Rappel de l’obligation de délivrer la clientèle lors d’une cession de fonds de commerce

(Cass.com., 13 décembre 2023, n°22-10.477, inédit)

Dans un arrêt de cassation du 13 décembre 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation réaffirme que le vendeur d’un fonds de commerce a l’obligation de délivrer au cessionnaire la clientèle, et tous les éléments s’y rattachant lors de la cession.

 

En l’espèce, une société acquiert une branche d’activité et découvre que des contrats de prestation de services figurant sur la liste des contrats en cours, annexés à l’acte de cession, ont été résiliés. La société cessionnaire assigne la cédante en paiement d’une somme d’argent correspondant au montant des contrats résiliés et de dommages et intérêts. Le 4 juillet 2019, la société cessionnaire est placée en liquidation judiciaire.

Dans un arrêt du 28 octobre 2021, la Cour d’appel de Lyon rejette la demande de restitution partielle du prix de vente du fonds de commerce cédé et limite sa créance à des dommages et intérêts sur le fondement de la mauvaise foi. La cour d’appel estime que la société cédante a rempli son obligation de délivrance en assurant la remise de la clientèle attachée à ce fonds, par la seule annexion à l’acte de vente de la liste des contrats cédés, comportant les coordonnées des clients. Le fait que des contrats cédés soient résiliés avant le transfert du fonds de commerce du vendeur en la puissance et possession de l’acheteur importe peu.

La société cessionnaire forme un pourvoi en cassation, au motif que la clientèle étant un élément du fonds de commerce, l’omission de transmettre tout ou partie de celle-ci lors de la cession constitue pour le vendeur une inexécution de son obligation de délivrance.

Charge au magistrat de se demander si la délivrance de la clientèle attachée à un fonds de commerce est totalement exécutée si certains contrats en cours, mentionnés en annexe de l’acte de vente, sont résiliés antérieurement à la cession.

 

La Cour de cassation répond par la négative au visa des articles 1604 et 1610 du Code civil. La clientèle étant un élément du fonds de commerce, l’omission de transmettre tout ou partie de celle-ci lors de la cession du fonds constitue pour le vendeur une inexécution de son obligation de délivrance.

 

Généralement, la délivrance de clientèle s’apprécie au moment de la vente et comme une conséquence directe de celle-ci, mais également comme l’obligation pour le vendeur de ne pas se rétablir dans le même secteur d’activité ou à proximité[1].

Le mode de remise de la clientèle lors de la cession ou la forme de l’exécution de délivrance n’est pas remis en cause. Cela peut prendre plusieurs formes comme la présentation aux clients du cessionnaire par le cédant, la remise de fichiers clients, ou comme c’est le cas en l’espèce, de la remise d’une liste de contrats en cours comportant les coordonnées des clients.

Or, la problématique repose sur la discordance entre ce qui a été vendu et ce qui a été reçu. Si des contrats cédés sont résiliés avant la vente alors qu’ils apparaissent dans l’acte de vente, cela engendre inévitablement pour l’acheteur une diminution ou une suppression d’une partie de la clientèle qu’il vient d’acquérir. En conséquence, le fonds de commerce perd de la valeur puisque la clientèle en constitue le principal élément.

 

La solution appliquée reprend celle d’un arrêt de 1992[2] et rappelle ainsi que si la clientèle délivrée, telle que déterminée dans l’acte de vente n’est pas conforme, alors cela s’apprécie en un manquement pour le vendeur à son obligation de délivrance tel que défini à l’article 1604 du Code civil. Dès lors, l’acquéreur est libre d’agir également sur le fondement de l’article 1610 dudit Code afin d’obtenir la résolution de la vente ou sa mise en possession. En matière de fonds de commerce, il est possible de demander, comme il a été fait en l’espèce, la réduction du prix en cas d’inexécution partielle de l’obligation de délivrance du vendeur[3] comme en témoigne un arrêt du 26 novembre 2011[4].

 

L’arrêt se place donc dans une continuité jurisprudentielle bien établie tant sur les obligations à la charge du vendeur d’un fonds, que sur les sanctions possibles que l’acquéreur peut actionner en cas d’inexécution.

 

Quentin SCOLAN

 

[1] Jean DERRUPPE, « Vente, Obligation de délivrance, Cession de la clientèle », RTD Com., fonds de commerce, 1993, p.489.

[2] Cass.com., 24 novembre 1992, n°91-11.055.

[3] « Vente d’un fonds de commerce : le vendeur doit délivrer la clientèle convenue », Editions Francis Lefebvre, La Quotidienne, affaires, vente de fonds de commerce, 18 janvier 2024.

[4] Cass.civ.3ème, 26 novembre 2011, n°09-10.699.

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