Articles de jurisactuubs

  • L'interprétation in abstracto de la notion de consommateur favorable à l'avocat aguerri

    Article publié le 17 décembre 2015

     

    L'article préliminaire du Code de la consommation dispose qu' « Au sens du présent code, est considérée comme un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale. » (1)

    Cette notion de consommateur, assez simple en apparence, pose quelques difficultés en pratique, comme le démontre l'arrêt rendu par la Cour de Justice de l'Union Européenne du 3 septembre 2015 (2).

    En l'espèce, la quatrième chambre de la Cour devait statuer sur la qualité de l'avocat concluant un contrat de crédit sans rapport avec sa profession, mais dont la caution était liée à son activité professionnelle.

    La Cour décide que « L’article 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’une personne physique exerçant la profession d’avocat, qui conclut un contrat de crédit avec une banque, sans que le but du crédit soit précisé dans ce contrat, peut être considérée comme un « consommateur », au sens de cette disposition, lorsque ledit contrat n’est pas lié à l’activité professionnelle de cet avocat. La circonstance que la créance née du même contrat est garantie par un cautionnement hypothécaire contracté par cette personne en qualité de représentant de son cabinet d’avocat et portant sur des biens destinés à l’exercice de l’activité professionnelle de ladite personne, tels qu’un immeuble appartenant à ce cabinet, n’est pas pertinent à cet égard. »

    Dans cette affaire, l'attribution de la qualité de consommateur à l'avocat revêt une particulière importance puisqu'elle va conditionner sa protection face aux clauses abusives. En effet, cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige portant sur une demande de constatation du caractère abusif d'une clause de contrat de prêt. La protection contre ces clauses ne vaut que pour le consommateur, considéré comme la partie faible, non aguerrie au contrat. Précisément, le Code de la consommation définit les clauses abusives comme celles ayant pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs (3). En guise de sanction, le législateur prévoit qu'elles seront écartées et considérées comme non-écrites.

    Au vu de cet arrêt du 3 septembre 2015, il semblerait que l'avocat concluant un contrat de crédit dont le remboursement est garanti par un immeuble appartenant à son cabinet, doit être considéré comme une partie faible.

    On peut penser que les Cours de justice françaises auraient rendu une décision similaire puisque notre jurisprudence ne s'attache plus à la sphère de compétence du professionnel, mais regarde désormais si la personne contracte pour sa sphère privée ou dans le cadre de son activité professionnelle. La notion de consommateur doit être interprétée de manière indépendante des connaissances concrètes que la personne concernée peut avoir, ou des informations dont cette personne dispose réellement.

    Cependant, même si le crédit a été contracté en dehors du cadre de l'activité professionnelle, on ne peut nier un certain lien avec celle-ci : le cautionnement a été contracté par l'avocat lui même en sa qualité de représentant de son cabinet et porte sur les biens destinés à son activité professionnelle.

    On comprend que les juges cherchent à protéger à tout prix la partie faible au contrat, mais peut on vraiment regarder un avocat comme un emprunteur lambda qui ne disposerait pas des connaissances nécessaires pour apprécier le caractère abusif d'une clause avant la signature de son contrat ? Doit on réellement le considérer ignorant quand bien même il s'avère que cet avocat est spécialisé en droit commercial ?

    La volonté jurisprudentielle française de ne plus vouloir parler de « rapport direct avec l'activité professionnelle » est révélatrice de cette ligne directrice du Code de la consommation qui cherche à protéger des abus opérés par les professionnels. Toutefois, cette interprétation in abstracto de la notion de consommateur semble aboutir à des situations un tant soit peu déraisonnables.

     

    Lucie PARIS

     

    Sources:

    (1) Créé par la Loi n°2014-344 du 17 mars 2014 - article 3 

    (2) Cour de Justice de l'Union Européenne C-110/14, 3 septembre 2015

    (3) Article  L 132-1, al. 1 du Code de la consommation

  • Colloque : L'enjeu du contract management dans la stratégie de l'entreprise.

    Le Master 2 Pratique Contractuelle et Contentieux des Affaires de l'Université Bretagne Sud organise un colloque sur le contract management le vendredi 25 mars de 14h15 à 17h15.

    SOYEZ AU RENDEZ-VOUS !

    Entrée libre

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  • Les réflexions envisagées sur une nouvelle manière de motiver les arrêts de la Cour de cassation

    En 2014, sous l’impulsion du Premier président Bertrand Louvel, un groupe de réflexion a été mis en place sur une éventuelle réforme de la Cour de cassation. Plusieurs groupes de travail ont été organisés : commission sur le filtrage, l’intensité du contrôle, la motivation, les études d’impact et le parquet général. Dans un souci de concision, on envisagera seulement les travaux portant sur une nouvelle manière d’aborder les motivations des arrêts de la Cour de cassation.

    Afin de respecter une meilleure lisibilité et la démocratisation de la compréhension des arrêts, le groupe de travail « Motivation » souhaite améliorer et clarifier la motivation des arrêts des juges du droit.

    La volonté de modifier les motivations des arrêts de la Cour de cassation n’est pas nouvelle. Plusieurs sources ont été retenues afin d’étayer les différentes possibilités de modification des arrêts de la Cour :

    • André Tunc et Adolphe Touffait ont, il y a 40 ans déjà, milités en faveur d’une motivation plus explicite des décisions de justice de la Haute juridiction.
    • Colloque sur le juge de cassation en Europe par l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, avec le soutien de l’Association Henri Capitant et la Société de législation comparée.

    De nombreux universitaires ont été conviés afin de réfléchir sur les probables évolutions de la Cour de cassation. Ainsi, le 24 novembre 2015 le résultat d’un an, l’évolution des travaux a été exposée.

    La motivation succincte est la critique qui ressort le plus souvent sur l’aspect laconique de la rédaction actuelle. Les arrêts de la Haute Juridiction Civile revêtent soit un caractère disciplinaire soit un caractère normatif. Le changement dans les motivations tel que envisagé actuellement ne concernerait que les arrêts ayant un caractère normatif, à savoir :

    • les arrêts de principe,
    • les arrêts tranchant une divergence d’interprétation,
    • les arrêts opérant un revirement jurisprudentiel.

    Ainsi, la distinction entre les faits, la procédure et le développement du raisonnement seront mis en exergue afin d’être mieux compris par des non juriste. Des arrêts tests vont voir le jour.

    Dans son rapport, le Conseil d’Etat a écarté l’emploi d’une phrase unique afin de garantir une meilleure lisibilité au regard du langage courant contemporain. Toutefois, l’utilisation de point-virgule tout au long des arrêts de la Cour a été conservée pour, soi-disant, plus clarté. L’un des objectifs phares de cette réforme est de rendre plus accessible aux justiciables les différents arrêts de la Cour. Ce qui apparait comme étant un acte manqué car il s’agit d’une technique de rédaction éloignée de la ponctuation utilisée par le grand public.

    Mais, il semble que les signes typographiques ont été écartés afin que la doctrine ne fasse pas d’interprétation trop littérale de la décision.

    L’emploi du style direct a également été conservé, ce qui permet d’avoir une décision laissant moins de marge d’interprétation. 

    Les nouveautés concernent en fait, la numérotation des développements ainsi qu’une séparation formelle des parties ou encore l’utilisation d’intertitres ont été retenu afin de rendre plus lisible l’arrêt. A l’avenir, il semble que les arrêts auront plus de limpidité.

    La construction sous forme de syllogisme est conservée, la concision le restera également. En effet, bien que pèse sur la Cour de cassation une obligation de motivation, l’étendue de cette motivation n’a pas été précisée. (455 CPC).  Il n’a pas été jugé souhaitable d’adopter la même motivation que celle des arrêts de la Cour européenne.

    Enfin, les professeurs Cécile Chainais et Loïc Cadiet ont participé à ces groupes de réflexion. Pour l’instant, leurs travaux ne sont pas publiés tant que la réforme envisagée ne voit pas le jour ; il sera intéressant de les consulter.

    Elynn GOULLIANNE

    Sources :

    LA SEMAINE JURIDIQUE ÉDITION GÉNÉRALE SUPPLÉMENT AU N° 1-2, 11 JANVIER 2016

    P. Cassia, Filtrer l'accès au juge de cassation ? : D. 2015, p. 1361 

    B. Haftel, Libres propos sur l'avant-projet de réforme de la Cour de cassation et la fonction du juge : D. 2015, p. 1378.

  • Le contenu d'ordre public de l'Assurance construction obligatoire.

    Article publié le 24 février 2016

     

    « Attendu que toute personne physique ou morale, dont la responsabilité peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du code civil à propos des travaux de bâtiment, doit être couverte par une assurance ; que tout contrat d'assurance souscrit par une personne assujettie à l'obligation d'assurance est, nonobstant toute clause contraire, réputé comporter des garanties au moins équivalentes à celles figurant dans les clauses types prévues par l'article A. 243-1 du code des assurances »

    Cass. Civ. 3e, 04 février 2016, pourvoi n°14-29790;15-12128, Bull. civ.

    Un contrat de réalisation de piscine est conclu entre un couple de particulier et une société. Les maîtres d'ouvrage, constatant des désordres après réception du bien, assignent le constructeur et son assureur en indemnisation.

    La Cour d'Appel (1) refuse de retenir la garantie de l'assureur au motif que même si le désordre provient d'une mauvaise mise en œuvre par le constructeur et rend l'ouvrage impropre à sa destination, « ce désordre ne peut pas être pris en charge par la police d'assurance souscrite qui précise que la garantie relevant de l'article 1792 du code civil est limitée aux seuls défauts de solidité affectant la structure de la piscine »

    Sans surprise, la Cour de Cassation casse l'arrêt qui n'a pas relevé l'illicéité de la clause limitant la garantie aux seuls dommages affectant la structure de la piscine, en ce qu'elle fait échec aux règles d'ordre public relatives à l'étendue de l'assurance de responsabilité obligatoire en matière de construction.

    Rappelons que le constructeur a pour obligation de souscrire à une assurance de responsabilité civile décennale à l'ouverture de tout chantier. Cette obligation porte aussi bien sur les travaux de construction à proprement dit que ceux de rénovation.

    Le contrat garantit le paiement des travaux de réparation de l’ouvrage lorsque la responsabilité du constructeur est engagée. La garantie couvre les dommages matériels résultant de vices cachés lors de la réception et révélés dans un délai de dix ans à compter de la réception.

    Les dommages doivent être d’une certaine gravité et avoir pour conséquence de compromettre la solidité de l’ouvrage ou de le rendre impropre à sa destination. 

    On pourrait avoir du mal à comprendre la position des juges de la Cour d'Appel dans la mesure où la solution énoncée par la Cour de Cassation n'est qu'une redite, confirmant sans peine sa jurisprudence passée. En effet, elle avait déjà eu l'occasion dans un arrêt de la 3ème chambre civile du 2 mars 2005 (2) de préciser que « La clause limitant la garantie des travaux réalisés à ceux effectués en exécution d'un contrat de louage d'ouvrage, de sorte que les travaux réalisés par l'assuré lors d'une vente sous condition suspensive ou pour lui-même, avant la vente, ne sont pas assurés, fait échec aux règles d'ordre public relatives à l'étendue de l'assurance de responsabilité obligatoire en matière de construction et doit, par suite, être réputée non écrit ».

    Dans un arrêt plus ancien de 2003 (3) elle avait pu affirmer qu'aucune clause ne pouvait exclure les travaux faisant appel à « l'utilisation de techniques non courantes. »

    La situation pourrait au premier abord sembler assez sévère pour l'assureur qui ne peut (sauf exceptions prévues à l'article L. 243-1-1 du Code des assurances) moduler les limites de sa garantie pour adapter sa prime au risque. Toutefois la situation n'est pas sans espoir pour lui puisque la jurisprudence autorise l'assureur à opposer au tiers lésé une réduction proportionnelle d'indemnité par l'application de l'article L. 113-9 du code des assurances en cas d'omission ou de déclaration inexacte d'un élément d'appréciation du risque par un assuré dont la mauvaise foi n'est pas établie (4). Cependant, comme certains auteurs le font justement remarquer, les applications de non assurance sont quasi inexistante.

     

    Lucie PARIS

    Sources :

    (1) Cour d'appel de Nîmes, 18 septembre 2014

    (2) Civ. 3ème, 2 mars 2005, n° 03-16.583

    (3) Civ. 3ème, 9 juill. 2003, n° 02-10.270

    (4) Civ. 1ère, 6 déc. 1994