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  • Un monopole des institutions du football européen et international retoqué par le droit de l’Union européenne

    CJUE, 21 déc. 2023, aff. C-333/21

    Depuis plusieurs décennies le sport en Europe connait un développement économique croissant. Si, comme dans tout secteur économique, le droit commun se voit applicable, les spécificités ici sont telles que certains auteurs vont jusqu’à penser qu’un ordre juridique indépendant s’applique au sport[1]. C’est dans ce cadre que la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a dû se prononcer sur l’application du droit de la concurrence européen au football et, par extension au monde du sport.

     

    En l’espèce, le litige concerne les associations de droit privé européennes et internationales de Football (UEFA et FIFA) contre le regroupement de 12 clubs de football ayant créé une société espagnole. Cette société a pour ambition de créer une compétition concurrente à celle organisée par les deux associations précitées. A l’annonce de cette nouvelle compétition, l’UEFA et la FIFA ont menacé de sanctionner les clubs et joueur qui y participeraient. La société devant ces menaces, décide d’agir auprès du Tribunal de commerce de Madrid estimant que l’UEFA a violé les articles 101 et 102 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) réprimant des ententes anticoncurrentielles et l’abus de position dominante. Dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, prévu par l’article 267 du TFUE, les juges espagnols décident d’interroger sur l’application du droit européen au secteur du sport la CJUE le 11 mai 2021.

    La juridiction de l’Union européenne répond aux juges espagnols en indiquant qu’il faut tenir compte du droit de la concurrence même en droit du sport. Elle estime que l’organisation de compétitions interclubs et l’exploitation des droits de ces dernières sont « à l'évidence, des activités économiques » et qu’en conséquence les institutions sportives doivent « respecter les règles de concurrence ainsi que les libertés de circulation » et ce même si le sport a certaines spécificités comme l’existence d’associations dotées de pouvoirs de règlementation, de contrôle et de sanction.

     

    Cette interprétation de la CJUE a des conséquences concrètes pour le football européen mais aussi plus largement pour le sport européen.

    Dans cet arrêt, la CJUE retoque les règles imposant une autorisation préalable auprès de l’association pour l’organisation des compétitions interclubs. Cependant elle ne ferme pas totalement la porte à ce type de réglementation. En effet, elle sanctionne la légèreté de la procédure d’acceptation arbitraire de l’association et non le principe même d’acceptation. Ainsi, on peut penser qu’une procédure d’autorisation qui prendrait en compte des conditions transparentes, objectives et non discriminatoires pourrait être conforme, comme l’indique la solution.

     

    La CJUE, comme souvent, impose une interprétation favorisant un libéralisme économique. Il est important de noter plusieurs remarques.

    Il faut souligner avant tout le raisonnement très pragmatique des juges pour appliquer le droit commun de la concurrence européen. En effet, ils arrivent à surmonter le cloisonnement entre l’ordre juridique de l’UE et l’ordre juridique sportif qui transparait dans les statuts spécifiques de l’UEFA et la FIFA. Pour ce faire les juges ne viennent pas règlementer directement le fonctionnement de l’ordre juridique sportif mais les conséquences de cet ordre, qui pourraient être contraires au droit de la concurrence de l’Union.

    Cette interprétation s’explique également par la spécialisation de la CJUE, qui n’applique que les normes européennes. Or l’Union Européenne a pour but fondateur la libre concurrence, ainsi la CJUE défend logiquement dans cette décision cette libre concurrence. Ceci entraine souvent une prise en compte difficile des spécificités de domaine comme celui du sport. Ce n’est pas la première fois que le caractère libéral des arrêts de la CJUE frappe le football, puisque cela avait été le cas déjà avec le célèbre arrêt BOSMAN du 15 décembre 1995[2]. Ce dernier avait interdit les quotas de joueurs étrangers imposés par l’UEFA ; qui avait par la suite obtempéré.

    Il sera important de voir quelle sera la réponse de l’instance quant à l’arrêt traité aujourd’hui qui promet une révolution dans le monde du football et du sport.

     

    Hugo SOUESME

     

    Sources :

    D.BOSCO, « Superleague, ISU, Royal Antwerp FC : coup de semonce sur le sport européen », Contrats Concurrence Consommation, n° 2, Février 2024, comm. 29

    R. BOFFA, N. BLANC, M. GROS, B. HAFTEL, F. LE MENTEC et J-P.TRICOIT« Droit du sport », La Semaine Juridique Edition Générale, n° 05, 05 février 2024, doctr. 173


    [1]G. SIMON, « Existe-t-il un ordre juridique du sport ? », Droits 2001, n° 33, p. 97 et G. RABU, « L’organisation du sport par le contrat. Essai sur la notion d’ordre juridique sportif »,PUAM, 2010.

    [2]CJCE, 15 déc. 1995, aff. C-415/93.

  • Détermination des droits successoraux du conjoint survivant : l'intégralité des libéralités s’impute sur les droits légaux

    Civ 1ère., 17 janv. 2024, n° 21-20.520

     

    Dans un arrêt rendu le 17 janvier 2024, la Cour de cassation clarifie l’imputation des libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant.

    En l’espèce, un homme est décédé le 6 juin 2010, laissant pour lui succéder son épouse, leurs deux enfants communs et un fils né d’un premier mariage. Un testament olographe daté du 17 janvier 2010, désignait son épouse légataire de la pleine propriété de ses liquidités et valeurs et de l’usufruit de tous les biens meubles et immeubles qui composeraient sa succession. La succession a été partagée par acte du 1er décembre 2020.

    Le fils né d’un premier mariage, estimant avoir été lésé lors de la liquidation de la succession, a assigné en responsabilité le notaire.

    L’arrêt de la cour d’appel[1] note que le notaire avait manqué à son obligation d’information envers le fils mais estime que celui-ci n’a pas subi de perte de chance de négocier un partage plus avantageux. En effet, elle considère que les droits successoraux de l’épouse devaient se cumuler avec les libéralités consenties par le défunt. En application des articles 757 et 1094-1 du Code civil, elle bénéficie, selon les juges d'appel, outre du quart en pleine propriété, de l'usufruit des trois quarts au titre de la quotité spéciale au profit du conjoint survivant.

    Le fils forme alors un pourvoi en cassation arguant que le conjoint survivant ne peut cumuler ses droits légaux avec des libéralités, au détriment des héritiers réservataires.

    La Cour de cassation répond alors aux visas des articles 757 et 758-6 du Code civil. Elle rappelle que le conjoint survivant peut choisir entre l'usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens lorsque tous les enfants sont issus des deux époux et la propriété du quart en présence d'un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux. Aussi, les libéralités reçues s’imputent sur ses droits. Si elles sont inférieures à ses droits légaux, le conjoint peut réclamer le complément sans dépasser la quotité définie.

    La Cour de cassation censure alors la décision des juges du fond qui n’a pas permis de calculer l’exacte détermination des droits successoraux du conjoint survivant empêchant ainsi d’évaluer la perte de chance du requérant. Elle soutient que les legs doivent d’abord, non pas se cumuler, mais s'imputer intégralement sur les droits légaux du conjoint, de sorte qu'il y avait lieu de calculer la valeur totale de ces legs, en ajoutant à la valeur des droits légués en propriété celle, convertie en capital, des droits légués en usufruit, pour comparer le montant obtenu avec la valeur de la propriété du quart des biens, calculée selon l'article 758-5 du code civil.

    Les remariages posent souvent des problèmes de succession, surtout avec des enfants issus de précédentes unions. Une vigilance accrue est alors nécessaire pour protéger leurs intérêts. Bien que la règle pour les successions ouvertes depuis le 1er janvier 2007 est celle de l’imputation des libéralités consenties au conjoint survivant sur ses droits légaux, la méthode d’imputation reste débattue. Cette décision désavantage le conjoint survivant et est contraire à une décision de 2022[2] qui indiquait que les libéralités faites en usufruit s'imputent en assiette et non en valeur.

    La conjointe survivante avait le droit au quart en pleine propriété mais devait également tenir compte des libéralités reçues. Si celles-ci sont inférieures au quart en pleine propriété, le conjoint peut en réclamer le complément, sans jamais que cela ne dépasse le quart en pleine propriété autorisé. Elle peut conserver ses libéralités si celles-ci excèdent en valeur ses droits légaux mais ne pourra pas cumuler droits légaux et libéralités, pour ne pas désavantager les enfants. Toute l’attention se porte alors sur les calculs effectués.

    Le notaire doit réaliser le calcul et informer l’héritier, sous peine de voir sa responsabilité engagée. Le mieux est encore de rédiger correctement les libéralités et ses calculs, du vivant du testateur, afin de ne pas laisser les juges décider des droits du conjoint survivant.

    Léna RABILLARD

    SOURCES :

     -« Détermination des droits successoraux du conjoint survivant : l'intégralité des libéralités s’impute sur les droits légaux », (en ligne), LexisNexis 360, 29 janvier 2024, (consulté le 5 février 2024)

    -JAOUL M., « Imputation des libéralités au conjoint survivant sur ses droits légaux : la leçon de pédagogie de la première chambre civile », (en ligne), Dalloz actualité, Dalloz, 01 février 2024, (consulté le 5 février 2024)

    -SUVEICO A., « Les libéralités consenties au conjoint survivant doivent s’imputer sur ses droits légaux », (en ligne), Lamyline, 25 janvier 2024, (consulté le 6 février 2024)


    [1] CA Paris, 2 juin 2021, n° 18/02426.

    [2] Civ. 1re, 22 juin 2022, n° 20-23.215.

  • Limite à la présomption de solidarité en matière commerciale

     

    (Cass. com.; 24 janvier 2024, n°20-13.755)

     

    Le 24 janvier 2024, la Cour de cassation a rendu un arrêt précisant le mécanisme de la présomption de solidarité commerciale lors d’une cession de contrôle.

     

    Dans cette affaire, quatre associés détenaient l’intégralité des 7000 parts d’une société. Le 4 juillet 2011, ils ont transmis 6930 parts sociales à une société espagnole à travers quatre actes distincts. Cette opération a conduit à la prise de contrôle de la société cédée par la société cessionnaire. Le même jour, dans un cinquième acte, l’un des cédants a cédé les 70 parts restantes de la société cédée au dirigeant de la société cessionnaire. Chacun de ces actes de cession était assorti d’une garantie de passif1.

     

    Le 29 juillet 2015, la société cessionnaire et son dirigeant ont assigné les cédants afin de mettre en œuvre cette garantie pour un passif non déclaré et antérieur à la cession.

     

    Par une décision du 19 décembre 2019, la Cour d’appel de Lyon2 a condamné solidairement les cédants à verser une certaine somme à la société cessionnaire ainsi qu’à son dirigeant. Selon les juges du fond, la cession revêtait indiscutablement un caractère commercial. Les cédants sont alors présumés solidaires, ce qui permet également au dirigeant de se prévaloir de cette solidarité. Les cédants se pourvoient alors en cassation.

     

    La Cour de cassation censure l’arrêt attaqué pour violation de l’article 1202 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 20163. Elle retient que le dirigeant de la société cessionnaire n’avait acquis de parts que de l’un des cédants, de sorte que la solidarité dont bénéficie la société cessionnaire envers l’ensemble des cédants ne peut produire d’effet à l’égard du dirigeant.

     

    Par principe, la solidarité ne se présume pas. Par dérogation à l’article 1310 du Code civil, la Cour de cassation a depuis longtemps admis une exception à cette règle en matière de solidarité commerciale4. Par ailleurs, bien que la cession d’actions ou de parts sociales soit un acte civil, la Cour de cassation a établi que la cession de contrôle revêt un caractère commercial5. Ainsi, la solidarité est présumée entre les cédants lors d’une cession de contrôle.

     

    Récemment, dans un arrêt rendu le 30 août 20236, la Cour de cassation a apporté des précisions sur ces règles coutumières en retenant la solidarité d’obligations nées de contrats distincts dès lors que celles-ci ont été contractées dans un même but, celui d’une cession de contrôle.

     

    Dans l’arrêt, objet de notre commentaire, la Cour de cassation soutient que la solidarité bénéficie à la société cessionnaire envers l’ensemble des cédants. En effet, chaque associé avait cédé ses parts à la société cessionnaire par acte distinct, et chacun de ces actes contenait une clause de garantie de passif. Bien que les obligations des cédants aient été issues de contrats distincts, elles avaient le même effet : la prise de contrôle de la société.

     

    Seuls les quatre actes de cession emportaient transfert du contrôle de la société. Le dirigeant n’a acquis que 70 parts, devenant associé ultra-minoritaire. Cette cession ne présente pas de caractère commercial car elle ne constitue pas une cession de contrôle. En conséquence, les cédants ne sont pas solidairement tenus envers le dirigeant.

     

    L’enseignement de la Cour de cassation est clair : la solidarité est présumée en cas de cession de contrôle, mais seules les obligations nées de conventions ayant pour effet le transfert du contrôle sont solidaires.

     

    Eva THEBAULT.

     

     

     

     

     

    SOURCES :

    - P. CATHALO, Cession de droits sociaux : absence de solidarité entre cédants, le Quotidien, Lexbase, février 2024. Disponible sur Cession de droits sociaux : absence de solidarité entre cédants | Lexbase

    - P. GAIARDO, Précisions sur la solidarité commerciales en cas de cession de contrôle, Dalloz Actualité, 8 février 2024. Disponible sur Précisions sur la solidarité commerciale en cas de cession de contrôle - Affaires | Dalloz Actualité (dalloz-actualite.fr)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    1 Selon T. ALLAIN, il s'agit des clauses obligeant le cédant (garant) à garantir le cessionnaire (garanti) de la diminution de la valeur des actions résultant de la sous-évaluation du passif de la société dont les droits sociaux ont été cédés.

    2 CA Lyon 19 décembre 2019 n°17/04509

    3 Aux termes de ce texte, la solidarité ne se présume pas ; il faut qu'elle soit expressément stipulée. Cette règle ne cesse que dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit, en vertu d'une disposition de la loi.

    4 Req 20 oct 1920

    5 Com 28 nov 1978 n°77-12.609

    6 Com. 30 août 2023 n°22-10.433

  • Les droits sociaux nés postérieurement à la dissolution de la communauté universelle échappent à la qualification de recel de communauté.

    (Civ. 1re., 17 janv. 2024, n°22-11.303)

    Par un arrêt de cassation en date du 17 janvier 2023, publié au bulletin, la première chambre civile de la Cour de cassation apporte des éclaircissements sur l'articulation entre les principes du droit patrimonial de la famille et les règles en droit des sociétés.

    En l’espèce, un époux en instance de divorce, marié sous le régime de la communauté universelle, a déposé le 30 janvier 2012 une somme présumée commune sur un compte ouvert au nom d’une société civile immobilière en formation, correspondant, selon les statuts de la société, au montant de l’apport au capital social. La société a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 29 février 2012. Le divorce du couple a été prononcé par un jugement le 21 janvier 2013, lequel a homologué l’état liquidatif fixant la date des effets du divorce entre les époux concernant leurs biens au 27 février 2012.

    L'ex-épouse assigne son ex-époux en recel de communauté portant sur les parts sociales acquises par ce dernier au moyen de fonds présumés communs.

    Par un arrêt du 27 janvier 2022, la Cour d’appel de Versailles donne raison à l’ex-épouse. Elle déclare que le mari avait commis un recel de communauté, aux motifs que la naissance des parts sociales devant revenir à l’associé au titre de son apport a lieu à la date du contrat de société, même si celui-ci ne peut les recevoir que lorsque la société est dotée de la personnalité juridique. Ainsi, les juges versaillais ont considéré que l’élément matériel du recel était établi, car les parts sociales de l’ex-époux, acquises avec des fonds présumés communs, sont nées avant la dissolution de la communauté.

    L’ex-mari conteste l’arrêt et se pourvoit en cassation. Il demande aux magistrats du Quai de l’Horloge de déterminer si le recel en communauté est caractérisé dès lors que la société, dont les parts sociales ont été acquises par l’ex-mari, a été immatriculée après la dissolution de la communauté. Selon le demandeur au pourvoi, « les droits sociaux ne naissent et ne sont acquis qu’à compter de l’immatriculation de la société », alors que les juges d’appel ont situé la naissance des droits sociaux au jour de la constitution de la société."

    Par sa décision du 17 janvier 2024, la Cour de cassation censure les juges du fond et répond négativement à la question du demandeur au pouvoi. Elle rappelle aux visas des article 1477 et 1842 du Code civil que les sociétés en participation jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation et elle affirme que les droits sociaux naissent à la date de l’immatriculation de la société. En l’espèce, la naissance des parts sociales avait eu lieu au moment de l’immatriculation de la société, le 29 février 2012. L’immatriculation de la société étant intervenue après la dissolution de la communauté, les parts sociaux acquises ne constituaient pas un effet de la communauté. La Cour de cassation en déduit que le recel ne pouvait donc être caractérisé.

    Le recel de communauté résulte « de tout procédé tendant à frustrer un époux de sa part de communauté, et notamment résulter de la dissimulation de la valeur réelle d’un bien ». Pour que le recel soit caractérisé, encore faut-il prouver l’existence d’une communauté et démontrer que le bien incriminé en fasse partie, car le recel ne peut porter que sur des biens faisant partie de la communauté. Enfin, la dissimulation du bien doit avoir eu lieu avant la dissolution de la communauté. En l’espèce, les parts sociales nées après la dissolution de la communauté, ne peuvent être qualifiée d’effets de la communauté. Tant que l’immatriculation de la société n’a pas été réalisée, aucun transfert de valeur entre l’apporteur et la société n’a pu intervenir.

    Dorian GABORY

    Source :

    • ALVAREZ-ELORZA Alexis, « Exclusion du recel en cas de naissance des parts sociales postérieure à la dissolution de la communauté », [en ligne], La semaine juridique notariale et immobilière, Lexis 360, n°6, de février 2024, [consulté en février 2024]. https://lexis360intelligence.fr