Interview : focus sur la loi visant à lutter contre la fraude du compte personnel de formation

  Article publié le 21 février 2023

 

Capture d e cran 2023 02 21 a 10 47 10aître Hélène Adnane, est une avocate inscrite au Barreau de Paris depuis le 23 janvier 2020. Convaincue que « l'avocat est cette béquille et cette petite lampe qui aide le justiciable à se tenir debout et à avancer dans le noir de la procédure dont il ignore tout, qu'il soit auteur ou victime », Me. Adnane s’est orientée vers le droit pénal après l’obtention de son certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA) à l’École de formation professionnelle des barreaux du ressort de la Cour d’appel de Paris.

Animée par une grande curiosité et soucieuse des projets étudiants, Me. Hélène Adnane a accepté de mettre à contribution son expertise et d’apporter un éclairage sur la loi visant à lutter contre la fraude au compte personnel de formation du 19 décembre 2022, pour les lecteurs du blog JurisactUbs.

Le compte personnel de formation permet à tout travailleur français d’acquérir des droits à la formation, que ces derniers peuvent utiliser au cours de leur vie professionnelle.

À cet égard, l’année 2022 a fortement été marquée par l’augmentation des arnaques relatives aux comptes personnels de formation. C’est pourquoi il paraissait essentiel pour le législateur d’interdire ces démarches récurrentes à travers la loi du 19 décembre 2022[1]. En effet, cette dernière vise à lutter contre la fraude au compte personnel de formation et à interdire le démarchage de ses titulaires.

 

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JurisactUbs : Avant l’adoption de cette loi, quels étaient les moyens dont disposaient les consommateurs pour lutter contre ces pratiques commerciales agressives, voire, abusives ?

 

Me. H. Adnane : Certaines pratiques de démarches téléphoniques étaient déjà interdites ou encadrées par la loi. Tel est le cas dans le domaine de la rénovation énergétique où le démarchage téléphonique est totalement prohibé, ainsi que dans le domaine des assurances pour lequel un encadrement strict a été mis en place par le législateur.

Jusqu'ici, le démarchage non sollicité n’était pas interdit de manière générale. Certaines sociétés commerciales ont ainsi usé de cette pratique afin de promouvoir leurs services auprès d'une grande partie de la population sans définir de critère particulier de ciblage. Ces publicités à grande échelle ont évidemment donné lieu à des abus.

Il était seulement possible pour les consommateurs de se référer à l’encadrement prévu pour les contrats à distance.

À ce titre, la loi du 14 mars 2016 prévoit par exemple que le consommateur dispose d'un délai de quatorze jours pour exercer son droit de rétractation d'un contrat conclu à distance à la suite d'un démarchage téléphonique. Dans ce cadre là, le professionnel ne peut en principe recevoir aucun paiement en exécution du contrat dans un délai de 7 jours suivant sa signature.

Par la suite, la loi du 24 juillet 2020 a imposé aux démarcheurs téléphoniques de se présenter de manière claire et précise au téléphone. Les jours et appels téléphoniques ont également été délimités par cette loi. 

La loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, permet en outre à toute personne de refuser d'être démarchée par un professionnel avec lequel elle n'a pas de relation contractuelle en cours. Les jours et appels téléphoniques sont également délimités par cette loi. Les consommateurs peuvent utiliser le dispositif Bloctel à l’égard des démarchages téléphoniques pendant une durée de 3 ans renouvelable.

Pour autant, cela n'a pas permis au consommateur de se protéger totalement contre le démarchage abusif.

 

JurisactUbs : La loi du 5 septembre 2018 a transformé le compte personnel de formation (CPF), faisant passer la mesure des droits acquis d’une unité en heure à une unité en euros, pour rendre les droits plus lisibles pour les utilisateurs. La démocratisation du compte CPF a permis une meilleure compréhension de son utilisation par le consommateur, et à son succès massif en 2019. De ce fait, pensez-vous que l’intervention du législateur en 2023 soit tardive ou qu’au contraire elle soit arrivée au bon moment ?

 

Me. H. Adnane : Le fait que le CPF soit désormais directement crédité en euros et non plus en heures a permis une meilleure compréhension des titulaires de leurs droits acquis.

En parallèle, les sommes ainsi créditées ont fait naître un nouveau type d'arnaque dont le démarchage téléphonique constitue un véritable mode opératoire. Les arnaqueurs  invitent de manière insistante les consommateurs à leur transmettre des données personnelles afin de pouvoir prélever directement les sommes. Si le crédit en euros a permis aux titulaires de mieux comprendre la valeur de leurs cotisations et de leurs droits, ceux-ci n'ont toutefois pas toujours agi avec la prudence dont ils auraient fait preuve concernant leurs données bancaires. C'est ainsi que les arnaqueurs se sont engouffrés dans la brèche et ont pu commettre leurs méfaits pour des montants extrêmement importants au préjudice de milliers de titulaires de compte.

S'il est vrai que ce mode opératoire aurait pu être  interdit et sanctionné plus tôt, cela a néanmoins permis de révéler tout un ensemble de pratiques abusives face auxquelles le législateur a pu répondre efficacement pour mieux les encadrer.

 

JurisactUbs : Quels sont les principaux points qui ont changé en matière de protection du consommateur ?

 

Me. H. Adnane : La loi du 19 décembre 2022 interdit tout démarchage ou prospection commerciale des titulaires d’un CPF par téléphone, SMS, mail ou sur un réseau social, dès lors que cette démarche aurait pour objet de collecter leurs données à caractère personnel.

Plus encore, la loi autorise l'échange de tout document et informations détenus ou recueillis par les autorités qui participent, à un titre ou à un autre, et dans leurs missions respectives à la lutte contre la fraude au CPF.

La loi facilite ainsi les échanges d’informations entre la Caisse des dépôts et consignations gérant le CPF, la transmission par Tracfin des informations à la Caisse de dépôts et consignations, ainsi que l'obtention par la caisse des dépôts et consignations du recouvrement forcé des fonds détournés au titre du CPF. Elle met également en place une procédure de référencement des organismes et formations éligibles au dispositif CPF.

Cette coopération entre les différentes autorités de contrôle et de régulation en matière de CPF apporte davantage de moyens pour lutter efficacement contre les pratiques abusives. Elle permet de réaliser plus rapidement les vérifications nécessaires à la sélection des organismes éligibles au dispositif CPF et d'agir plus efficacement à la suite de dénonciations de la part de consommateurs ou de soupçons de fraude de la part des autorités de contrôle.

 

JurisactUbs : Pensez-vous que la seule interdiction du démarchage relatif au CPF soit suffisante, ou serait-il nécessaire d’interdire le démarchage non sollicité en général ?

 

Me. H. Adnane : L'interdiction du démarchage relatif au CPF s'inscrit dans un effort de régularisation du marché qui devrait, à mon sens, être étendu à l'ensemble des secteurs.

La loi prohibe déjà le démarchage dans le domaine des travaux énergétiques en raison des dérives constatées.

Or, les appels intempestifs concernent également d'autres domaines, en particulier la vente de contrat d'énergies ou de téléphonie. Les grands groupes de ces secteurs ont notamment développé une méthode marketing low-cost consistant dans la mise en place de plateformes à l'étranger pour gérer le service après-vente avec leurs clients ainsi que la commercialisation de leurs produits et services. Cette pratique de sous-traitance du marketing commercial est insuffisamment encadrée par la loi et entraîne ainsi un risque sérieux de pratiques abusives. Par exemple, il est patent que les commerciaux basés à l'étranger ne sont pas suffisamment informés des droits des consommateurs. Il est difficile d'imaginer que les grandes sociétés qui ont délocalisé leurs services à l'étranger pour des raisons financières prennent la peine de former l'ensemble des intervenants au sein des plateformes téléphoniques.

Plus encore, le risque de pratiques abusives est accru par le mode de rémunération des commerciaux. Ceux-ci sont souvent rémunérés au contrat vendu, ce qui implique un risque de comportements abusifs de leur part afin de multiplier les ventes.

S'ils ne sont pas incompatibles, la politique du chiffre et le respect des droits et libertés des consommateurs ne font souvent pas bon ménage...

Par ailleurs, ce genre de pratiques jette le discrédit sur un ensemble de professionnels dans certains secteurs d'activité.

C'est le cas en matière de fourniture d'énergie, où les représentants du secteur ont demandé la mise en place de l'interdiction du démarchage commercial non sollicité, à domicile et par téléphone. À ce sujet, le Médiateur de l'Énergie a écrit dans son rapport annuel de 2020 que "les pratiques commerciales sont le talon d'Achille des fournisseurs", dénonçant ainsi le préjudice subi par les acteurs du marché du fait du démarchage abusif des consommateurs.

 

JurisactUbs : Les sanctions prévues par le législateur suffisent-elles à dissuader les fraudeurs ?

 

Me. H. Adnane : Le législateur a prévu des sanctions qui peuvent paraître assez lourdes en cas de violation de l'interdiction de démarchage téléphonique relatif au CPF. Le contrevenant encourt jusqu'à 75 000 € d'amende s'il est une personne physique et 375 000€ d'amende s'il s'agit d'une personne morale.

Ces sanctions vont dans le bon sens, pour autant, on ne peut que s'interroger sur les profits générés par ce genre de pratiques et convenir que le montant de la sanction n'est pas forcément dissuasif pour certains.

 

JurisactUbs : La loi visant à lutter contre la fraude au compte formation personnel s'inscrit-elle dans une évolution positive pour la protection du consommateur ?

 

Me. H. Adnane : L'intervention du législateur était nécessaire pour redonner de la crédibilité à cet outil très important dans le domaine de la formation professionnelle.

Il était impensable de laisser sévir des fraudeurs et profiteurs d'un système inadapté au détriment des titulaires qui ont cotisé pour en bénéficier.

Cette régularisation des pratiques autour du CPF permettra aux titulaires de s'assurer de la qualité et de la fiabilité des organismes de formation qu'ils souhaitent intégrer ainsi que du respect de leurs données personnelles.

Par ailleurs, les consommateurs ne sont pas les seuls à bénéficier de cette protection, car en effet, le secteur de la formation professionnelle a souffert des pratiques frauduleuses et abusives qui se sont multipliées. Les crédits du CPF ont vocation à être utilisé chez eux, dès lors, le manque à gagner pour ces établissements de formation a été colossal.

La régularisation des pratiques autour du CPF était nécessaire et profitera tant aux consommateurs qu'aux acteurs du marché.

 

Propos recueillis par Emma Le Toriellec

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[1] Loi n°2022-1587 du 19 décembre 2022 visant à lutter contre la fraude au compte personnel de formation et à interdire le démarchage de ses titulaires

 
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