Responsabilité civile

  • Principe de non-option des responsabilités contractuelle et délictuelle : illustration à propos du contrat de parking

    (Civ. 2e, 21 déc. 2023, n° 21-22.239)

    Dans un arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 21 décembre 2023, la Cour de cassation explique le principe de non-option des responsabilités contractuelle et délictuelle.

    En l’espèce, le 11 novembre 2011, la passagère d’un véhicule a fait une chute et s’est blessée alors qu’elle marchait dans un parking souterrain, exploité par une société.

    Elle a alors assigné en responsabilité et indemnisation la société exploitant le parking et son assureur, sur le fondement de la responsabilité du fait des choses.

    La cour d’appel[1] a débouté la passagère de ses demandes d’indemnisation selon que la responsabilité susceptible d’être engagée n’était pas extracontractuelle, comme elle a pu le faire, mais contractuelle. En effet, selon les juges « la société qui met à disposition un espace de stationnement, et par conséquent organise et réserve des voies de circulation pour les piétons qui sortent des véhicules ou qui viennent les reprendre, qu’ils soient conducteurs ou non, conclut avec eux un contrat qui la rend débitrice d’une obligation de sécurité excluant l’application du régime de responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle ».

    La Cour de cassation casse et annule la décision des juges du fond aux visas des articles 1231-1, 1240 et 1242 du Code civil, en rappelant la distinction entre la responsabilité contractuelle régie par les articles 1231 et suivants du Code civil et délictuelle régie par les articles 1240 et suivants du Code civil. Cette dernière ne s’applique que lorsqu’il n’existe pas de contrat entre la victime du dommage et son auteur. Pour cette application il est alors primordial de dégager la source de l’obligation qui pèse sur l’auteur du dommage. Ici, la cour d’appel s’est méprise sur la source, ce qui a causé son erreur et a conduit à cette censure par la Cour de cassation.  

    Il est vrai que l’indication figurant dans le contrat de stationnement prête à confusion puisqu’il est indiqué que tous les utilisateurs du parking seront couverts par l’obligation générale de sécurité « qu’ils soient conducteurs ou non ». Mais pour autant, il est impossible de croire que la passagère dudit véhicule puisse être couverte par un contrat auquel elle n’a jamais consenti. Selon l’article 1101 du Code civil, il ne peut y avoir de contrat sans l’échange des volontés. En effet, pour se voir appliquer, la responsabilité contractuelle suppose trois conditions cumulatives : l’existence d’un contrat, l’inexécution d’une obligation prévue au contrat et un préjudice causé. Ces conditions ne sont pas admises en l’espèce.

    La victime n’a alors pas de choix d’option selon quelle responsabilité elle doit engager pour espérer une indemnisation. Il est clair qu’elle doit se diriger vers la responsabilité délictuelle, notamment la responsabilité du fait des choses. La Cour de cassation opère ici un effort pour offrir à la victime son droit à l’indemnisation. Une réforme aurait même été discutée pour essayer un rapprochement entre la responsabilité contractuelle et délictuelle[2].

    Léna RABILLARD

    SOURCES :

    -BIGOT R., CAYOL A., « Application du principe de non-cumul entre les deux ordres de responsabilité », (en ligne), Dalloz actualité, Dalloz, 23 janvier 2024, (consulté le 24 janvier 2024)

    -PEREIRA C., « En l’absence de contrat seule la responsabilité extracontractuelle peut être engagée », (en ligne), Lamyline, 17 janvier 2024, (consulté le 24 janvier 2024)

     

    [1] CA Bastia, 7 juillet 2021, n°19/01065.

    [2] VINEY G., La responsabilité contractuelle en question, in Le contrat au début du XXIe siècle, Études offertes à J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 921 ; G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Les effets de la responsabilité, 4e éd., LGDJ, coll. « Traité de droit civil », 2017.

     

  • Responsabilité délictuelle : maintien du critère d’imprévisibilité de la force majeure

    (Civ. 2e, 30 nov. 2023, n° 22-16.820)

    Dans un arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 30 novembre 2023, la Cour de cassation précise les modalités d’appréciation des critères de la responsabilité délictuelle.

    En l’espèce, un motard a chuté au sol lors d’une séance de « roulage » sur circuit, à la suite d’une manœuvre de freinage. Celle-ci a été causée suite à l’agitation d’un drapeau jaune qui l’invitait à ralentir et qu’il avait interprété comme étant une invitation à freiner, malgré sa grande connaissance des conditions de circulation. Il a, pendant ce temps, été percuté par un second motard qui le suivait de près et a été lui-même percuté par une troisième moto.

    La victime a alors assigné en indemnisation le motard responsable et l’assureur de ce dernier en réparation et indemnisation de son préjudice corporel sur le fondement de la responsabilité pour faute et de la responsabilité du fait des choses.

    La cour d’appel de Paris dans un arrêt du 17 février 2022[1] a débouté les demandes de la victime selon que ses fautes de conduite constituaient le lien de causalité avec son dommage. Elle relève que ses fautes étaient imprévisibles et irrésistibles et que cela suffisait donc à exonérer totalement le pilote à réparer le dommage causé. Celui-ci ne pouvait raisonnablement prévoir qu’un tel accident pouvait se dérouler sur une piste de professionnels de la moto. Il ne pouvait envisager le freinage brutal de la victime et ainsi rien ne pouvait lui permettre de l’éviter compte tenu de leur proximité sur le circuit. De plus, ceux-ci s’étaient vu rappeler les consignes de sécurité avant le démarrage.

    La force majeure joue ici en faveur de l’auteur du dommage, en lui permettant d’être exonéré totalement de sa responsabilité de gardien de la chose. Elle considère également que la victime avait freiné brutalement sans nécessité, contrairement aux consignes données.

    La victime forme alors un pourvoi en cassation selon que les faits lui étant reprochés ne prenaient pas en compte qu’il n’était pas licencié et donc qu’il maîtrisait mal les règles de couleur des drapeaux, contrairement au motard l’ayant percuté, et que leur appartenance commune au classement confirmé ne résultait que de performances réalisées au tour précédent.

    Aux visas des articles 1241 et 1242[2] alinéa 1er du Code civil, la Cour de cassation casse la décision de la cour d’appel. Elle rappelle ainsi que la faute de la victime n’exonère totalement le gardien de sa responsabilité que si elle constitue un cas de force majeure caractérisé[3], notamment par son imprévisibilité. La Cour affirme que n’est pas imprévisible pour les motards qui le suivent, la chute d’un pilote sur un circuit fermé. Elle ne peut relever de la force majeure et ne peut donc conduire à l’exonération totale du gardien de la moto dont la responsabilité est recherchée.

    Cette interprétation est compréhensible du fait de la fréquence des chutes sur un circuit bien que les pilotes soient professionnels.

    La force majeure comporte trois critères reconnus : elle doit être extérieure, imprévisible et irrésistible. Beaucoup de sens divers peuvent être donnés à ces trois critères. La jurisprudence a beaucoup débattu sur ceux-ci. L’imprévisibilité s’entend facilement en droit des contrats, comme le soulève l’article 1218 du Code civil, mais plus difficilement en matière délictuelle puisque l’article 1253 du projet de réforme de la responsabilité civile envisage même de l’exclure de ce domaine.

    Pour être plus juste, il est important que les juges du fond apprécient au cas par cas les fois où la force majeure peut être retenue en matière délictuelle, du fait de sa complexité. Cela ne dépend pas du domaine de la Cour de cassation qui ne doit juger qu’en droit. Pour autant, la Haute juridiction conserve son pouvoir de contrôle de la qualification.

    La cour d’appel a bien rappelé que les consignes de sécurité avaient été répétées plusieurs fois.

    Cette décision peut faire penser à un abandon complet de la force majeure dans un autre domaine que la responsabilité contractuelle. Les juges de la Haute juridiction ne considèrent que peu les faits de l’espèce et délivrent une formulation générale qui semble soulever qu’aucune chute sur circuit ne pourra désormais revêtir les critères de la force majeure.

    Léna RABILLARD

    SOURCES :

    -HERVIEU M., « Responsabilité délictuelle : maintien du critère d’imprévisibilité de la force majeure », (en ligne), Dalloz Actu Etudiant, Dalloz, 20 décembre 2023, (consulté le 5 janvier 2024)

    -NASOM-TISSANDIER H., « Force majeure et exonération du gardien de la chose : à propos d’une chute d’un pilote sur un circuit », (en ligne), Le Quotidien du 8 décembre 2023 : Responsabilité, Lexbase, (consulté le 5 janvier 2024)

    -CAYOL A., « Exonération totale en cas de force majeure : exigence d’une faute imprévisible de la victime », (en ligne), Dalloz actualité, Dalloz, 11 janvier 2024, (consulté le 7 février 2024)

     

    [1] CA Paris, 17 février 2022, n°20/05938.

    [2] Ancien article 1384 alinéa 1er du Code civil.

    [3] Civ. 2e, 8 févr. 2018, n° 17-12.456.