L’impossible dissolution judiciaire de la société pour mésentente sans paralysie du fonctionnement

Article publié le 10 février 2023

 

 

Cass. Civ 1, 18 janvier 2023, n°19-24.671

 

 

 

 

Capture d e cran 2022 12 22 a 14 30 28l est désormais acquis que la dissolution d’une société peut être prononcée en cas de mésentente entre les associés de cette dernière. C’est en effet ce qui ressort de l’article 1844-7 du code civil, qui dispose que « la société prend fin par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d’un associé pour justes motifs, notamment en cas d’inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société »[1].

En la matière, l’arrêt du 18 janvier 2023[2] a été l’occasion pour la Cour de cassation de rappeler que sans paralysie du fonctionnement, la dissolution judiciaire de la société ne peut être prononcée.

En l’espèce, le capital d’une société civile était réparti entre trois associés. Le gérant détenait 50% des parts, tandis que les deux autres associés détenaient 25% chacun. La société civile était propriétaire de deux terrains donnés à bail à deux sociétés, toutes deux ayant le même gérant.

Par ailleurs, sur le fondement de l’article 1844-7, 5°, les deux associés détenant respectivement 25% des parts sociales, avaient demandé la dissolution judiciaire de la société civile en invoquant la mésentente entre les associés causant une paralysie du fonctionnement de la société.

Agissant à titre personnel, le gérant de la société civile avait de ce fait interjeté appel d’un jugement assorti de l’exécution provisoire ayant prononcé la dissolution de la société.

Par un arrêt rendu le 26 septembre 2019, la Cour d’appel de Montpellier avait fait droit à la demande du gérant en rejetant la demande de dissolution judiciaire de la société.

Les deux associés détenant respectivement 25% des parts de la société civile ont donc formé un pourvoi en cassation.

Les demandeurs estimaient entre autres que « en présence d’une mésentente avérée entre les associés d’une société, dont chaque bloc détient la moitié des droits sociaux, la circonstance que la rédaction des statuts permet un fonctionnement apparent des organes sociaux, grâce aux pouvoirs statutaires accordés à l’associé gérant statutaire et, notamment, à la voix prépondérante dont il dispose en assemblée générale en cas de partage des voix, ne saurait à elle seule exclure l’existence d’une paralysie effective du fonctionnement de la société ». Ils estimaient également que « la mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société justifie que soit prononcée sa dissolution sans qu’il soit nécessaire que soit établie que ladite société est dans une situation irrémédiablement compromise ».

 

Capture d e cran 2023 02 10 a 11 55 47

 

Il revenait donc à la Haute juridiction de répondre à la question suivante : la dissolution judiciaire d’une société pour mésentente peut-elle être prononcée dès lors que des dispositions statutaires permettent d’adopter des résolutions nécessaires au bon fonctionnement de la société et de prévenir tout blocage en cas de désaccord ?

À cela, la Cour de cassation répond par la négative en retenant que « en dépit de la répartition égalitaire des titres entre les associés, les dispositions statutaires de la société permettaient d’adopter les résolutions nécessaires à son bon fonctionnement et de prévenir, en cas de désaccord, tout blocage en raison de l’attribution, lors des assemblées générales, d’une voix prépondérante au gérant qui en assurait la présidence, qu’elles donnaient aux associés la possibilité de se retirer totalement ou partiellement de la société ». En d'autres termes, dès lors qu’aucun des deux associés n’avaient formulé une telle requête, l’activité de cette société pouvait se poursuivre en dépit des conflits entre les associés. Elle pouvait également continuer de fonctionner après le retrait d’un ou plusieurs associés.

Par cette solution, la Haute juridiction rappelle que la seule mésentente entre les associés ne suffit pas à justifier la dissolution de la société. C’est bel et bien la paralysie du fonctionnement de la société, causée par cette mésentente qui permet la dissolution[3]. Mais encore, dès lors que des dispositions statutaires permettent de palier à un éventuel blocage, évitant ainsi toute paralysie du fonctionnement, la dissolution de la société ne peut être prononcée.

Finalement, la solution rendue le 18 janvier 2023 permet de venir préciser les termes de l’article 1844-7 du code civil et de rappeler que le critère de paralysie du fonctionnement se doit d’être systématiquement apprécié en la matière.

Emma Le Toriellec

017dbdd0 89a6 4b28 b8bb 5117a4a3f096

 

 

 


[1] Article 1844-7 du code civil

[2] Cass. Civ 1, 18 janvier 2023, n°19-24.671

[3] Cass. Com., 5 avril 2018, n°16-19.829

 
  • 1 vote. Moyenne 5 sur 5.

Ajouter un commentaire