La présomption en faveur du déposant d’un dessin ne peut être renversée que par la revendication de son auteur

Cass.com., 31 janvier 2024, n°22-20.409, publié au bulletin

 

 Dans un arrêt de cassation en date du 31 janvier 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle que l’enregistrement d’un dessin fait peser sur le déposant une présomption de propriété qui lui permet d’agir en contrefaçon. Il revient au véritable créateur d’en présenter la preuve contraire par revendication.

 

 

En l’espèce, une société a déposé le 26 septembre 2013, auprès de l’INPI, un dessin d’imprimé qui lui  a été cédé par une autre société. Ce dessin a été enregistré et publié le 28 février 2014. La cessionnaire, ayant constaté la reproduction du dessin sur des vêtements commercialisés par une tierce société, assigne cette dernière en contrefaçon.

Dans son arrêt du 21 juin 2022, la Cour d’appel de Bordeaux a déclaré la société cessionnaire irrecevable à agir en contrefaçon, et l’a condamnée au paiement des dépens de la partie adverse. Il est retenu que le dessin litigieux n’a pas fait l’objet d’une publication au registre national des dessins et modèles lors de la cession intervenue entre les deux premières sociétés. Le simple enregistrement de ce dessin ne pouvait conférer à la société cessionnaire ou déposante, un droit d’agir en contrefaçon. En effet, ce modèle n’avait jamais fait l’objet d’un dépôt avant la cession, de sorte que la société déposante, qui procédait à son premier enregistrement, était titulaire d’un droit de propriété opposable à tous sans que la cession n’ait à faire l’objet d’une quelconque publicité.

La société déposante a formé un pourvoi en cassation, en affirmant que seule la cession d’un dessin ayant déjà fait l’objet d’un dépôt doit être publiée pour être opposable aux tiers. Par conséquent, et puisque l’auteur de l’œuvre n’avait jamais déposé le dessin avant la cession, le simple enregistrement fait par la cessionnaire lui confère un droit de propriété qui l’autorise à agir en contrefaçon. Peu importe ici l’absence de publicité de la cession.

 

Quid juris ? Est-ce que l’enregistrement d’un dessin ou modèle permet à la personne qui y a procédé, d’en revendiquer la propriété et d’agir en contrefaçon ?

 

La Cour de cassation répond à cette question par l’affirmative au visa de l’article L. 511-9 du Code de la propriété intellectuelle. La présomption résultant de ce texte en faveur du déposant ne peut être renversée qu’en présence d’une revendication de propriété du dessin ou modèle émanant de la ou des personnes physiques l’ayant réalisé.

 

Il découle de cette solution qu’en l’absence de revendication par l’auteur du dessin, que le déposant est présumé titulaire de cette œuvre et qu’il peut donc agir en contrefaçon, quand bien même la cession n’a pas été publiée au registre national des dessins et modèles[1]

L’enjeu est de comprendre à quoi sert l’enregistrement du dessin. Comme l’indique le visa de la solution, le déposant est présumé être le créateur de l’œuvre. Cette présomption fait également naître un droit patrimonial du déposant sur cette œuvre, dont une de ses composantes est le droit de propriété. Cela permet d’agir en contrefaçon afin de protéger son bien.

 

Pour renverser cette présomption, il appartient au véritable créateur d’agir en revendication. C’est d’ailleurs ce qu’indique la décision en reprenant purement et simplement la solution d’un arrêt de 1998[2]. Plus précisément, seule une personne physique peut revendiquer l’œuvre et pour cause, la Cour de cassation refuse d’admettre qu’une personne morale puisse être l’auteur d’une œuvre[3]. Cette vision est ici en faveur du déposant puisque la cession ayant eu lieu entre deux sociétés, la cédante ne peut pas agir en revendication. Cette vision est également problématique puisque la solution tend à confondre la qualité de créateur et le droit d’exploitation alors que ces notions ne sont pas censées se cumuler sur cette personne morale. Faut-il donc comprendre que le droit de propriété né de l’enregistrement permet cette assertion ? La contradiction profite en l’espèce à la société déposante et renforce sa présomption de propriété.

Quentin SCOLAN

 

[1] « Le simple enregistrement du dessin et modèle par le cessionnaire suffit-il à lui conférer le droit d’agir en contrefaçon ? », Lexis360, La Semaine Juridique, Entreprise et affaires n°06, 8 février 2024, act.151 (en ligne).

[2] Cass.com., 7 avril 1998, n°96-15.048.

[3] Cass.civ.1ère, 15 janvier 2015, n°13-23.566.

contrefaçon enregistrement dessin et modèle

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