Articles de jurisactuubs

  • La liberté d’expression de l’avocat, arrêt de la Cour de cassation Ass. Plén, 16 décembre 2016

     

    L’article 29, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881 dispose que « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation ».

    La notion de diffamation est au cœur de l’arrêt rendu par l’assemblée plénière de la Cour de cassation en date du 16 décembre 2016. La France avait été condamnée par un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme le 23 avril 2015 ( CEDH, 23 avril 2015, Morice c. France, req n°29369/10 ), pour violation de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cette décision fait suite à une condamnation d’un avocat pour complicité de diffamation publique envers des fonctionnaires publics. Le pourvoi en cassation intenté par l’avocat à l’encontre de la décision de condamnation a été rejeté par la Cour de cassation. L’assemblée plénière a donc été saisie du réexamen de ce pourvoi.

    Dans cette affaire, les propos ayant donné lieu à condamnation  étaient ceux rapportés dans un article publié dans le journal Le Monde en date du 7 septembre 2000, mettant en cause le comportement des deux juges d’instruction précédemment en charge du dossier dans l’Affaire Borrel. Ces propos faisaient état de connivence et de manque d’impartialité des deux magistrats.

    La Cour de cassation s’est alors prononcée sur la liberté d’expression et ses limites pouvant être imposées à un avocat. Le but ici n’était pas de trancher sur la nature diffamatoire des propos, mais plutôt de déterminer si l’avocat pouvait bénéficier de l’exception de bonne foi.

    Le contexte entourant cet arrêt est fondamental, la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l’homme ont longtemps débattu sur l’équilibre entre liberté d’expression et protection de la réputation d’autrui. La Cour de cassation, à de nombreuses reprises, a admis un degré de liberté plus important lorsque les propos portent sur un « sujet d’intérêt général » ( Crim. 12 mai 2009, pourvoi n° 08-85.732, Bull. n°88 ). Dans un autre sens, elle condamne cependant les propos pouvant-être caractérisés comme une attaque personnelle ( Crim, 16 octobre 2012, pourvoi n°11-88.715 ).

    Pour condamner la France, la Cour européenne affirme dans un premier temps que les propos relatifs au fonctionnement du pouvoir judiciaire sont la preuve d’un débat d’intérêt général. Dans un second temps elle affirme que le niveau de protection de la liberté d’expression est d’autant plus important lorsqu’il s’agit des propos d’un avocat. La Cour estime alors que la défense d’un client peut se poursuivre dans les médias afin d’informer le public sur d’éventuels dysfonctionnements d’une procédure pénale en cours, dans la mesure où l’affaire suscite l’intérêt des médias et du public.

    En l’espèce, l’avocat ayant formé le pourvoi avait vu sa demande rejetée au motif que les limites admissibles de la liberté d’expression avaient été dépassées. Saisie du réexamen du pourvoi, l’assemblée plénière revient sur cette position en suivant le raisonnement de la Cour européenne des droits de l’homme et pose le principe d’une protection plus élevée de la liberté d’expression d’un avocat dans la critique de l’action des magistrats à l’occasion d’une procédure judiciaire.

    L’arrêt du 16 décembre 2016 indique que les propos tenus étaient fondés et qu’ils relevaient de l’intérêt général, faisant bénéficier à des propos « diffamatoires » d’une exonération sous deux conditions, à savoir qu’ils s’inscrivent dans un débat public d’intérêt général et qu’ils s’appuient sur une base factuelle suffisante.  Cette décision semble marquer la victoire de la liberté d’expression et laisse présumer que la nature des attaques portées à la réputation d’autrui n’a pas d’importance du moment qu’elles sont justifiées selon les critères posés par la Cour européenne des droits de l’homme. Cette affirmation trouve tout son sens dans un contexte où les débats publics se font nombreux et résultent d’un besoin d’information grandissant de l’opinion publique, mais laissent peut-être une liberté trop importante aux avocats, fragilisant la protection de l’image des magistrats en question.

     

    Gwenn DE CHATEAUBOURG

     

    Sources : 

    Article 29 alinéa 1 de la loi du 29 Juillet 1881

    Arrêt commenté : Ass. Plén, 16 décembre 2016, n°08-86.295

    Intérêt général : Crim. 12 mai 2009, pourvoi n° 08-85.732, Bull. n°88 

    Attaque personnelle : Crim, 16 octobre 2012, pourvoi n°11-88.715

    Condamnation de la France :  CEDH, 23 avril 2015, Morice c. France, req n°29369/10

    CEDH, 23 avril 215, Morice c. France, req. N°29369/10

    Note explicative  /www.courdecassation.fr

    Article 10 de la CESDH

  • Absence d'obligation de la banque envers l'épouse de la caution

    Article publié le 24 mars 2016

     

    « Superstar » ! C'est ainsi que certains auteurs ont surnommé l'article 1415 du Code civil tant il est générateur de contentieux devant la Cour de Cassation. L'arrêt du 9 février 2016 de la Chambre Commerciale en est une parfaite illustration.

    Pour rappel, l'Article 1415 du Code civil dispose que « Chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n'aient été contractés avec le consentement exprès de l'autre conjoint qui, dans ce cas, n'engage pas ses biens propres ». Cet article permet de déterminer quelle masse de biens sera engagée par un cautionnement consenti par un seul époux, marié sous le régime de communauté légale.
    Tout l'enjeu est de savoir si les créanciers bénéficiaires du cautionnement, qui leur assure une garantie de paiement, pourront saisir ou non les biens communs des époux.

    En l'espèce, un dirigeant s'est porté caution solidaire envers une banque pour garantir les dettes de sa société. Étant marié sous le régime de la communauté légale, son épouse a dû, en vertu de l'article 1415 donner son consentement express afin d'autoriser son mari à engager leur biens communs. Après la mise en liquidation de la société, la banque a appelé en garantie la caution et fait saisir un bien immobilier appartenant aux deux époux. L'épouse qui reproche à la banque d'avoir manqué à son obligation de mise en garde à son égard l'assigne en paiement de dommages-intérêts. Déboutée de sa demande par la Cour d'Appel, elle forme un pourvoi invoquant une violation de l'article suscité.

    La Cour de Cassation rejette son pourvoi au motif que le consentement donné au cautionnement de son époux « n'a pas eu pour effet de lui conférer la qualité de partie à l'acte et qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'impose au créancier bénéficiaire du cautionnement de fournir des informations ou une mise en garde au conjoint de son cocontractant, préalablement à son consentement exprès ». La Cour en a donc déduit que la demanderesse «  n'était créancière d'aucune obligation d'information ou de mise en garde à l'égard de la banque bénéficiaire du cautionnement »

    Sur le plan juridique, la solution de la Cour de Cassation est sans reproche puisque l'épouse qui a donné son aval ne s'est pas engagée personnellement, elle a simplement donné son autorisation. La caution, en l'occurence l'époux, a donné un consentement formel, ce qui lui confère le droit de bénéficier d'un droit d'information renforcé.

    Toutefois, lorsque l'on observe la situation dans les faits, le résultat est le même pour les deux conjoints puisque c'est un bien commun qui est soustrait de leur patrimoine. Comment peut-on alors justifier que les parties ne bénéficient pas de la même protection.

    Sans doute le Législateur a t'il considéré qu'il était normal de présumer que l'époux qui a reçu l'information allait la partager à son conjoint. Mais comment en être sûr ? Comment être certain que dans cet arrêt, l'épouse ait réellement compris tous les enjeux et impacts de son aval sur ses biens ?

    L'article 1415 du Code civil a été institué pour protéger le patrimoine commun des époux contre les engagements dangereux comme le cautionnement bancaire, les crédits financiers et les emprunts immobiliers. Si ce texte a réellement une vocation protectrice, ne serait il pas plus judicieux de faire peser sur la banque la même obligation d'information à l'égard du conjoint qui consent au cautionnement ?

    Bien entendu, il convient de préciser que l'épouse ne se retrouve pas complètement démunie contre cette situation. Comme le souligne Maître Robineau dans son billet, « il lui est permis d’engager la responsabilité délictuelle. Mais cet argument n’ayant pas été soulevé devant les juges du fond, les magistrats de la Cour de cassation ne pouvaient pas le soulever d’office… »

     

    Lucie PARIS

     

    Sources :

    - Cour de Cassation, Chambre commerciale, 9 février 2016, N° 14 20304

    - « Portée du devoir de mise en garde de la banque bénéficiaire d'un cautionnement » Dalloz Actu étudiant, 15 mars 2016.

    - BAZUREAU Juliana « Pas d'obligation de la banque de mettre en garde le conjoint de la caution », Les Echos entrepreneurs, 2 mars 2016.

    - ROBINEAU Sébastien « L'épouse de la caution ne mérite aucune protection ! » L'express L'entreprise, 29 février 2016.

     

  • DOSSIER SPÉCIAL : La responsabilité civile professionnelle

    Dans le cadre de ce dossier spécial, les 5 auteurs de ce site se sont réunis autour d'un thème commun : la responsabilité civile des professionnels

    Après un aperçu du droit commun en la matière, nous verrons plus précisément la responsabilié civile du notaire, du constructeur, du sportif et du producteur en matière de produits déféctueux. 

    Bonne lecture ! 

  • La validité des dispositions d’un testament conjonctif par la réitération de la volonté du de cujus

    Article publié le 2 mai 2016

     

    Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 31 mars 2016, 15-17.039, Publié au bulletin

     

    L’article 968 du Code civil interdit le testament conjonctif en disposant qu’« un testament ne pourra être fait dans le même acte par deux ou plusieurs personnes soit au profit d'un tiers, soit à titre de disposition réciproque ou mutuelle ».

     

    Une personne peut établir des testaments successifs ou révoquer librement son testament sans fournir de motif. En effet, il est tout à fait possible de prévoir qu’un testament « révoque et annule » tous ceux qui auront pu être faits précédemment.

    Mais bien souvent, les testaments successifs sont rédigés sans préciser s’ils révoquent ou non les dispositions antérieures. Dans un tel cas, le législateur établit une présomption visant à considérer que les dispositions antérieures sont implicitement révoquées, à moins qu’il ne s’agisse de dispositions complétant celles précédemment établies. En ce sens, l’article 1036 du Code civil prévoit que les testaments postérieurs annulent les dispositions antérieures incompatibles. Par principe, c’est donc le dernier testament qui sera retenu par le notaire.

     

    Dans les faits, un testateur décède en laissant un cousin au sixième degré pour lui succéder. Le de cujus avait rédigé, en 2001, un testament conjonctif avec sa fille prédécédée. C’est donc conformément aux dispositions du Code civil que les juges de première instance ont annulé le testament, en raison de sa forme. A la suite de la décision, est révélé un précédent testament du de cujus de 1999. Le jugement annulant le testament de 2001, les légataires du testament de 1999 demandent à ce que soit constatée la validité dudit testament. En effet, ces dernières avaient été « oubliées » à la rédaction du dernier testament. Les juges du fond (CA Rennes, 3 févr. 2015) rejettent l’appel des légataires de 1999 en arguant l’existence d’écrits postérieurs au testament de 2001, rédigés et signés par le de cujus. Ces derniers manifestent de la connaissance par le de cujus de la nullité affectant le testament de 2001, car conjonctif, ainsi que la volonté constante et non équivoque de maintenir les dispositions du même testament. Mais ces écrits auraient surtout pour conséquence d'anéantir les volontés contraires qu'il avait exprimées antérieurement par plusieurs testaments.

                                                     

    Les juges du droit sanctionnent le raisonnement des juges d’appel et casse l’arrêt au motif que « la réitération, par un testament régulier, d’un premier testament nul en la forme, ne peut faire revivre que celles des dispositions de ce premier testament que le second rappelle en termes exprès, et auxquelles il donne ainsi une existence légale ». Or dans cette affaire, « les écrits postérieurs au testament annulé ne reprenaient expressément aucune des dispositions de cet acte » donc les dispositions de ce testament nul sont inefficaces.

     

    Anne-Lise BECQ

     

    Sources :