La charge de la preuve de l’insaisissabilité de droit de la résidence principale incombe à la personne qui s’en prévaut

Cass.com., 22 novembre 2023, n°22-18.795, publié au bulletin

 

Dans un arrêt de cassation partielle en date du 22 novembre 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation décide que  celui qui se prévaut de l’insaisissabilité d’un immeuble, au motif qu’il constitue la résidence principale d’un professionnel, dans le but de le soustraire du droit de gage général des créanciers d’une procédure collective, doit le prouver.

 

En l’espèce, le 3 février 2016, à la demande d’une banque ayant obtenu la condamnation d’une débitrice à lui payer le solde de deux prêts immobiliers consentis le 13 juillet 2010, un tribunal ordonne la licitation-partage d’un immeuble dont elle détenait 99% de l’indivision sur le fondement de l’article 815-7 du Code civil et ordonne une mesure d’expertise pour évaluer la valeur du bien. Les 2 et 25 juillet 2016, la débitrice est placée en redressement puis liquidation judiciaires et un liquidateur est désigné. Après dépôt du rapport d’expertise, le liquidateur s’associe à la demande de reprise de l’instance en licitation-partage et demande l’attribution du prix d’adjudication à concurrence de 99%. La banque s’y oppose en soutenant que l’immeuble constitue la résidence principale de la débitrice, et qu’il est dès lors insaisissable en application de l’article L. 526-1 du Code de commerce.

Le 12 avril 2022, la Cour d’appel de Grenoble relève que c’est au liquidateur qu’il revient de démontrer que le bien immobilier est saisissable puisque son intérêt est de le saisir au profit de la communauté des créanciers professionnels et non pas dans l’intérêt unique de la banque.

Le liquidateur forme un pourvoi en cassation. Il fait grief à l’arrêt d’appel de déclarer insaisissable le bien indivis et de faire peser la charge de la preuve sur lui alors qu’il revient normalement à toute personne qui se prévaut de cette insaisissabilité de démontrer que les conditions sont remplies, et spécialement que le bien constitue la résidence principale du débiteur.

 

Le problème posé par cette affaire est de savoir qui doit prouver qu’un immeuble, gage des créanciers professionnels lors d’une liquidation judiciaire, est insaisissable en raison de son usage en tant que résidence principale.

 

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel par un double visa[1]. C’est à celui qui se prévaut de l’insaisissabilité de la résidence principale pour soustraire du droit de gage général des créanciers d’une procédure collective d’un professionnel, un immeuble appartenant à celui-ci, de rapporter la preuve qu’à la date d’ouverture de cette procédure, cet immeuble constituait sa résidence principale et n’était donc pas entré dans le gage commun des créanciers.

 

La chambre commerciale de la Cour de cassation, en réaffirmant le principe « actori incumbit probatio[2] », c’est-à-dire que c’est à celui qui avance une prétention de la prouver, confirme une décision qu’elle avait rendue antérieurement et pour des faits similaires[3]. En raison des faits d’espèce, la règle probatoire en la matière se précise. Ce n’est plus seulement au débiteur de démontrer par tous moyens que l’immeuble est sa résidence principale, mais également à toute personne qui s’en prévaut. Généralement ce sera le créancier personnel. L’insaisissabilité ne lui étant pas opposable, il pourra saisir l’immeuble sans en être empêché. 

Le moyen de faire porter la charge de la preuve sur le liquidateur aurait été pour le débiteur, de faire une déclaration notariée d’insaisissabilité dont son créancier personnel (la banque) aurait pu se prévaloir[4]. En effet, la protection légale et le régime déclaratif de protection peuvent se cumuler en raison du silence de la loi en ce sens.

Quentin SCOLAN


[1] C.com., Art. L. 526-1 et C.civ., Art. 1315 devenu 1353.

[2] Bertille GHANDOUR, « Insaisissabilité de la résidence principale et charge de la preuve : application de l’adage actor incumbit probatio au créancier », Dalloz Actualité, Affaires, entreprises en difficulté, 11 décembre 2023 (en ligne).

[3] Cass.com., 14 juin 2023, n°21-24.207.

[4] Véronique MARTINEAU-BOURGNINAUD, « La charge de la preuve de la résidence principale pèse sur le débiteur : une nouvelle brèche dans le mur protecteur de l’insaisissabilité légale ! », Bulletin Joly, entreprises en difficulté, n°5, p.15, 30 septembre 2023 (en ligne).

 

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