Articles de jurisactuubs

  • Regard sur la réforme de la prescription en matière pénale du 16 février 2017

    « Les bonnes intentions ne feront pas une bonne législation ». C’est sur cette citation que le syndicat de la magistrature a manifesté son opposition à la modification des délais de prescriptions en matière pénale.

    Le 16 février 2017, la proposition de loi doublant les délais de prescription pour les crimes et les délits a été définitivement adoptée par l’Assemblée nationale.

    Ce texte portant de dix à vingt ans le délai de prescription de l’action publique en matière criminelle et de trois à six ans les délits de droit commun a été cosigné par un député radical de gauche et un député républicain.

    Cette proposition consacre légalement diverses jurisprudences touchant par exemple au domaine de la délinquance financière « en col blanc ». Ainsi, pour ce qui est des infractions dissimulées ou occultes, le point de départ de la prescription débuterait donc légalement au jour de la révélation des faits.

    Avant l’adoption de cette proposition de loi, deux régimes coexistaient.

    Le premier, le régime légal, fixait le point de départ du délai de prescription au jour de la commission de l’infraction (sous réserve d’exceptions).

    Le second, le régime jurisprudentiel, s’appliquait aux infractions occultes/dissimulées telles que par exemple le trafic d’influence, l’abus de confiance etc. Ce régime permettait donc le report du point de départ du délai au jour où l’infraction apparaissait et pouvait être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique.

    A partir de la publication de cette proposition au journal officiel, le principe sera donc que le point de départ du délai de prescription sera le jour de la commission. Cependant, et par voie d’exception, on pourra avoir un report du point de départ du délai pour les infractions occultes ou dissimulées.

    En somme, cette partie de la loi n’est qu’une constatation légale d’une situation jurisprudentielle existante qui ne changera pas n'apportera pas de changements substantiels dans les faits.

    Cependant, et c’est une certaine innovation du texte, le délai de prescription ne pourra pas excéder douze ans pour les délits et trente ans pour les crimes à compter de la commission de l’infraction.

    Sur ce point, il semble y avoir une certaine maladresse dans la rédaction de ce délai. S’il a pour objet de limiter dans le temps le report du point de départ pour les infractions occultes/dissimulées, la loi semble indiquer que c’est le délai de prescription et non le report du point de départ qui ne pourra pas excéder 12 ans pour les délits et trente ans pour les crimes.

    Une autre question se pose, cette loi est-elle applicable à la répression des infractions commises avant son entrée en vigueur ? Il est évident à la lecture de son contenu que celle-ci est d’application immédiate.

    Autre apport de la loi, cette proposition consacre légalement une autre décision jurisprudentielle. En effet, il y aura suspension de la prescription en présence de « tout obstacle de droit, prévu par la loi, ou tout obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, qui rend impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique ». Cette solution avait été consacrée par la Cour de cassation dans sa formation d’assemblée plénière par un arrêt du 7 novembre 2014.

    Cette réforme n’est pas sans susciter bien des inquiétudes. En effet, on peut se demander comment enquêter et juger une affaire aussi longtemps après les faits vis-à-vis du dépérissement des preuves et du droit au procès équitable par exemple. D’autant plus cette réforme ne fera qu’augmenter le nombre d’affaires à traiter alors que la justice manque de moyen.

    Une question ne manquera pas de se poser ici : Faudrait-il voir dans cette proposition une volonté d’enterrer les affaires politico-financières ?

    Jordy SASSUS-BOURDA

    Sources :

    PROPOSITION DE LOI portant réforme de la prescription en matière pénale (16 février 2017)

    INGRAIN C. et LORRAIN R. « Réforme de la prescription pénale : la mise en œuvre et les conséquences (in)attendues de l’application immédiate de la loi »- Dalloz actualité 20 février 2017

  • La taxe d’apprentissage et de formation professionnelle face aux procédures collectives. Cass. com., 22 février 2017, n° 15-17.166.

    Les procédures collectives ouvrent une période particulière pour les sociétés, principalement concernant leurs créances. Celles-ci sont alors soumises au régime de l’article L 622-17 du code de commerce. Pour résumer très simplement, les créances nées antérieurement au jugement d’ouverture sont suspendues ou acceptées individuellement et les créances postérieures sont acceptées à condition d’être nées régulièrement pour les besoins du déroulement de la procédure ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur. Cependant, ces créances ne sont pas toutes traitées de la même manière et certaines d’entre elles sont l’objet d’interrogations. C’est le cas notamment des créances issues de la taxe d’apprentissage et de la taxe de formation professionnelle. C’est donc ce point que la cour de Cassation s’est penchée ce 22 février 2017.

    Concernant les faits, il s’agissait ici d’une société mise en sauvegarde judiciaire par un jugement du 6 novembre 2012, puis en redressement judiciaire le 11 février et enfin en liquidation judiciaire le 6 mai 2014. Etant assujettie à la taxe d’apprentissage ainsi qu’à la participation des employeurs à la formation professionnelle continue, le comptable du service des impôts des entreprises a mis en demeure la société de payer ces deux créances en considérant qu’il s’agissait de créances nées postérieurement au jugement d’ouverture. La cour a autorisé les organes de la procédure à régler les sommes dues pour l’année 2012. Le liquidateur a alors choisi de former un pourvoi en cassation.

    La cour s’est donc vu soumettre deux questions essentielles pour le traitement des créances dans une procédure collective.

    Dans un premier temps, la créance est-elle antérieure ou postérieure au jugement d’ouverture ? La naissance régulière de la créance dépend de son fait générateur. La Cour de cassation a donc affirmé que « Les employeurs sont astreints au paiement de la taxe d’apprentissage et de la participation au développement de la formation professionnelle à raison des salaires versés au cours de l’année écoulée, le fait générateur des créances fiscales résultant de cette obligation, et donc leur naissance régulière, se situe à la date à laquelle expire le délai qui est imparti aux employeurs pour procéder aux dépenses et investissements libératoires prévus par la loi, soit le 31 décembre de l’année considérée ». Grâce à ce raisonnement, la cour de Cassation a pu confirmer le fait qu’il s’agit ici bien d’une créance postérieure au jugement d’ouverture. Une solution cohérente qui permet de lever les incertitudes quant au fait générateur des créances fiscales.

    Dans un second temps, cette créance désignée comme postérieure au jugement d’ouverture, est-elle « utile » au sens de l’article L 622-17 ? L’utilité des créances fiscales lors d’une procédure collective peut en effet être discutée, surtout au regard de la lettre de l’article L 622-17 : « Les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance ». La Cour de cassation lève cependant le doute en affirmant ici que lorsque leur fait générateur se situe après le jugement d’ouverture de la procédure collective, ces créances fiscales représentent pour les entreprises qui y sont assujetties, une obligation légale et sont inhérentes à l’activité poursuivie après le jugement d’ouverture. Ainsi ces créances rentrent dans le cadre de l’article L 622-17.

    La Cour de cassation répond ainsi à deux questions importantes dans le traitement des créances en procédure collective, leur localisation dans le temps et leur nécessité pour la procédure. Ces questions sont bien souvent plus compliquées lorsqu’il s’agit de créances fiscales. La Cour applique ici une solution qui au regard du droit en vigueur, semble cohérente, mais qui fait peser une charge supplémentaire sur le dos des entreprises en difficultés.

    Gwenn DE CHATEAUBOURG

    Sources :

    Article L 622-17 du code de commerce

    Arrêt du 22 février 2017 (15-17.166)

    Article 1599 du CGI

    Article R6331-9 du code du travail

    Cour d'appel de Besançon, 4 mars 2015, n°14/01945

  • La primauté de la protection des tiers sur la protection des données personnelles faisant l'objet d'une publicité au RCS

    Article publié le 22 avril 2017

     

    CJUE, 9 mars 2017, C-398/15, Manni

     

    Dans cet arrêt, il est question de la rencontre de la protection des tiers tenant à un impératif de diffusion de certaines données au RCS avec le droit à l'oubli inhérent au droit de la protection des données personnelles.

     

    Cette affaire est née d'un litige immobilier en Italie. L'administrateur d'une société s'est vu attribuer un marché pour la construction d'un grand complexe touristique dans la région de Lecce. Ces immeubles ne se sont pas vendus, en raison selon lui, de la publicité de certaines données le concernant. Par le passé, il avait été administrateur d'une autre société qui avait fait faillite avant d'être liquidée. La réputation tenant une place primordiale, il soutenait que la publicité desdites informations avait nui au bon déroulement de la vente des immeubles du complexe touristique. Devant le refus de radiation des données par la chambre de commerce de Lecce, il a saisi le tribunal de première instance, qui lui a donné raison. Saisie en appel, la Cour de cassation italienne a posé à la CJUE deux questions préjudicielles tenant à l'articulation entre la publicité au RCS et la protection des données personnelles.

     

     

    La publicité au RCS permet de renseigner les tiers sur le patrimoine d'une société, seule garantie qui leur est offerte. Même après la dissolution, certaines données sont nécessaires pour vérifier la légalité d'un acte effectué au nom de la société, question qui peut survenir des années a posteriori de la liquidation de celle-ci.

     

    Pour trancher ce litige, la CJUE a du opérer un contrôle de proportionnalité, c'est à dire estimer si les données accessibles par les tiers étaient appropriées pour satisfaire leur protection. Une autre question s'est par ailleurs posée quant à la proportionnalité de la durée de conservation de ces données. On peut légitimement se questionner sur le nombre d'années de conservation de ces données post liquidation. A partir de quand ces données peuvent-elles être définitivement supprimées ? Question qui restera toutefois sans réponse.

     

    La CJUE statue en faveur de la primauté de la protection des tiers face au droit à l'oubli. Bien qu'elle reconnaisse que la publicité de données concernant d'anciens dirigeants de société constitue une ingérence dans les droits fondamentaux des personnes, elle n'en demeure pas moins proportionnée. En effet, la CJUE estime que le nombre de données collectées est limité et que les informations relatives au patrimoine de la société sont nécessaires aux tiers. Néanmoins, la CJUE n'exclut pas la possibilité pour les Etats membres de restreindre l'accès aux données aux tiers passé un certain délai.

     

    Cet arrêt n'est pas sans faire écho à l'entrée en vigueur de la loi pour une République numérique en octobre 2016 en France et à l'entrée en vigueur à venir du Règlement Général européen de Protection des Données (RGPD). Nul doute que la portée de cet arrêt sera vue de manière extensive quant à la confrontation de plusieurs droits fondamentaux. Cet arrêt représente une première base de réflexion pour déterminer quel droit prévaut lorsque plusieurs droits se confrontent.

     

    Lucie TALET

     

    Sources :

     

    CJUE, 9 mars 2017, C-398/15, Manni

    Roussille Myriam, « Pas de droit à l'oubli pour les données personnelles figurant au RCS », Editions Législatives, La Veille permanente – Droit des affaires, Sociétés, 18 avril 2017

  • Prépondérance du droit de propriété sur le droit au logement

    Par un arrêt rendu le 21 décembre 2017, la troisième chambre civile de la Cour de cassation est revenue sur la notion de référé judiciaire, qui peut notamment être demandé en cas de trouble manifestement illicite.

    En l’espèce, l’Office public de l’habitat, propriétaire d’un ensemble immobilier a assigné en expulsion deux occupants, ressortissants syriens, devant le juge des référés.

    L’affaire est portée devant la cour d’appel de Toulouse, qui a rendu un arrêt le 6 juillet 2016 infirmant dans toutes ses dispositions l’ordonnance consacrant l’expulsion des occupants. Elle a estimé que cette mesure d’expulsion aurait placé les deux occupants dans une plus grande précarité, ayant déjà été contraints de quitter leur pays. Selon les juges du fond, cette atteinte était plus importante que le respect au droit du domicile. La cour d’appel a refusé de reconnaître l’existence d’un trouble illicite, considérant en conséquence qu’il n’y avait pas lieu de demander un référé. 

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