable à la mise en œuvre de la clause résolutoire prévue dans un bail commercial, doit être délivré par acte extrajudiciaire. Telle est la position de la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt semblant être de principe rendu le 21 décembre 2017.

    En l’espèce, une société a donné à bail commercial un local le 9 juin 2000. Le 4 octobre 2007, afin d’obtenir le paiement d’un arriéré de loyers et de charges, le bailleur a adressé au locataire par lettre recommandée avec avis de réception un commandement de payer visant la clause résolutoire prévue au contrat au locataire. Le commandement étant resté infructueux, le bailleur saisi le juge afin que soit constatée la résiliation de plein droit du bail.

    La cour d’appel de Nouméa fait droit à cette demande dans un arrêt 15 octobre 2015. Les juges du fond retiennent que la lettre recommandée valait sommation dans la mesure où il en résultait une interpellation suffisante du débiteur. Le preneur a alors formé un pourvoi en cassation.

  • Sort de la créance de condamnation pour insuffisance d’actif d’un dirigeant placé en procédure collective

    Article publié le 22 janvier 2020

     

    Le 27 novembre 2019[1], la Cour de cassation s’est prononcée sur le sort de la créance de condamnation en responsabilité pour insuffisance d’actif prononcée à l’encontre d’un dirigeant social lui-même en procédure collective.

    L’action en responsabilité pour insuffisance d’actif[2] permet de faire supporter tout ou partie de cette insuffisance au dirigeant fautif, qu’il soit de droit ou de fait. L’ouverture d’une procédure collective à son égard ne le fait pas échapper à cette action. Si cette situation est explicitement citée à l’article R. 651-6 du Code de commerce[3], aucun texte n’envisage la question de l’exécution de la condamnation. La créance qui en résulte échappe-t-elle à l’interdiction des poursuites et à l’arrêt des voies d’exécution ?

     

  • Devoir de mise en garde des banques et caractère averti de l’emprunteur : les rappels de la Cour de cassation

    Article publié le 5 février 2023

     

    Cass. Com., 4 janvier 2023, n°15-20.117

     

     

  • Rappel sur le devoir de mise en garde du banquier envers la caution non avertie

    Article publié le 24 janvier 2018

     

    Le 15 novembre 2017, la chambre commerciale de la Cour de cassation est venue affiner sa jurisprudence concernant le devoir de mise en garde auquel est soumis le banquier envers la caution non avertie.

    En l’espèce, un établissement bancaire a consenti à une société un prêt visant à financer l’acquisition d’un fonds de commerce. Le prêt est garanti par un nantissement et un cautionnement solidaire de la gérante de la société. A la suite d’un défaut de paiement de l’emprunteur, la banque a décidé d’actionner la caution en paiement. La caution a alors engagé la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde.

    La cour d’appel de Pau, dans un arrêt du 14 décembre 2015, a statué en faveur de la caution et condamné par conséquent la banque au paiement de dommages-intérêts pour manquement à son devoir de mise en garde.

  • La notification d'agrément : une procédure prenant en considération la personne de l'acquéreur

    Article publié le 31 janvier 2017

     

     L'article L228-24 alinéa 1 du Code de commerce dispose que «si une clause d'agrément est stipulée, la demande d'agrément indiquant les noms, prénoms et adresse du cessionnaire, le nombre des titres de capital ou de valeurs mobilières donnant accès au capital dont la cession est envisagée et le prix offert, est notifiée à la société. L'agrément résulte soit d'une notification, soit d'un défaut de réponse dans un délai de 3 mois à compter de la demande».

    L'arrêt de la Cour de cassation en date du 11 janvier 2017 vient préciser les contours de la procédure d'agrément au sein d'une société anonyme. En l'espèce, un nu-propriétaire et son usufruitier  décident de céder leurs actions. Conformément à l'article 12 des statuts prévoyant une procédure d'agrément, ils notifient leur projet de cession de leurs actions moyennant un certain prix à la SA par acte daté du 23 avril 2014. Par une lettre postérieure à la notification, les cédants indiquent à la SA que le prix mentionné dans la notification était provisoire et que le prix définitif serait calculé en application d'une clause de révision convenue entre eux et le futur acquéreur. Estimant que le prix offert par l'acquéreur ne correspondait pas au prix figurant dans la demande d'agrément, la SA a assigné les cédants en annulation de la notification.

    La question qui se posait alors à la cour d'appel d'Orléans, était finalement de savoir si on pouvait annuler la notification, car le prix indiqué dans la demande d'agrément n'était pas déterminé mais déterminable. La cour d'appel d'Orléans rejette la demande formée par la SA en déclarant que ni les statuts ni la loi ne prévoyaient l'obligation d'un prix offert ferme et définitif. De plus, le prix était déterminable dans la mesure où les cédants avaient indiqué les calculs par l'envoi d'une lettre postérieure à la notification. La SA a alors formé un pourvoi en cassation.

    Constatant que les motifs invoqués par la SA n'étaient pas fondés, les juges du quai de l'horloge rejettent le pourvoi dans l'arrêt du 11 janvier 2017.  La Cour de cassation clarifie les choses en la matière en précisant que la demande d'agrément n'a vocation à ne prendre en considération que la personne de l'acquéreur. De plus «le prix offert» mentionné à l'article L228-24 du Code de commerce n'a pas à être déterminé et ferme à partir du moment où  il peut être déterminable. Par conséquent, elle réitère le fait que la notification d’agrément  ne puisse pas être annulée.

    D'ordinaire, on retrouve ces procédures d'agrément dans les sociétés de personnes qui ont un fort intuitu personae. Cela s'explique par le fait que les associés peuvent être tenus solidairement et indéfiniment des dettes sociales ou à proportion de leurs apports dans le capital social. Toutefois, il est également envisageable de prévoir une telle procédure dans les sociétés par actions et notamment dans les sociétés anonymes dès lors que ses actions ne sont pas admises à la négociation sur un marché réglementé. Ces clauses subordonnent la vente d'actions ou de parts sociales à l'agrément soit de l'assemblée générale soit à un autre organe statutaire. Elles permettent ainsi d'écarter certains acquéreurs qui pour diverses raisons seront jugés indésirables. Une telle procédure a pour but le maintien d'un certain équilibre au sein de la société.

    Par conséquent, la décision de la Cour de cassation est logique car la procédure d'agrément ne tient pas compte du prix de la cession mais bel et bien de la personne de l'acquéreur. Lui seul, est soumis à agrément et non le prix de la cession. Il est important pour les sociétés de comprendre que le prix de la cession d'actions ou de parts sociales n'est pas l'objet de la procédure d’agrément. Pour toutes contestations relatives au prix de la cession, il faudra finalement qu'elles aient recours à un expert mentionné à l'article 1843-4 du Code civil. Ce dernier aura pour objectif de fixer le prix des actions ou des parts sociales.

     

    Camille Rio

     

    Sources :

     

    Mémento Sociétés commerciales 2017, Editions Francis LEFEBVRE.

     

    Maureen de Montaigne « la notification de la demande d’agrément : l’agrément porte sur la personne du cessionnaire et non sur le prix de la cession ». -Lamy actualités du droit.

     

    Cour de cassation, chambre commerciale, 11 janvier 2017 société couly dutheil holding contre C/ n°15-13.025

     

     

     

     

     

  • La clause de non-concurrence souscrite par le cédant de droits sociaux

    Article publié le 18 février 2019

     

    La clause qui interdit au cédant de participer activement à l'exploitation d'un fonds de commerce concurrent de celui de la société cédée ne lui interdit ni de faire un apport en compte courant à une société concurrente, ni de conserver, dans cette société concurrente, gérée par son fils, une participation qu'il détenait avant la cession.

    Ce principe a été posé dans un arrêt de la Cour de cassation en date du 12 décembre 2018. La chambre commerciale s'est prononcée sur la portée d'une clause de non-concurrence souscrite par le cédant de droits sociaux.

  • L’impossible dissolution judiciaire de la société pour mésentente sans paralysie du fonctionnement

    Article publié le 10 février 2023

     

     

    Cass. Civ 1, 18 janvier 2023, n°19-24.671

     

     

     

  • La détermination du droit à déduction de la TVA d’une succursale réalisant des opérations internes avec son siège étranger

    Article publié le 25 février 2019

     

    Le 24 janvier 2019 dernier, la Cour de Justice de l’Union Européenne s’est prononcée sur les modalités de détermination du droit à déduction de la TVA grevant des dépenses engagées par une succursale établie dans un État membre autre que celui du siège de la société, dépenses affectées notamment à la réalisation d’opérations du siège. Elle retient ainsi l’utilisation d’un « prorata mondial » pour calculer le droit à déduction de la succursale.

    En l’espèce, une succursale française de la banque britannique Morgan Stanley avait fait l’objet de deux vérifications de comptabilité portant sur la TVA déduite sur certaines périodes. Il a alors été constaté que la succursale réalisait des opérations taxables en France pour ses clients locaux (option pour la TVA). Par ailleurs, elle fournissait des services au siège britannique en contrepartie desquels elle recevait un virement. La succursale avait toutefois déduit l’intégralité de la TVA grevant ces dépenses.

     

  • Contrats hors établissement et mentions obligatoires : le contrat peut mentionner le prix global du bien ou du service

    Article publié le 5 février 2023

     

    Cass. Civ 1., 11 janvier 2023, n°21-14.032

     

     

  • L’ARJEL s’exprime sur les interdictions et limitations de parier

    Article publié le 20 janvier 2018

     

    Le 23 novembre 2017, l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) a répondu à la question suivante : un opérateur de paris sportifs peut-il refuser de contracter avec un parieur ou limiter le montant de ses mises sur un pari ?

    Pour répondre à cette question, l’ARJEL a examiné deux séries de règles :

    -       la loi du 12 mai 2010 modifiée relative à l’ouverture, la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne.

    -       le Code de la consommation.

    Dans un premier temps, à travers la loi de 2010, l’ARJEL a dégagé des interdictions de parier quand le parieur présente une qualité déterminée. On trouve par exemple, les mineurs même émancipés, les personnes interdites de jeux, ou encore les personnes s’excluant temporairement ou définitivement, précision faite que la suspension ne vaut que sur le site de l’opérateur où elle a été réalisée.

  • La vente ferme et définitive en cas de présence d’une clause de réserve de propriété

    Article publié le 29 janvier 2019

     

    La chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 17 octobre 2018, a pu se prononcer une nouvelle fois sur la clause de réserve de propriété. La Cour a retenu que la clause de réserve de propriété stipulée pour la garantie de la créance du prix d’un contrat de vente constitue une sûreté. Cet arrêt affirme une solution déjà acquise antérieurement.

    En l’espèce, il s’agissait de la société Casino de Grasse exploitante d’un casino qui a acquis des machines à sous, accompagnées de leurs kits de jeu avec une clause de réserve de propriété en faveur du vendeur, la Société française de commercialisation d'appareils automatiques (ci après la société SFC2A). L’acquéreur a été placé en liquidation judiciaire le 2 mars 2015. De ce fait, le vendeur a revendiqué la propriété des biens vendus, conformément aux stipulations de l’article L.624-9 du Code de commerce.

  • Le sort des inventions de missions et des brevets attachés lors d’une liquidation judiciaire

    Article publié le 29 mars 2018

     

    La société qui acquiert un brevet portant sur une invention de mission à l’occasion d’une liquidation judiciaire détient-elle les droits de son propriétaire initial ? La chambre commerciale de la Cour de cassation a répondu négativement à cette question dans un arrêt du 31 janvier 2018. Elle considère que le cessionnaire n’a pas la qualité d’ayant-droit de l’employeur qui a initialement déposé le brevet.

    L’affaire portée devant les juges du droit concernait un salarié revendiquant la propriété du brevet déposé par un cessionnaire sur la base de son invention de mission et d’un premier brevet la protégeant cédés dans le cadre d’une liquidation judiciaire.

    Ce salarié a été embauché dans une société (la société Icare) en 2005. Son employeur a, en 2004, déposé une demande de brevet qui a été publiée en 2006. Quelque mois plus tard, le salarié a été licencié pour motif économique.

    Au début de l’année 2008, celui-ci a déposé une enveloppe Soleau dans laquelle il revendiquait les travaux réalisés par ses propres moyens ayant permis le développement de l’invention protégée par le brevet.

  • Absence d’obligation d’information du liquidateur judiciaire à l’égard de l’acquéreur d’un bien immobilier

    Article publié le 19 février 2018

     

    Dans un arrêt du 21 décembre 2017, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a considéré que le liquidateur judiciaire n’a pas d’obligation d’information ou de conseil à l’égard du cessionnaire dans le cadre d’une vente de gré à gré.

    En l’espèce, le juge-commissaire à la liquidation d’une société civile immobilière (SCI) a décidé par ordonnance du 11 avril 2008, la vente de gré à gré de quatre parcelles et de deux appartements en copropriété au profit d’une société, en contrepartie d’un prix payable au plus tard le 30 juin de la même année. La société cessionnaire n’a pas signé l’acte authentique de vente. Par conséquent, le mandataire ad hoc de la SCI l’a assigné ainsi que le liquidateur judiciaire, en paiement du prix de vente.

    L’affaire est portée devant la cour d’appel de Basse-Terre, qui rend un arrêt le 18 avril 2016 rejetant toutes les demandes du mandataire ad hoc contre la société. Effectivement, la cour d’appel retient que le liquidateur devait assurer l’exécution de bonne foi de la vente et informer le futur acquéreur sur le risque de valider son offre d’acquisition des terrains avant l’expiration du délai de recours contre le permis de construire le 6 mars 2008. Selon les juges du fond, le liquidateur a manqué à son obligation d’information auprès de l’acquéreur, ce qui était de nature à engager sa responsabilité.

  • Le contract management, définition et enjeux.

    Article publié le 21 mars 2016

     

    Le vendredi 25 mars 2016 se tiendra à l'Université de Bretagne Sud, une conférence sur les enjeux du contract managament dans la stratégie d'entreprise. L'occasion de se pencher un peu plus en détail sur une profession, encore peu connue en France : Contract manager.

    Son activité peut être perçue comme la fonction qui consiste à gérer de façon méthodique et efficace un contrat afin d'optimiser sa réussite. Dans cette optique il supervisera le cycle de vie d'un contrat, depuis sa phase d'initialisation jusqu'à son terme. La phase pré-contractuelle occupera également une place importante dans le processus puisque chaque étape comporte des risques. Il apparaît dès lors opportun d'intervenir en amont de la conclusion du contrat afin d'éviter un problème rédactionnel susceptible d'exposer les signataires à des complications, lors de son exécution.

    Au vu de la description primaire de ces fonctions, se pose une question : Pourquoi cette profession, semblable de prime abord à celle du juriste, s'avère nécessaire pour les entreprises ?

    Avant tout, il convient de préciser que le contract manager n'est pas nécessairement juriste. La moitié seulement d'entre eux est issue d'une formation juridique, l'autre moitié se compose d'ingénieurs, de chef de projet, de commerciaux, de consultants financiers, ... Le directeur juridique d'Alstom, Pierrick Le Goff exprime parfaitement la différence entre les deux métiers lorsqu'il explique dans un article des Echos, que le « juriste se concentre sur la stratégie juridique d'un projet dans sa globalité », alors que le contract manager vient en complément de cette stratégie, avec une implication beaucoup plus opérationnelle dans le seul but d'optimiser un contrat.

    Cette recherche de maximalisation est au cœur de l'enjeu de la profession du contract manager puisque comme certains auteurs le font remarquer, le contrat n'est plus seulement un outil de prévention et de gestion des risques, il est devenu un véritable instrument au service de l'amélioration de la performance d'entreprise. Ce changement de fonction appelle forcément une mutation de sa gérance et c'est précisément ici qu'intervient le contract manager.

    Ce dernier est un réel technicien du contrat, il va et voit au-delà du juridique, ce qui se ressent dans l'exécution de sa mission. En effet, en coopérant activement avec les acteurs susceptibles d’intervenir dans la vie du contrat (opérateurs, vendeurs, acheteurs,...), le contract manager maitrise les risques et gère les problèmes liés au contrat, développe une qualité relationnelle avec les différents cocontractants, ou encore, s'assure de la pérennité économique du contrat. Cette mission se révèle essentielle lorsqu'on s'aperçoit qu'en moyenne, 10% des contrats conclus sont perdus chaque année et que 60% des contrats fournisseurs sont renouvelés automatiquement sans même que cela ne soit remis en cause. C'est également dans cette optique de lutte contre la banalisation des relations contractuelles que l'on mesure toute l'importance de sa fonction tant il apparaît nécessaire d'assurer une fidélisation de ses partenaires.

    Enfin, s'il est aisément admis que le recours à un contract manager peut être envisagé lorsqu’il s'agit de contrats d'envergures, certains s'accordent à penser qu'ils devraient l'être également lorsque les enjeux sont moins importants, avec des moyens proportionnés. On observe en effet qu'à côté de ces gros contrats, existent une grande quantité de transactions moins importantes dont l'exécution pourrait être rendue plus efficace si l'on consacrait un peu plus de moyens à leurs suivis.

     

    Lucie PARIS

     

    Sources :

    - Fiche métier contract manager – Carrières juridiques.

    - LEVEAU Grégory « 5 mythes au sujet du contract management » Village de la justice, 12 juin 2014.

    - BOUQUET Vincent « Le contract manager, ennemi ou allié du juriste ? » Les Echos, 13 novembre 2014.

    - DELEAU Patrick « Les contract managers affirment leur position sur l'échiquier des entreprises » Journal du Net, 7 juillet 2015.

  • Le cumul possible de l'action en nullité pour dol et le manquement à l'obligation précontractuelle d'information

    Arrêt publié le 10 février 2021

     

    Par un arrêt du 14 janvier 2021[1], la troisième chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée sur la responsabilité pour manquement à l’obligation d’information précontractuelle en l’absence de dol.

  • Mise en location gérance d’un fonds de commerce : impact de la dispense judicaire d’exploitation

    Article publié le 15 novembre 2017

     

    Le 13 septembre 2017, la chambre commerciale de la Cour de cassation, a eu l’occasion d’apporter des précisions sur la dispense judiciaire d’exploitation préalable à la mise en location-gérance d’un fonds de commerce.

    En l’espèce, un couple a consenti un bail commercial à la société d’Arsine. Les bailleurs ont donné leur autorisation pour la mise en location-gérance du fonds de commerce exploité dans les locaux. La société propriétaire du fonds de commerce, obtient une dispense judiciaire à l’obligation d’exploitation personnelle du fonds en raison de l’état de santé de la gérante.  Cette société a conclu plusieurs contrats de location-gérance notamment avec trois personnes.  Les bailleurs invoquent le non-respect du délai prévu à l’article L.144-3 du Code de commerce. Ils assignent la société mais également les locataires-gérants en nullité du contrat.

  • L’absence de plafonnement de l’indemnité d’éviction du bail commercial interroge

    Arrêt publié le 27 janvier 2021

    Dans un arrêt en date du 10 décembre 2020[1], la troisième chambre civile de la Cour de cassation renvoie au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’atteinte engendrée par l’indemnité d’éviction au droit de propriété du bailleur.

     

  • La réforme du gage des stocks

    Article publié le 24 février 2016

     

    La réforme du droit des sûretés en 2006 n’a pas eu le succès tant espéré concernant le gage des stocks. De telle sorte que le législateur a voulu y remédier par la loi du 6 août 2015 dite « loi Macron ». Cette dernière a permis au Gouvernement d’intervenir par voie d’ordonnance. L’ordonnance du 29 janvier 2016 (n° 2016-56) relative au gage des stocks entrera en vigueur le 1er avril 2016 et s'appliquera aux contrats conclus à partir de cette date. L’utilité du gage sur stocks est fortement remise en question car il n’est pas applicable en cas de clause de réserve de propriété.

    Le gage des stocks permet au créancier de poser une sûreté sur les stocks du débiteur, qu’il pourra faire jouer si ce dernier est défaillant. Il peut s’agir d’un gage de chose future voir même un gage de la chose d’autrui car le stock n’est pas forcément dans le magasin du débiteur.

    Voici les différents apports de l’ordonnance de 2016.

    Selon le nouvel article L 527-3 du Code de commerce, la convention de gage des stocks est possible sous trois conditions cumulatives :

    • le débiteur est une personne morale de droit privé ou une personne physique. Cette personne doit avoir obtenu un crédit pour l’exercice de son activité professionnelle ;
    • le créancier est un établissement de crédit ou une société de financement ;
    • le gage porte sur les stocks du débiteur. Il confère un droit de préférence sur les autres créanciers

    Le gage des stocks est possible avec ou sans dépossession. L’ordonnance de 2016 permet le gage avec dépossession ; certains y verront un contre-sens car le commerçant se voit ainsi privé des biens nécessaires à son activité ; d’autres y verront un outil nécessaire au débiteur qui pourra alors aliéner son stock sans pour autant mettre en péril son activité professionnelle. Ce type de gage permet de rassurer les créanciers car ils pourront faire jouer le mécanisme de la subrogation et ce de manière automatique.

    De plus, il sera possible de choisir la réglementation applicable au gage sur stocks. Les parties auront alors le choix entre :

    • Application de la réglementation spécifique du gage sur stocks où il existe toutefois  de nombreux renvois au droit commun. 
    • Application de la réglementation du droit commun du gage.

    Cette ordonnance vient supprimer, par l’article L. 527-8 du Code de commerce, la règle de la prohibition du pacte commissoire chère à la Cour de cassation (Cass., ass. plén., 7 déc. 2015, n° 14-18.435). Ainsi, la conclusion d’un pacte commissoire est dès à présent admise. Il faudra toutefois surveiller l’évolution de la jurisprudence.

    Le gage sur stocks revêt un caractère indivisible, néanmoins, cette disposition n’est pas impérative. Par conséquent les parties sont libres d’y déroger conventionnellement. Elles peuvent prévoir une étendue à proportion du paiement de la créance. Il s’agit alors d’une garantie à extinction progressive.

    Il sera possible pour le créancier de faire constater l’état des stocks engagés, mais cela à ses propres frais. De plus, les biens gagés ou aliénés seront compris dans l’assiette du gage, et ce de plein droit.

    Le débiteur sera tenu de l’obligation de conservation des stocks excepté pour les gages de stocks avec dépossession. Mais, il ne sera plus tenu d’une obligation de souscription à un contrat d’assurance contre les risques d’incendie et de destruction. On conseillera cependant aux parties d’y avoir recours.

     « Les clauses arrosages » permettent aux créanciers, en cas de diminution de la valeur des stocks gagés soit de rétablir la garantie soit d’obtenir le paiement de la créance. Les taux ci-dessous évoqués sont supplétifs de volonté :

    • En cas de diminution d’au moins 10% de la valeur du stock (telle que mentionnée dans l’acte constitutif) et suite à la mise en demeure du débiteur, le créancier peut exiger soit le rétablissement de la garantie soit le remboursement d’une partie des sommes prêtées en proportion de la diminution constatée.
    • En cas de diminution d’au moins 20 % de leur valeur, le créancier peut exiger, après mise en demeure du débiteur, le remboursement total de la créance considérée comme échue.

    Avec ces différents apports, il est possible que le gage des stocks soit plus utilisé que par le passé.

    Elynn GOULLIANNE

    Sources :

    Stéphane Piédelièvre « La réforme du gage des stocks », Gazette du Palais, 16 février 2016 n° 7, P. 11

    Xavier Delpech - Une ordonnance de clarification pour le gage des stocks - AJ Contrats d'affaires - Concurrence - Distribution 2016 p.60

  • L'avocat déclaré créancier postérieur méritant dans le cadre des procédures collectives

    Article publié le 19 janvier 2016

     

    Dans un arrêt du 1 décembre 2015, (1) la Chambre commerciale de la Cour de cassation casse au visa de l'article L. 622-17 du Code de Commerce, l'arrêt de la Cour d'Appel (2) qui énonce que « les honoraires d'avocat pour assister le débiteur dans l'exercice d'un droit propre ne peuvent être considérés comme étant une créance née régulièrement après le jugement d'ouverture et ne peuvent être supportés par l'actif de la procédure collective. »

    Selon la Cour de cassation, les honoraires de l'avocat qui, en l'espèce, assistait son client dans l'appel des jugements de liquidation judiciaire, « visaient des prestations fournies à l'exposant après le jugement d'ouverture et dont la finalité était de maintenir l'activité de l'entreprise - ce dont il résulte qu'elle était utile à la procédure en cours. »

     

    A la suite d'un jugement d'ouverture d'une procédure collective, pour les besoins du bon déroulement de la procédure ou de la période d'observation, le Code de commerce offre une situation avantageuse aux créanciers postérieurs méritants. En effet, il reconnaît à ces derniers le droit d'être payé par priorité à tous les créanciers y compris certains créanciers titulaires d'une sureté réelle.

    Cette faveur se comprend aisément puisqu'il s'agit ici d'encourager le créancier qui, par ses actions, contribue à la poursuite de l'activité ou au bon déroulement de la liquidation.

    Cependant, cet avantage ne concerne pas toutes les créances postérieures puisque l'article L 622-17 du Code de commerce pose l'obligation de la réunion de trois conditions pour le bénéfice de cette préférence.

    En premier lieu, la créance doit être apparue après le jugement d'ouverture, c'est-à-dire trouver son origine dans un fait générateur né après le jugement d'ouverture. Elle doit ensuite être née régulièrement, ce qui implique qu'elle soit crée du chef d'une personne agissant dans le cadre des pouvoirs que la loi et le tribunal lui ont confié. La loi du 26 juillet 2005 (3) a ajouté un troisième critère qui implique que la créance soit née pour les besoins de la procédure.

    Dans cet arrêt du 1er décembre 2015, la Cour de Cassation rappelle d'ailleurs que seules ces trois conditions sont nécessaires et que contrairement à ce qu'a avancé la Cour d'Appel, on ne cherche pas à savoir si les créances ont été faites dans l'intérêt des créanciers.

     

    Comme le démontre notre arrêt, le dernier critère mis en place fait l'objet de nombreux contentieux. En effet, il parait assez difficile de savoir dans quelle mesure une créance est née pour les besoins de la procédure. On peut affirmer sans ambiguité que les frais de justice ou le paiement de l'administrateur rentrent dans ce champ d'application. La jurisprudence a également eu l'occasion d'affirmer que tel était le cas des cotisations sociales qui correspondent aux salaires. En revanche, une amende ou une dépense liée à la vie privée ne rentre pas dans ce champ d'application (4)

    Mais qu'en est il par exemple du dommage né d'un contrat utile à l'entreprise ?

     

    En ce qui concerne les frais d'honoraires de l'avocat, la Cour de Cassation affirme ici pour la première fois que les prestations fournies par l'avocat après le jugement d'ouverture sont utiles à la procédure en cours et de ce fait attribuent la qualité de créancier méritant. En l'espèce ce choix se comprend aisément dans la mesure où la procédure d'appel est une procédure complexe qui nécessite une assistance juridique.

    Comme le rappelle Alain Lienhard dans son article (5), cette décision fait écho à la jurisprudence majoritaire.

    La question qui reste désormais en suspend est celle de savoir si l'avocat qui intervient en simple qualité de conseil pourra lui aussi bénéficier de cette préférence.

     

    Lucie PARIS

     

    (1) Cass. com., 1er décembre 2015, n° 14-20.668, F-P+B

    (2) Cour d'appel de Bourges., 15 mai 2014

    (3) Loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises 

    (4) Cass., 12 mars 2013 : la créance de loyer d'habitation du débiteur échue postérieurement au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire n'est pas une créance née pour les besoins du déroulement de la procédure.

    (5) Alain Lienhard « Créance prioritaire : honoraires du débiteur au titre des droits propres» Dalloz actualité, édition du 4 janvier 2016

     

  • Rappel sur le régime fiscal du bitcoin et l’anonymat des transactions

    Article publié le 16 mai 2018

     

    Le bitcoin n’est encadré par aucune autorité centrale capable de créer de la monnaie ou de réguler les transactions. C’est l’offre et la demande qui endossent ce rôle. Cette monnaie présente de nombreux avantages notamment l’anonymat des transactions effectuées. Cependant, il est important de préciser que les détenteurs de bitcoins sont soumis aux impôts et aux contrôles de l’administration fiscale.

    Il convient d’apporter quelques précisions sur le régime fiscal auquel est soumis cette cryptomonnaie. Le fisc considère ainsi que les cryptomonnaies sont des « unités de compte virtuelles stockées sur un support électronique, qui peuvent être valorisées et utilisées comme outil spéculatif ».

    Dès lors, lorsque les gains réalisés sont de nature occasionnelle, ils seront soumis à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC). Ces gains seront additionnés aux autres revenus du contribuable et seront soumis au barème progressif de l’impôt. Ils feront également l’objet de prélèvements sociaux.

  • L'affaire Monsanto : La responsabilité du producteur du fait des produits défectueux

    Article publié le 21 décembre 2020

     

    Par un arrêt du 21 octobre 2020[1], la Cour de cassation s’est prononcée sur la responsabilité du producteur sur le fondement du régime spécial de la responsabilité du fait des produits défectueux.

    En l’espèce, un agriculteur avait acheté auprès d’une coopérative agricole un désherbant produit sous le nom de « Lasso » par la société Monsanto. L’agriculteur avait inhalé accidentellement les vapeurs de l’herbicide commercialisé par la société jusqu’à son retrait en 2007.

  • La rupture brutale des relations commerciales établies dans le contrat de gérance-mandat

    Article publié le 30 décembre 2019

     

    Le 02 octobre 2019[1], la Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois sur la rupture brutale des relations commerciales établies concernant un contrat de gérance-mandat.

    Dans les faits, une société de conseil et une enseigne de distribution de produits ont conclu, pour l'exploitation d'un magasin appartenant à cette dernière, un contrat de gérance-mandat d'une durée d'un an avec tacite reconduction, prenant effet au 01 avril 2010. L’enseigne qui est le mandant, a informé le gérant-mandataire, par lettre du 14 janvier 2013, que le contrat ne serait pas renouvelé au-delà du 31 mars 2013. Ce dernier l'a donc assigné en paiement de dommages-intérêts, notamment pour rupture brutale de la relation commerciale établie en application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et, subsidiairement, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, ainsi qu'en annulation de la clause de non-concurrence post-contractuelle et en réparation du préjudice correspondant.

     

  • Le sort du contrat de mandat dans la cession d'un fonds de commerce

    Article publié le 21 novembre 2017

     

    La chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 28 juin 2017, a eu l’occasion de se prononcer sur la composition du fonds de commerce et d’apporter des précisions quant au sort des contrats liés à l’exploitation de ce dernier, notamment en ce qui concerne le contrat de mandat.

    En l’espèce, la société Pampr’œuf a conclu le 8 janvier 2011 avec la société Val de Vienne immobilier, un contrat de mandat, ayant pour objet la recherche d’un domaine agricole à acquérir, pour une durée d’un an. Cependant au cours de cette même année, la société Val de Vienne immobilier a été mise en liquidation judiciaire le 6 avril 2011. L’ordonnance de la cession du fonds de commerce est intervenue le 22 avril 2011 et l’acte fut signé le 20 septembre 2011 au profit de la société Val de Vienne société nouvelle. La société Pampr’œuf a acquis le domaine immobilier recherché le 1er décembre 2011, ainsi la société nouvelle Val de Vienne a assigné la société mandante, la société Pampr’œuf au paiement de la commission convenue.

  • Renouvellement du bail commercial : protection du commerçant locataire en cas d’adjudication

    Article publié le 24 novembre 2017

     

    Dans un arrêt de la troisième chambre civile du 7 septembre 2017 (n°16-17.174), la Cour de cassation a pu affirmer qu’un adjudicataire, nouveau bailleur, ne peut pas réclamer la nullité du renouvellement du bail commercial même si la demande de ce renouvellement intervient après le commandement aux fins de saisie-vente.

    En l’espèce, la société, Noga, consent un bail commercial à la société, Claubon en 1997. En 2002, la société Noga reçoit un commandement aux fins de saisie-vente. Trois ans plus tard, la société locataire adresse une demande de renouvellement de bail et une demande en fixation du loyer du bail renouvelé au 1er avril 2006. Entre temps, la société Jesta, adjudicataire, devient le nouveau bailleur de la société Claubon.

    En septembre 2010, le bailleur donne congé à sa locataire. Deux mois après, il assigne la locataire en nullité de ces deux demandes. La locataire se défend et soulève la prescription biennale de l’action en fixation du loyer.

  • La crise économique comme justification de la rupture d’une relation commerciale

    Article publié le 19 janvier 2018

     

    La baisse de commandes liée à une crise économique du secteur d’activité en cause, permet-elle d’engager la responsabilité du donneur d’ordre en application de l’article L.442-6 5° du Code de commerce ? C’est par un arrêt du 8 novembre 2017, que la chambre commerciale de la Cour de cassation va répondre à cette interrogation en écartant l’application de cette disposition.

    En l’espèce, deux sociétés, une française et l’autre bangladaise ont débuté leurs relations commerciales en 2000. La société bangladaise assurait pour le compte de la société française la maîtrise d’œuvre de chemises fabriquées au Bangladesh, moyennant le versement de commissions calculées en fonction du volume des commandes. À partir d’octobre 2008, les commandes de la société française diminuèrent. En janvier 2010, la société bangladaise a notifié à la société française une augmentation du coût unitaire des chemises au motif que la baisse des commandes entraînait une augmentation des coûts de production. La société française a répondu qu’il ne lui était plus possible de lui commander des chemises du fait de cette augmentation. Par la suite, la société bangladaise a assigné le distributeur français en demande de dommages et intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie et pour comportement parasitaire.

  • Seul un manquement postérieur au renouvellement peut justifier la résiliation d’un bail commercial

    Article publié le 2 avril 2018

     

    Les manquements contractuels antérieurs au renouvellement du bail commercial peuvent-ils justifier  une résiliation judiciaire du bail renouvelé? La troisième chambre civile de la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question dans un arrêt du 1er février 2018. Cette solution vaut dans les cas où la demande de renouvellement du locataire a déjà été acceptée par le bailleur, ce dernier ne pouvant donc pas en demander la résiliation judiciaire pour des manquements antérieurs au renouvellement.

    En l’espèce, une société preneuse à bail de locaux commerciaux depuis le 29 mars 2013, a demandé le renouvellement du bail pour laquelle le bailleur n’a donné aucune réponse. A plusieurs reprises des travaux ont été réalisés dans les lieux. Le bailleur, mécontent des travaux réalisés, a délivré à la société preneuse des commandements lui enjoignant de les faire cesser. Le preneur à bail a assigné le bailleur en nullité du dernier commandement. Le bailleur a donc formé une demande de résiliation judiciaire du bail.

    La cour d’appel de Pau a fait droit à cette demande dans un arrêt 22 novembre 2016. Les juges du fond retiennent que « l'absence de réponse du bailleur à la demande de renouvellement dans le délai de trois mois ne vaut pas acceptation des manquements contractuels antérieurs à cette demande et n'a aucune conséquence sur la demande en résiliation du bail ».

  • Précisions sur les conditions de déchéance des droits du titulaire sur sa marque

           Arrêt publié le 11 janvier 2021

    Dans un arrêt de cassation rendu le 4 novembre 2020[1] la chambre commerciale précise que la déchéance des droits d’une marque ne peut avoir lieu qu’après l’expiration d’un délai de cinq ans suivant son enregistrement et sans usage sérieux de cette dernière.  Durant cette période, le propriétaire de la marque reste en droit de se prévaloir de toute atteinte à ses droits sur sa marque comme peuvent l’être une contrefaçon ou un risque de confusion. 


    [1] Cass. Com., 4 novembre 2020, n° 16-28.28.

  • La rupture du contrat d’agence commerciale donne droit à indemnisation même si celle-ci est intervenue au cours de la période d’essai

    Article publié le 22 février 2019

     

    Dans un arrêt rendu le 23 janvier 2019, la chambre commerciale a censuré la décision de la Cour d’appel qui avait décidé que l’indemnité compensatrice prévue en cas de rupture du contrat d’agence commerciale n’était pas due si la rupture intervenait au cours de la période d’essai.

    Cet arrêt met fin à un litige de plusieurs années opposant deux sociétés, litige qui s’est même retrouvé devant la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) à cause d’une question préjudicielle soulevée par la Cour de cassation.