Articles de jurisactuubs

  • Manquement à l'obligation d'information précontractuelle et nullité du contrat de consommation

    (Civ. 1ère, 20 déc.2023, FS-B, n°22-18.928)

    Le 20 décembre 2023, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt de rejet, précisant que l’inobservation de l’obligation d’information précontractuelle incombant au professionnel conduit à la nullité du contrat, lorsque ce manquement porte sur des éléments essentiels du contrat.

    Le 4 juin 2018, lors d’une foire, un couple a conclu un contrat avec un professionnel portant sur l’acquisition, l’installation et la mise en service de panneaux photovoltaïques. Après avoir constaté que le bon de commande ne comportait pas toutes les mentions imposées par l’article L.111-1 du Code de la consommation, les acheteurs assignent le vendeur en annulation du contrat et en indemnisation.

    La Cour d’appel d’Amiens1 retient que le vendeur n’avait pas respecté les obligations d’information précontractuelles prévues par l’article L.111-1 du Code de la consommation. En effet, les caractéristiques essentielles des produits achetés ainsi que les délais de livraison et d’installation n’étaient pas précisément mentionnés sur le bon de commande. Par conséquent, ils prononcent la nullité du contrat, estimant qu’une erreur avait vicié le consentement des acquéreurs sur des éléments essentiels du contrat.

    Le vendeur a formé un pourvoi en cassation, arguant que la méconnaissance de l’obligation précontractuelle d’information imposée au professionnel envers le consommateur n’est pas, sauf disposition expresse, sanctionnée par la nullité du contrat. Ainsi, il reprochait à la Cour d’appel d’avoir prononcé la nullité du contrat en se fondant sur le constat d’une violation de son devoir d’information, sans démontrer que les irrégularités du bon de commande portaient sur des éléments déterminants du consentement des acquéreurs.

    Les juges de la Cour de cassation rejettent le pourvoi. Ils soutiennent que l’article L.111-1 du Code de la consommation ne prévoit pas explicitement la nullité du contrat en cas de manquement aux obligations d’information précontractuelles qu’il énonce. Le manquement du professionnel entraîne néanmoins l’annulation du contrat, dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants du Code civil, si le défaut d’information porte sur des éléments essentiels du contrat.

    En l’espèce, le vendeur n'avait pas respecté les obligations d'information précontractuelles énoncées à l'article L.111-1 du Code de la consommation, en l'absence de mention précise des caractéristiques essentielles des produits achetés ainsi que du délai de livraison et d'installation dans le bon de commande. Par conséquent, les juges de cassation approuvent les juges du fond d’avoir conclu que le consentement des acquéreurs sur des éléments déterminants du contrat avait inévitablement été vicié en raison d'une erreur.

    L’obligation précontractuelle d’information du droit de la consommation ne bénéficie d’aucune sanction autonome, sa sanction étant prononcée par le biais de la théorie des vices du consentement. Ainsi, la question de l’application de la nullité virtuelle2 ne se pose pas en l’espèce.

    Cependant, en cas de difficulté probatoire pour établir le vice du consentement, cette théorie aurait pu être invoquée. En effet, l’obligation précontractuelle d’information peut être considérée comme une condition de validité du contrat de consommation, venant s’ajouter à celles posées par le droit commun3. Érigée au rang de condition de formation du contrat, elle justifie, en cas d’inobservation, la mise en œuvre d’une nullité virtuelle du contrat de consommation sans qu’il soit nécessaire pour le consommateur de prouver que ce manquement a vicié son consentement. Toutefois, la théorie de la nullité virtuelle ne devrait pas nécessairement entraîner une sanction automatique. Autrement dit, si aucun vice du consentement n'est constaté, la nullité du contrat de consommation ne devrait pas être automatique mais plutôt facultative4.

    Eva THEBAULT.

    SOURCES :

    -Claire-Anne MICHEL, Manquement à l’obligation précontractuelle d’information : nullité ?, Le Quotidien, janvier 2024, Disponible sur: manquement à l’obligation précontractuelle d’information : nullité ? | Lexbase

    -Sabine BERNHEIM-DESVAUX et Natacha SAUPHANOR-BROUILLAUD, Pas de nullité sans texte ? L’exemple de l’obligation générale d’information précontractuelle du droit de la consommation, La Base Lextenso, Revue des contrats, 9 mars 2018, n°01, p 122

    - Hélaine CEDRIC, Manquement aux obligations précontractuelles d’information et nullité du contrat conclu, Dalloz Actualité, 9 janvier 2024, Disponible sur :| Dalloz Actualité (dalloz-actualite.fr)

    - Héloïse PLANCKAERT, Obligation d’information précontractuelle du consommateur : nullité du contrat si le défaut d’information porte sur les éléments essentiels, Lamyline, 2 janvier 2024, Disponible sur : | Actualités Du Droit | Lamy Liaisons (actualitesdudroit.fr)



     

    1 CA. Amiens 3 mai 2022 n°20/02013

    2 Le silence du texte de la loi ne fait pas obstacle à l’application de la nullité si le juge interprétant la règle estime que telle doit être sa sanction . Dans ce cas on parle de nullité virtuelle.

    3 Ce qui découle de la généralisation de l’obligation d’information précontractuelle établie par l’article 5 de la directive 2011/83/UE, dont est issu l’article L.111-1 du Code de la consommation. Le législateur a introduit une obligation précontractuelle d’information applicable à tous les contrats de consommation. L’article 5 précité est ainsi conçu comme une disposition horizontale et transversale.

    4 Sabine BERNHEIM-DESVAUX et Natacha SAUPHANOR-BROUILLAUD, Pas de nullité sans texte ? L’exemple de l’obligation générale d’information précontractuelle du droit de la consommation, La Base Lextenso, Revue des contrats, 9 mars 2018, n°01, p 122

  • Le poids de l’intérêt social dans la demande de désignation d’un mandataire ad hoc

    (Cass.com., 20 décembre 2023, n°21-18.746)

    Dans un arrêt de cassation du 20 décembre 2023, publié au bulletin, la chambre commerciale de la Cour de cassation se prononce sur la conformité d’une demande de désignation d’un mandataire chargé de réunir une assemblée générale.

    En l’espèce, à la suite de dissensions familiales au sein d’une société civile immobilière, un protocole a été conclu le 15 décembre 2019 entre les actionnaires, prévoyant notamment une promesse de cession des parts de la société.

    Faute d’accord sur l’exécution de ce protocole, un arbitrage prévu par une clause compromissoire du protocole s’est chargé de déterminer la valeur des parts sociales et a indiqué que les cessions devaient être réalisées conformément aux stipulations du protocole dans les deux mois suivant la notification de la sentence arbitrale.

    Les associés promettants ont assigné le gérant de la société aux fins d’obtenir la désignation d’un mandataire judiciaire chargé de convoquer l’assemblée générale des associés de la société pour constater l’absence de cession et voter sur le constat de leur qualité d’associés de la société sans interruption.

    Ils fondent leur demande sur l’article 39, alinéa 1, du décret 78-704 du 3 juillet 1978 qui dispose, dans sa version applicable, « qu’un associé non gérant d’une société civile peut à tout moment, par lettre recommandée, demander au gérant de provoquer une délibération des associés sur une question déterminée ».

    Par un arrêt du 25 mars 2021[1], la cour d’appel de Versailles fait droit à la demande des associés et désigne un mandataire chargé de réunir l’assemblée générale de la société, au motif que le gérant de la société immobilière n’a pas répondu à leurs sollicitations et que le délai d’un mois fixé par le décret était expiré.

    Dans ces circonstances, le gérant de la société a décidé de former un pourvoi en cassation. Comme moyen, il fait notamment valoir que la demande de désignation d’un mandataire doit être conforme à l’intérêt social de la société. Or, bien que cet aspect ait été clairement exposé dans les conclusions, les juges d’appel ont omis de se prononcer sur ce point, méconnaissant ainsi les exigences de l’article 455 du Code de procédure civile.

    Au visa de l’article 39 du décret n°78-704 du 3 juillet 1978, la chambre commerciale de la Cour de cassation censure le raisonnement des juges du fond. Par cet arrêt de cassation, elle juge que la cour d’appel aurait dû, pour donner une base légale à sa décision, rechercher si la demande des associés était conforme à l’intérêt social.

    La Cour de cassation estime que le juge, saisi par un associé pour une telle demande, doit « apprécier la conformité de la demande dont il est saisi à l’intérêt social ». Elle considère que « l’assemblée générale des associés d’une société est dépourvue de toute compétence pour déterminer si des parts de la société ont fait ou non l’objet d’une cession et, partant, si les détenteurs de ces parts ont, ou non, la qualité d’associé ». Ainsi, la demande de convocation de l’assemblée n’était donc pas conforme à l’intérêt social.

    La lettre de l’article 39 du décret du 3 juillet 1978 n’exige pas explicitement comme condition la conformité de la demande à l’intérêt social. Toutefois, la solution de cet arrêt n’est pas surprenante étant donné que la jurisprudence rappelle fréquemment son attachement à l’intérêt social. En effet, la Cour de cassation avait déjà ajouté cette condition en présence de demandes de désignation, prévues dans le décret pour la société civile, pouvant être formulées en matière de SA sur le fondement de l’article L.225-103[2] et de la SARL sur le fondement de l’article L.225-103[3]. Cette décision s’inscrit naturellement dans le sillage d’une jurisprudence constante. En définitive, entraver la société dans un processus qui lui fait perdre temps et ressources n’est certainement pas en accord avec l’intérêt de la société.

    Dorian GABORY

    Sources :

    • LAVIELLE Clara, « Demande de désignation d’un mandataire ad hoc et intérêt social », [en ligne], Revue Droit des sociétés, Lexis 360, n°2 de février 2024, [consulté en février 2023]. https://lexis360intelligence.fr

    • JULLIAN Nadège, « Précisions autour de la désignation d’un mandataire chargé de provoquer une délibération des associés dans une société civile », [en ligne], Revue Droit des sociétés, Lexis 360, n°2 de février 2024, [consulté en février 2023]. https://lexis360intelligence.fr
     

    [1] CA Versailles, 25-03-2021, n°20/04589

    [2] Cass. com., 13 janv. 2021 n°18-24.853

    [3] Cass. com., 15 déc. 2021 n°20-12.307

  • L’absence d’une obligation de mise en garde spécifique du banquier pour un crédit in fine

    Cass.com., 8 novembre 2023, n°22-13.750, publié au bulletin

    Dans un arrêt de rejet en date du 8 novembre 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation précise que dans le cas de l’octroi d’un prêt remboursable par échéances ou in fine, l’établissement de crédit a une obligation de mise en garde à l’égard de l’emprunteur profane, seulement en ce qu’elle porte sur l’inadaptation de ce prêt aux capacités financières et sur le risque d’endettement qui en résulte.

     

    En l’espèce, les 3 février et 10 décembre 2012, un emprunteur souscrit auprès d’une banque deux prêts remboursables in fine. Le 15 mars 2018, l’emprunteur assigne l’établissement de crédit en nullité des contrats de prêts et en indemnisation de son préjudice matériel et moral, en raison d’un manquement par celui-ci à son obligation de mise en garde.

    Dans un arrêt du 20 janvier 2022, la Cour d’appel de Pau rejette les demandes au motif que, même si la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l’égard d’un emprunteur non averti, il faut qu’au jour de l’octroi du prêt, il existe un risque d’endettement excessif du fait de l’inadaptation de l’engagement à ses capacités financières. En l’occurrence, cet emprunteur est propriétaire d’un immeuble dont la valeur se trouve en adéquation avec la somme empruntée. Le risque d’endettement n’existe alors pas.

    L’emprunteur forme un pourvoi en cassation. Il fait grief à l’arrêt d’appel de rejeter ses demandes, alors qu’un crédit in fine, dont le capital est remboursé en une seule fois à la fin du prêt, fait naître un risque particulier sur lequel le banquier doit mettre en garde l’emprunteur non averti, même si le crédit est adapté aux capacités financières de ce dernier, le risque étant inhérent à la nature du prêt.

     

    Le problème posé par cette affaire est de savoir si l’établissement de crédit est soumis à un devoir de mise en garde particulier en ce qui concerne le crédit in fine.  

     

    La Cour de cassation répond par la négative, en indiquant que l’obligation de mise en garde à laquelle peut être tenu un établissement de crédit à l’égard d’un emprunteur non averti avant de lui consentir un prêt, ne porte que sur l’inadaptation de celui-ci aux capacités financières de l’emprunteur et sur le risque d’endettement qui résulte de cet octroi et ce, que le prêt soit remboursable par échéance ou in fine.

     

    Dans un premier temps, les juges rappellent les caractéristiques du devoir de mise en garde qui incombent à un professionnel du crédit. Ce sont des conditions qui s’inscrivent dans une continuité jurisprudentielle[1]. Le banquier doit s’assurer que l’emprunteur est non averti des risques qu’il entreprend en contractant un prêt[2] et ainsi vérifier si l’emprunt est adapté à sa situation financière, c’est-à-dire que l’emprunteur dispose des moyens pour le rembourser et qu’il ne soit pas en situation d’endettement à l’arrivée du terme[3].

    A défaut d’appliquer ces conditions, le banquier engage sa responsabilité contractuelle et l’emprunteur pourra agir non pas au titre de « la perte de chance de ne pas avoir contracté »[4], mais pour ne pas avoir eu « une chance d’éviter le risque qui s’est réalisé ». C’est ce que semble indiquer la Cour de cassation pour les opérations de crédit in fine[5].

     

    Dans un second temps, les juges refusent de voir dans ce devoir, une obligation de résultat. C’est une obligation de moyen qui pèse sur le banquier puisque la mise en garde intervient seulement en fonction d’une appréciation des capacités financières de l’emprunteur[6], tout en observant s’il est profane ou professionnel. Si à la date de conclusion du contrat, le crédit est adapté aux capacités financières de l’emprunteur, alors le banquier n’est pas tenu à ce devoir[7], ce qui est le cas en l’espèce. 

     

    La Cour de cassation refuse également de distinguer cette obligation de mise en garde pour les prêts remboursables à échéances, de ceux remboursables in fine. Si l’argument du demandeur au pourvoi, se fondant sur le remboursement à la fin de l’échéance du prêt en une seule fois, peut se comprendre du fait du risque engendré, l’harmonisation du devoir pour tout type de prêt rend son application plus facile et efficace[8] pour les professionnels et les emprunteurs non avertis.

    Quentin SCOLAN

     

    [1] Le devoir de mise en garde est d’origine jurisprudentielle et a été consacré pour les opérations de crédit dans le Code de la consommation à l’article L. 313-12 (depuis l’ordonnance du 25 mars 2016, n°2016-351), ou en matière de cautionnement à l’article 2299 du Code civil (depuis l’ordonnance du 15 septembre 2021, n°2021-1192, portant réforme du droit des sûretés).

    [2] Cass.ch. mixte, 29 juin 2007, n°05-21.104.

    [3] Cass.com., 11 avril 2018, n°15-27.133.

    [4] Cass.com., 20 octobre 2009, n°08-20.274.

    [5] Cass.com., 22 janvier 2020, n°17-20.819.

    [6] Nicolas BOULLEZ, « Crédit in fine : pas de voir de mise en garde spécifique pesant sur le banquier », Gazette du Palais, n°2, 16 janvier 2024, p.61.

    [7] Cass.com., 7 juillet 2009, n°08-13.536.

    [8] Cédric HELAINE, « Du contenu de l’obligation de mise en garde pour les crédits in fine », Dalloz Actualité, 16 novembre 2023.

  • Le principe de dignité humaine ne saurait être une cause suffisante de restriction de la liberté d’expression

    Ass. Plén., 17 nov. 2023, n° 21-20.723

    L’assemblée plénière de la Cour de cassation, dans un arrêt de rejet du 17 novembre 2023, a dû se prononcer sur l’articulation entre la protection de la liberté d’expression et la dignité humaine.

    En l’espèce, une association organisait une exposition d’art à l’occasion de laquelle des œuvres composées de plusieurs lettres faisant référence à des violences et actes sexuelles intrafamiliaux étaient exposées. Une autre association a estimé que la représentation et l’accessibilité pour tous de ces œuvres violait l’article 227-24 du code pénal prévoyant la répression de la diffusion de message notamment « de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ». Elle a donc saisi le procureur de la république qui a classé sans suite.

    Cette dernière, au civil, estime que l’association exposante a commis une faute prévue à l’article 16 du code civil. Cet article dispose que « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie ». L’association requérante souhaite donc obtenir réparation du préjudice résultant de l'atteinte portée aux intérêts collectifs qu'elle défend.

    La cour d’appel de Metz dans un arrêt du 19 janvier 2017 a écarté cette demande estimant qu’elle ne présentait aucun fondement légal. Elle a estimé que l’article 16 du code civil n’avait pas valeur normative. Elle a considéré que cet article n’avait qu’une valeur interprétative de la volonté générale du législateur.

    La première chambre civile de la Cour de cassation a cassé cet arrêt le 26 septembre 2018[1] en retenant que la dignité humaine était un principe constitutionnel. La cour d’appel aurait donc dû statuer sur le litige proposé. Elle renvoie donc l’affaire devant la cour d’appel de Paris.

    Cette dernière a rendu un arrêt le 16 juin 2021 écartant l’indemnisation de l’association requérante. Celle-ci décide, à nouveau, de se pourvoir en cassation. Elle critique l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris qui qualifie la dignité humaine comme un fondement qui n’est pas « autonome de restrictions de la liberté d’expression » malgré sa valeur constitutionnelle.

    La Cour de cassation rejette le pourvoi en s’appuyant sur l’article 10 de la CESDH[2] qui prévoit un droit à la liberté d’expression. Elle rappelle aussi que la CEDH[3], dans une décision du 11 mars 2014[4], a consacré la liberté artistique comme une composante de la liberté d’expression. Cependant, l’article 10 précité prévoit des exceptions. Celles-ci doivent alors être prévues par la loi et justifiées par différents motifs comme « la prévention du crime » ou « la protection de la santé ou de la morale ».  Sur ce fondement, l’assemblée plénière a tiré deux conclusions. D’une part elle estime que la dignité humaine ne fait pas partie des restrictions listées à l’article 10 de la Convention. D’autre part elle estime que l’article 16 du code civil invoqué par l’association requérante ne représente pas une loi au sens de l’article 10. Elle estime que cet article n'est pas une restriction de manière autonome.

    Si cette interprétation est cohérente avec l’interprétation antérieure[5], elle n’en demeure pas moins critiquable. On peut effectivement noter une certaine contradiction entre la reconnaissance de la dignité humaine comme l’essence, avec la liberté, de la CESDH et le refus de protection par l’assemblée plénière.

    Cette contradiction peut être directement tempérée car la Cour de cassation n’écarte pas réellement la possibilité de voir l’atteinte à la dignité humaine sanctionnée, elle estime uniquement que cette atteinte ne peut pas être rattachée au motif de la « prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, et aux droits d'autrui ». La Cour de cassation a, de nombreuses fois, consacré la dignité humaine notamment en matière de droit du public à l’information[6].

    Enfin, concernant le caractère non normatif de l’article 16 du code civil, la Cour écarte la possibilité de voir un texte général de la responsabilité civile délictuelle s’appliquer à la liberté d’expression. Cette solution ne saurait se fonder sur le droit européen puisque la CEDH a déjà admis la limitation de la liberté d’expression par la responsabilité civile délictuelle[7]. Cette position de la Cour de cassation ne s’explique que par une volonté de protection accrue de la liberté d’expression et de ceux qui l’exercent.

    Hugo SOUESME

    Sources :

    E. DREYER, « La dignité humaine ne peut seule fonder une restriction à la liberté d'expression », La Semaine Juridique Edition Générale, n° 50-52, 18 décembre 2023, act. 1440. (en ligne)

    A. MARAIS, « Que reste-t-il de nos dignités ? », La Semaine Juridique Edition Générale, n° 49, 11 décembre 2023, act. 1398 (en ligne)


    [1] Cass. civ. 1, 26 septembre 2018, n° 17-16.089.

    [2] Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

    [3] Cour européenne des droits de l’Homme.

    [4] CEDH, décision du 11 mars 2014, Jelsevar c. Slovénie, n° 47318/07, § 33.

    [5] Ass. plén., 25 octobre 2019, n° 17-86.605.

    [6] Cass. 1re civ., 20 févr. 2001, n° 98-23.471.

    [7] CEDH, 9  nov . 2006, n° 64772/01, Leempoel & SA ED. Ciné Revue c/ Belgique, § 59.