L’absence de plafonnement de l’indemnité d’éviction du bail commercial interroge
- Par jurisactuubs
- Le 22/01/2024
- Dans Droit des affaires
- 0 commentaire
Arrêt publié le 27 janvier 2021
Dans un arrêt en date du 10 décembre 2020[1], la troisième chambre civile de la Cour de cassation renvoie au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’atteinte engendrée par l’indemnité d’éviction au droit de propriété du bailleur.
En l’espèce, le bailleur d’un immeuble à usage professionnel refuse le renouvellement du bail et octroie le paiement d’une indemnité d’éviction au preneur. Ce dernier assigne alors son cocontractant en fixation du montant de l’indemnité légale prévue par l’article L.145-14 du Code de commerce[2].
Le tribunal judiciaire de Paris, par un jugement du 17 septembre 2020, transmet une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au regard de l’atteinte disproportionnée que porterait l’indemnité d’éviction au droit de propriété du bailleur. Sont visés plus précisément la conformité de l’article L.145-14 du Code de commerce à la Constitution ; au bloc de constitutionnalité notamment au regard du droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 ; à la liberté contractuelle garantie par l’article 4 de la de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ; au principe d’égalité garanti par l’article 1er de la Constitution et les articles 1 et 6 de la Déclaration des droits de l’Homme.
La troisième chambre civile de la Cour de cassation a estimé que la question présentait un caractère sérieux. En effet, la haute juridiction considère que l’indemnité d’éviction, qui prend en compte la valeur du fonds de commerce, n’est pas plafonnée. Dès lors, l’indemnité peut être supérieure à la valeur réelle du commerce remettant ainsi en considération l’absence de plafonnement de l’indemnité d’éviction. Selon la Cour de cassation, une telle situation est susceptible de causer au bailleur une atteinte disproportionnée à son droit de propriété[3].
En pratique pour calculer le droit au montant de l’indemnité, le texte de l’article L.145-14 du Code de commerce prévoit qu’est pris en considération la « valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre »[4].
Ainsi, la valeur du fonds de commerce est un critère essentiel de la détermination du montant de l’indemnité d’éviction. Généralement égale au préjudice subi par le défaut de renouvellement, l’indemnité d’éviction reste délicate à quantifier tant pour le bailleur, que pour le preneur qui risque de se voir attribuer une somme inférieure à la valeur du fonds de commerce. En l’absence de principes d’évaluation, la jurisprudence de la Cour de cassation ne manque pas de préciser les éléments à prendre en compte dans le calcul de l’indemnité d’éviction[5].
Pourtant, pour le bailleur la fixation d’une indemnité peut engendrer une distorsion de son droit de propriété lorsque l’indemnité est bien supérieure à la valeur vénale de l’immeuble.
Reste à savoir, selon le Conseil Constitutionnel, si l’article L.145-14 devra être contraint de subir une réécriture afin de se conformer aux textes constitutionnels et, limitant ainsi l’atteinte au droit de propriété du bailleur.
Margaux YAGUES
[1] Cass. Civ 3e, QPC 10 déc.2020, n°20-40.059.
[2] Art.L.145-14 C. Commerce. : - « Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement ».
[3] J. PRIGENT, « L’absence de plafonnement du montant de l’indemnité d’éviction est susceptible de porter atteinte au droit de propriété », 17 déc.2020, www.lexbase.fr.
[4] Art.L.145-14 C. Commerce al.2.
[5] Cass. Civ 3e 5 fév.2014, n°13-10.174.
Ajouter un commentaire