Une nouvelle stricte application de l’article R311-5 du Code des procédures civiles d’exécution
- Par jurisactuubs
- Le 22/01/2024
- Dans Procédure civile d'exécution
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Article publié le 20 janvier 2020
Par un arrêt du 14 novembre 2019[1], la deuxième chambre civile de la Cour de cassation applique une nouvelle fois de façon très stricte l’article R311-5 du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE). Ce texte, ayant déjà fait l’objet de nombreuses jurisprudences, dispose qu’à peine d’irrecevabilité prononcée d’office, aucune contestation ou demande incidente ne peut être formée postérieurement à l’audience d’orientation dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière. Cela reste néanmoins possible lorsque la contestation ou la demande porte sur des actes postérieurs à l’audience d’orientation[2].
En l’espèce, deux prêts notariés ont été accordés le 30 septembre 2005 à M. M. En conséquence du non-remboursement de l’emprunteur, la banque créancière lui a fait délivrer le 10 novembre 2015 deux commandements de payer valant saisie immobilière puis une assignation à comparaitre à l’audience d’orientation devant le juge de l’exécution. Parallèlement, le débiteur assigne la banque en soutenant que les commandements de payer étaient prescrits faute de ne pas les avoir délivrés dans le délai de deux ans imposé par le Code de la consommation[3].
Suite à la jonction des deux procédures, le juge de l’exécution fait droit à la demande du débiteur et déclare nuls les deux commandements délivrés en dehors de la prescription biennale. La banque interjette appel et soutient pour la première fois devant les juges du fond que l’emprunteur avait la qualité de professionnel et qu’il ne bénéficiait donc pas de la prescription applicable en matière de droit de la consommation ; la Cour d’appel accueille l’argumentation de la créancière et infirme le jugement de première instance. Le débiteur se pourvoit alors en cassation et la Haute juridiction, au visa de l’article R311-5 du CPCE, casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel de Douai le 14 juin 2018.
Selon les juges du fond, le moyen invoqué par la banque, relatif à la qualité de professionnel de l’emprunteur et corrélativement à l’application de la prescription quinquennale et non biennale, n’est pas assimilable à une contestation ou une demande incidente. En application du raisonnement de la Cour d’appel, le moyen n’entrait donc pas dans le champ d’application des dispositions de l’article R311-5 du CPCE. Les juges du fond ont ajouté que ce moyen ne constituait pas une demande nouvelle mais un nouveau moyen de défense tendant aux mêmes fins que celles soumises au premier juge visant à contester la fin de non-recevoir soulevée par le débiteur.
Le moyen relatif à la qualité du débiteur et à la prescription applicable peut-il être soulevé en cause d’appel c’est-à-dire postérieurement à l’audience d’orientation ?
En son attendu de principe, la Cour de cassation rappelle sévèrement que les contestations ou demandes incidentes soulevées après l’audience d’orientation ne seront recevables que si elles portent sur des actes de la procédure de saisie immobilière postérieurs à l’audience ou si, nées de circonstances postérieurs à l’audience, elles sont de nature à interdire la poursuite de la saisie. La Cour ajoute que cette règle s’impose à toutes les parties appelées à l’audience d’orientation.
En l’espèce, la Haute juridiction considère qu’ayant été soulevé pour la première fois en cause d’appel, le moyen relatif à la qualité de professionnel ainsi qu’à l’application de la prescription quinquennale doit être jugé irrecevable d’office. Cette règle s’applique peu important que le moyen ait été soulevé par la banque créancière en réponse à une fin de non-recevoir soulevée par l’emprunteur.
Il ne s’agissait pas d’un problème relatif au droit de la consommation mais d’un contentieux procédural. Cet arrêt est loin d’être inédit tant la jurisprudence est dense vis-à-vis de l’article R311-5 du CPCE, mais une fois de plus la Cour de cassation a appliqué le principe avec beaucoup de rigueur. L’arrêt commenté réitère une jurisprudence constante en la matière, en effet la Haute juridiction avait quelques années plus tôt énoncé le principe selon lequel la règle de l’article R311-5 du CPCE concerne toutes les parties appelées à l’audience d’orientation[4]. Plus récemment, la Cour de cassation a considéré que l’article R311-5 précité était « (…) exclusif de l’application de l’article 566 du Code de procédure civile »[5]. Malgré la position très claire des juges, le contentieux est toujours abondant. Il s’agit en effet d’une exception au principe de l’effet dévolutif de l’appel[6] prévu par le Code de procédure civile disposant que l’appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d’appel. Cette obligation des juges du fond de rejuger l’affaire en fait et en droit caractérise l’effet dévolutif. En application de l’adage « specialia generalibus derogant », les dispositions de l’article R311-5 du CPCE priment sur le principe d’effet dévolutif. Dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière la possibilité d’appel contre le jugement d’orientation reste donc très limitée car seuls les actes réalisés postérieurement au jugement peuvent faire l’objet d’un véritable recours.
Cette règle visant à restreindre les facultés de recours aussi bien pour le débiteur que le créancier suite à l’audience d’orientation, a pour but de limiter la longueur de la procédure de saisie immobilière déjà particulièrement longue. En effet, en plus d’orienter la procédure vers une vente amiable ou judiciaire, l’objectif de l’audience d’orientation est aussi de purger tous les vices éventuels affectant la procédure.
Il est donc opportun de rappeler une nouvelle fois l’attention particulière qui doit être portée lors de l’arrivée de l’audience d’orientation, d’autant plus que le créancier est désormais concerné par cette règle procédurale. Les parties ont intérêt à soulever tous les moyens qu’elles souhaitent à ce stade de la procédure car cela ne sera possible que de façon très restreinte par la suite. Dans cette procédure si particulière, il ne faut pas raisonner comme ayant la possibilité de faire appel ; c’est pourquoi les parties doivent se prémunir de tous vices dès la phase devant le juge de l’exécution car « l’appel, dont l’effet dévolutif est entendu de façon particulièrement stricte, ne pourra nullement faire office de session de rattrapage »[7].
Lauren PRUNIER
[1] Cass. Civ 2ème, 14 novembre 2019, n°18-21.917.
[2] Article R311-5 CPCE « A peine d'irrecevabilité prononcée d'office, aucune contestation ni aucune demande incidente ne peut, sauf dispositions contraires, être formée après l'audience d'orientation prévue à l'article R. 322-15 à moins qu'elle porte sur les actes de procédure postérieurs à celle-ci. Dans ce cas, la contestation ou la demande incidente est formée dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'acte. »
[3] Article L137-2 du Code de la consommation (nouv. L218-2) « L'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans. »
[4] Cass. Civ 2ème, 22 juin 2017, n°16-18.343
[5] Cass. Civ 2ème, 31 janvier 2019, n°18-10.930 in Payan (G), « Saisie immobilière : jugement d’orientation et effet dévolutif de l’appel », Dalloz actualité, 20 février 2019.
[6] Kieffer (F), « Saisie immobilière : prééminence de l’article R311-5 du Code des procédures civiles d’exécution, nouvelle illustration », Dalloz actualité, 4 décembre 2019.
[7] Camensuli-Feuillard (L), « Saisie immobilière : irrecevabilité en appel des demandes formées par le créancier après l’audience d’orientation », Dalloz actualité, 11 juillet 2017
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