Articles de jurisactuubs

  • Le principe de nécessité et de proportionnalité des peines et des délits n’interdit pas le cumul de sanctions de natures différentes.

    (Civ. 2e, 18 janv. 2024, FS-B, n° 23-12.483)

    Dans un arrêt rendu le 18 janvier 2024, la Cour de cassation refuse de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité, en application du principe de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines.

    En décembre 2019, une caisse d’allocations familiales a assigné un bénéficiaire pour fausse déclaration en vue d’obtenir une prestation, délit réprimé par l’article 441-6 du Code pénal.

    Par jugement en date du 17 mars 2021, le tribunal correctionnel de Grenoble l’a condamné à une amende de 1 000 euros assortie d’un sursis.

    En se fondant sur l’article L.114-7 du Code de la sécurité sociale, la caisse d’allocations familiales lui a notifié une pénalité financière de 200 euros, suivie d’une contrainte de 220 euros correspondant à la pénalité financière majorée de 10 %.

    Dans ce contexte, l’allocataire a soumis une question prioritaire de constitutionnalité à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, demandant son renvoi au Conseil Constitutionnel.

    Cette démarche vise à éclaircir la conformité de l’article L. 114-7 du Code de la sécurité sociale, qui réprime des faits similaires à ceux couverts par l’article 441-6 du Code pénal, avec le principe de nécessité des délits et des peines, ainsi qu’avec le principe de proportionnalité des délits et des peines.

    Après avoir examiné la demande, la Haute juridiction a décidé de ne pas renvoyer cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, considérant que celle-ci est dépourvue de caractère nouveau et sérieux.

    Par principe, le Conseil constitutionnel retient le non-cumul des sanctions de même nature1, conformément au principe de nécessité des délits et des peines, prévu par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen2.

    Toutefois, la Cour de cassation rappelle que ce principe ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits, commis par une même personne, puissent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente, en application de corps de règles distincts3.

    Or, l’article L 147-17 du Code de la sécurité sociale envisage une pénalité financière, tandis que l’article 441-6 du Code pénal prévoit une peine d’amende, une peine d’emprisonnement, ainsi que des peines complémentaires en cas de fausse déclaration dans le but d’obtenir une allocation.

    Ces sanctions revêtant une nature différente, le grief tiré d’une méconnaissance du principe de nécessité des délits et des peines est écarté.

    Deuxièmement, les juges de cassation rappellent une position constante du Conseil constitutionnel. Dans l’éventualité où deux procédures engagées conduisent à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité des délits et des peines implique que le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues. Dès lors, il incombe aux autorités administratives et judiciaires compétentes de veiller au respect de cette exigence4.

    L‘article L.114-17 du Code de la sécurité sociale prévoit que lorsque l’intention de frauder est établie, le montant de la pénalité est fixé à 4 fois le plafond mensuel de la sécurité sociale. Par ailleurs, l’article 441-6 du Code pénal sanctionne ce comportement de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

    En l’espèce, le cumul des montants globaux des sanctions infligées est nettement inférieur au montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues.

    Par conséquent, cette question prioritaire de constitutionnalité, dépourvue de caractère sérieux, n’est pas transmise au Conseil constitutionnel.

    Ayant une portée pédagogique, cet arrêt réaffirme que le principe non bis in idem prévoit simplement qu’en cas d’une seule infraction, une seule sanction de même nature est envisageable. En revanche, il autorise, le cumul de sanctions de natures différentes.

    Eva THEBAULT.

    SOURCES :

    - Civ. 2e, 18 janv. 2024, FS-B, n° 23-12.483

    - D. GOETZ, « Fraude sociale : non-transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel », Dalloz Actualité, 30 janvier 2022. Disponible sur Fraude sociale : non-transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel - Pénal | Dalloz Actualité (dalloz-actualite.fr)

    1 CC 3 déc 2021 QPC n° 2021-953

    2 Article 8 de la Déclaration des Droit l’Homme et du Citoyen : "la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée". 

    3 QPC 21 nov 2021 n° 2021-942

    4 DC n°89-200 28 juillet 1989

  • La présomption irréfragable de connaissance des vices pour le seul vendeur professionnel et l’exercice de l’action récursoire

    (Cass.com., 17 janv. 2024, n°21-23.909)

    Par un arrêt de cassation en date du 17 janvier 2024, publié au bulletin, la chambre commerciale de la Cour de cassation se prononce sur la présomption irréfragable de connaissance des vices pour le seul vendeur professionnel et l’exercice de l’action récursoire.

    En l’espèce, une société consent à un exploitant forestier un contrat de location-vente d’un tracteur. Quelques mois plus tard, l’engin prend feu lors de son ravitaillement en carburant occasionnant sa destruction et des dégâts aux propriétés environnantes.

    L’expertise diligentée par l’assureur du preneur de la location-vente conclut à l’existence d’un vice caché.

    L’assurance de l’exploitant assigne la société venderesse et son assuré en garantie légale des vices cachés. Le preneur exerce devant la Cour d’appel une action récursoire contre le vendeur.

    Par un arrêt du 7 septembre 2021, la Cour d’appel de Pau déclare irrecevable pour cause de prescription l’action récursoire et condamne la société venderesse ainsi que l’exploitant à indemniser la compagnie d’assurance pour les frais d’assistance à l’expertise et pour les fonds touchés par l’incendie.

    L’exploitant se pourvoit en cassation. Il estime, tout d’abord, que seul le vendeur professionnel doit être présumé connaître les vices et qu’en l’occurrence son activité forestière ne lui permet pas de bénéficier de cette qualité. Ensuite, il reproche aux juges du fond de déclarer irrecevable son action récursoire alors que « l’action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l’acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice, sans avoir à être intentée dans un délai de prescription de cinq ans à compter du jour de la vente ».

    Au visa des articles, 1645, 1648 et 2232 du Code civil, la chambre commerciale de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Pau.

    Tout d’abord, les magistrats du Quai de l’Horloge assoient leur première cassation en rappelant qu’il résulte de l’article 1645 du Code civil « une présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice qu’il a vendu, qui l’oblige à réparer l’intégralité de tous les dommages qui en sont la conséquence ». Il s’agit d’une position jurisprudentielle constante. Pour que cette solution déjà bien établie par la Cour de cassation puisse s’appliquer, il est indispensable que les juges du fond opèrent une distinction entre le vendeur professionnel et le vendeur non professionnel. C’est exactement là où le bât blesse. La cassation a été prononcée, pour défaut de base légale, car la Cour d’appel de Pau n’a pas été en mesure de caractériser la qualité de vendeur professionnel de l’exploitant. Pour retenir cette qualité, la cour d’appel de renvoi de Bordeaux devra vérifier si le preneur « se livrait de façon habituelle à la vente d’engins agricoles ».

    Ensuite, la Cour de cassation reprend la solution de la chambre mixte pour prononcer sa seconde cassation en rappelant, au visa de l’article 1648, alinéa 1, et 2232 du Code civil, que « l’action en garantie des vices cachés doit être exercée dans les deux ans à compter de la découverte du vice ou, en matière d’action récursoire, à compter de l’assignation, sans pouvoir dépasser le délai-butoir de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit, lequel est, en matière de garantie des vices cachés, le jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie ». Par cette solution, la Cour de cassation confirme que l’action récursoire fondée sur les vices cachés peut intervenir dans le délai-butoir de vingt ans prévu à l’article 2232 et ce, peu importe que la vente soit commerciale ou mixte ou qu’elle ait eu lieu avant 2008.

    Une chose est sûre, la garantie légale des vices cachés n’a jamais autant fait parlé d’elle que ces derniers mois !

    Dorian GABORY

    Sources :

    • HELAINE Cédric, « Vices cachés : présomption irréfragable de connaissance du vendeur professionnel et mise en œuvre de l’action récursoire », [en ligne], Dalloz Actualité, février 2024, [consulté en février 2024]. https://www.dalloz-actualite.fr/

    • PLANCKAERT Héloïse, « Présomption de connaissance du vice : ne pas confondre professionnel et vendeur professionnel », [en ligne], Revue Droit civil, Lamyline, janvier 2024, [consulté en février 2023]. https://www.lamyline.fr

  • Le numéro SIREN, simple outil d’identification et non d’acquisition de la personnalité morale d’une société

    Cass.com., 29 novembre 2023, n°22-16.463, publié au bulletin

    Dans un arrêt de rejet du 29 novembre 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation a indiqué que le numéro SIREN attribué à une société, n’est destiné qu’à l’identifier auprès des administrations, des personnes ou organismes, mais n’est pas une condition nécessaire à l’acquisition de la personnalité juridique.

     

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  • Le Conseil d’État autorise la mise à disposition des logements étudiants durant les Jeux Olympiques et Paralympiques

    CE 29 déc. 2023, n° 488337

     

    Les Jeux Olympiques et Paralympiques sont des évènements majeurs de l’année 2024 qui nécessitent des moyens humains très élevés. Le CROUS[1] a ainsi décidé d’héberger les volontaires et partenaires des Jeux d’été dans ses résidences universitaires. Les étudiants sont informés de cette décision dans un courriel indiquant que leurs droits d’occupation s’achèveront le 30 juin 2024 contre le 31 août habituellement.

    Un syndicat attaque cette décision devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris qui rend une ordonnance de suspension de l’exécution de cette décision le 31 août 2023[2], a estimé qu’un doute sérieux quant à la légalité de la décision. La CROUS se pourvoit devant le Conseil d’État. Il demande l’annulation de l’ordonnance de suspension, le rejet la demande du syndicat et le versement d’une somme de 3 000 euros de la part du syndicat.

    Le Conseil d’État rejette le pourvoi au motif qu’une délibération du conseil d'administration du CROUS de Paris du 6 novembre 2023 a fixé les modalités de logement pour les étudiants occupant les résidences concernées par cette mise à disposition du nouveau public. En effet, cette délibération postérieure à l’ordonnance de référé garantit « le renouvellement du droit d'occupation des étudiants occupant un logement » et accorde « diverses aides pour pallier les conséquences d'un changement de logement ». La Haute juridiction administrative conclut que le courriel ayant fait l’objet de référé n’est plus susceptible de produire d’effet du fait de cette délibération et déclare le pourvoi sans objet et donc irrecevable.

    Le Conseil d’État ne s’est pas contenté de juger le pourvoi sans objet et donc irrecevable. Il a surmotivé sa décision. On peut voir dans cette démarche une volonté du Conseil d’État de couper court à tout recours en interprétant le fond du litige. Pour ce faire il base son interprétation sur deux articles.

    Tout d’abord, il motive sa décision par l’article L.822-1 du Code de l’éducation[3]. Si le Conseil d’État admet que cet article comprend le logement, il estime néanmoins qu’aucun texte ne prévoit le bénéfice d’un logement au-delà du 30 juin. Le seul délai qui régit le bail est un délai maximal d’un an et non un délai minimal. Le Conseil d’État précise aussi que le 30 juin correspond « en règle générale, à la fin de l'année de formation dispensée dans les établissements d'enseignement supérieur ». Il semble donc que l’illégalité d’une mise à disposition puisse être retenu, en vertu de l’article L.822-1 du Code de l’éducation, si elle était intervenue durant les périodes normales de formation.

    En outre, il cite l’article L.631-12 du Code de la construction et de l'habitation qui précise que la résidence universitaire « accueille des étudiants, des personnes de moins de trente ans en formation ou en stage et des personnes titulaires d'un contrat de professionnalisation ou d’apprentissage ». Cependant, il tempère directement cette disposition en citant l’article L.631-12-1 du même Code qui dispose d’une possibilité, si la résidence n’est pas complète après le 31 décembre, pour le gestionnaire, de « louer les locaux inoccupés pour des séjours d'une durée inférieure à trois mois s'achevant au plus tard le 1er octobre de l'année suivante, particulièrement à des publics reconnus prioritaires par l'État au sens de l'article L. 441-1 ». Le Conseil d’État en déduit deux conséquences.

    D’une part, les locaux n’étant pas entièrement occupés après le 31 décembre, si tous les logements sont libérés le 30 juin, le gestionnaire a le droit de louer à d’autres personnes dans une durée limitée de 3 mois.

    D’autre part, si le texte connait une dérogation pour loger des personnes « reconnues prioritaires par l’État », le gestionnaire peut mettre à la disposition de l’État ses logements, qu’il pourra lui-même attribuer aux volontaires et partenaires des Jeux Olympiques.

    C’est ici une interprétation critiquable du Conseil d’État. Si le « particulièrement » employé dans le texte nous fait comprendre que cette dérogation est ouverte à d’autres types de publics, on pourrait au moins penser que ce public serait prioritaire. Cela ne semble pas être le cas, d’après le Conseil d’État, puisqu’il laisse le choix de l’attribution à l’État.

     

    Hugo SOUESME               

    Sources :

    C. DE MONTECLER, « Les logements étudiants peuvent être utilisés pour les Jeux olympiques », Dalloz actualité, 18 janvier 2024, https://dalloz.ezproxy.univ-ubs.fr/documentation/Document?id=ACTU0221067

    M. TOUZEIL-DIVINA, « Irrecevabilité du recours médiatisé des étudiants délogés du Crous pour cause de JO », La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales, n° 2, 15 janvier 2024, p.27


    [1] Centre régional des œuvres universitaires et scolaires.

    [2] ordonnance n° 2319295/1 du 31 août 2023

    [3] C. éduc., Art. L. 822-1 : « Le réseau des œuvres universitaires contribue à assurer aux étudiants une qualité d’accueil et de vie propice à la réussite de leur parcours de formation ».