Limite à la présomption de solidarité en matière commerciale

 

(Cass. com.; 24 janvier 2024, n°20-13.755)

 

Le 24 janvier 2024, la Cour de cassation a rendu un arrêt précisant le mécanisme de la présomption de solidarité commerciale lors d’une cession de contrôle.

 

Dans cette affaire, quatre associés détenaient l’intégralité des 7000 parts d’une société. Le 4 juillet 2011, ils ont transmis 6930 parts sociales à une société espagnole à travers quatre actes distincts. Cette opération a conduit à la prise de contrôle de la société cédée par la société cessionnaire. Le même jour, dans un cinquième acte, l’un des cédants a cédé les 70 parts restantes de la société cédée au dirigeant de la société cessionnaire. Chacun de ces actes de cession était assorti d’une garantie de passif1.

 

Le 29 juillet 2015, la société cessionnaire et son dirigeant ont assigné les cédants afin de mettre en œuvre cette garantie pour un passif non déclaré et antérieur à la cession.

 

Par une décision du 19 décembre 2019, la Cour d’appel de Lyon2 a condamné solidairement les cédants à verser une certaine somme à la société cessionnaire ainsi qu’à son dirigeant. Selon les juges du fond, la cession revêtait indiscutablement un caractère commercial. Les cédants sont alors présumés solidaires, ce qui permet également au dirigeant de se prévaloir de cette solidarité. Les cédants se pourvoient alors en cassation.

 

La Cour de cassation censure l’arrêt attaqué pour violation de l’article 1202 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 20163. Elle retient que le dirigeant de la société cessionnaire n’avait acquis de parts que de l’un des cédants, de sorte que la solidarité dont bénéficie la société cessionnaire envers l’ensemble des cédants ne peut produire d’effet à l’égard du dirigeant.

 

Par principe, la solidarité ne se présume pas. Par dérogation à l’article 1310 du Code civil, la Cour de cassation a depuis longtemps admis une exception à cette règle en matière de solidarité commerciale4. Par ailleurs, bien que la cession d’actions ou de parts sociales soit un acte civil, la Cour de cassation a établi que la cession de contrôle revêt un caractère commercial5. Ainsi, la solidarité est présumée entre les cédants lors d’une cession de contrôle.

 

Récemment, dans un arrêt rendu le 30 août 20236, la Cour de cassation a apporté des précisions sur ces règles coutumières en retenant la solidarité d’obligations nées de contrats distincts dès lors que celles-ci ont été contractées dans un même but, celui d’une cession de contrôle.

 

Dans l’arrêt, objet de notre commentaire, la Cour de cassation soutient que la solidarité bénéficie à la société cessionnaire envers l’ensemble des cédants. En effet, chaque associé avait cédé ses parts à la société cessionnaire par acte distinct, et chacun de ces actes contenait une clause de garantie de passif. Bien que les obligations des cédants aient été issues de contrats distincts, elles avaient le même effet : la prise de contrôle de la société.

 

Seuls les quatre actes de cession emportaient transfert du contrôle de la société. Le dirigeant n’a acquis que 70 parts, devenant associé ultra-minoritaire. Cette cession ne présente pas de caractère commercial car elle ne constitue pas une cession de contrôle. En conséquence, les cédants ne sont pas solidairement tenus envers le dirigeant.

 

L’enseignement de la Cour de cassation est clair : la solidarité est présumée en cas de cession de contrôle, mais seules les obligations nées de conventions ayant pour effet le transfert du contrôle sont solidaires.

 

Eva THEBAULT.

 

 

 

 

 

SOURCES :

- P. CATHALO, Cession de droits sociaux : absence de solidarité entre cédants, le Quotidien, Lexbase, février 2024. Disponible sur Cession de droits sociaux : absence de solidarité entre cédants | Lexbase

- P. GAIARDO, Précisions sur la solidarité commerciales en cas de cession de contrôle, Dalloz Actualité, 8 février 2024. Disponible sur Précisions sur la solidarité commerciale en cas de cession de contrôle - Affaires | Dalloz Actualité (dalloz-actualite.fr)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1 Selon T. ALLAIN, il s'agit des clauses obligeant le cédant (garant) à garantir le cessionnaire (garanti) de la diminution de la valeur des actions résultant de la sous-évaluation du passif de la société dont les droits sociaux ont été cédés.

2 CA Lyon 19 décembre 2019 n°17/04509

3 Aux termes de ce texte, la solidarité ne se présume pas ; il faut qu'elle soit expressément stipulée. Cette règle ne cesse que dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit, en vertu d'une disposition de la loi.

4 Req 20 oct 1920

5 Com 28 nov 1978 n°77-12.609

6 Com. 30 août 2023 n°22-10.433

 
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