Exclusion du droit de préemption du locataire commerçant en cas de vente sur saisie immobilière

Civ. 3e, 30 nov. 2023, n° 22-17.505

Dans un arrêt rendu le 30 novembre 2023, la Cour de cassation précise les conditions d’applications du droit de préférence du locataire en cas de saisie-vente immobilière.

En l’espèce, par un jugement d’adjudication en date du 16 mai 2019, rendu sur des poursuites de saisie immobilière engagées par une société A contre le couple, propriétaire d’un local commercial donné à bail à une société B. Le local loué avait été vendu sur les poursuites d’un créancier du bailleur. Le local loué a été adjugé à une société C.

Le 29 mai 2019, la société B, qui est la société locataire, a déclaré exercer son droit de préemption sur le local adjugé. Dans le même temps, la commune, le 6 juin 2019, a déclaré exercer son droit de préemption urbain prévu aux articles L.210-1 et suivants du Code de l’urbanisme. La société B locataire, a alors demandé au juge de l’exécution de juger irrégulière cette déclaration, intervenue postérieurement à la sienne, et d’être déclarée adjudicataire au lieu et place de la société C.

La cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 31 mars 2022[1], a rejeté la demande de la société B au visa de l’article L.145-46-1 du Code de commerce[2] qui accorde un droit de préférence aux locataires commerçants ou artisans en cas de vente des locaux loués. La vente par adjudication du bien ne change en rien cette disposition d’ordre public, mais elle ne peut s’appliquer dans ce cas spécifique de vente.

La Haute juridiction a alors confirmé la décision de la Cour d’appel et a conclu que les dispositions de l’article précité sont d’application, seulement lorsqu’il s’agit d’une vente volontaire de la part du propriétaire et non en cas de ventes faites d’autorité de justice et, qu’en l’espèce il s’agit d’une vente de ce type qui contraint donc l’application classique du droit de préférence au locataire occupant le local au moment de la vente. Cet arrêt est conforme aux intentions de l’article L.145-46-1 du Code de commerce, qui vise à protéger le locataire. La Cour de cassation a aussi jugé bon d’écarter la QPC[3] que le locataire voulait faire poser au Conseil Constitutionnel dans cette affaire[4].

Le texte de l’article L.145-46-1 du Code de commerce prévoit que lorsque le propriétaire envisage de vendre le local, il doit en informer le locataire et que cette notification vaut offre de vente au prix et conditions indiqués. La vente sera ensuite réalisée dans les conditions et délais donnés par le texte. Ce texte peut aussi s’appliquer à des locaux à usage de bureaux, bien que ce ne soit pas le cas pour des locaux à usage industriel.

Le droit de préférence légal du locataire commercial s’applique à toute vente d’un local à usage commercial ou artisanal intervenue depuis le 18 décembre 2014. Cette loi récente de 2014 institue une protection des commerçants et des artisans qui peuvent se voir léser lorsque le propriétaire du local souhaite vendre. Bien que cette protection ait un large spectre, elle ne s’étend pas jusqu’aux ventes par adjudication. Il est logique qu’une vente comme celle-ci ne peut être préférée au profit du locataire puisque le prix n’est pas connu avant les enchères publiques, le locataire ne peut donc pas s’engager en ne connaissant pas le montant. Pour autant, s’il avait été question d’une vente de gré à gré aux conditions et prix fixés par un juge-commissaire, les deux parties auraient pu s’entendre sur une éventuelle vente.

Ce droit n’est pas non plus effectif lors d’aliénations autres que la vente, qu’elles soient à titre gratuit ou à titre onéreux.

Cette solution n’est pas nouvelle puisqu’un arrêt affirmait déjà cela l’année dernière[5]. La jurisprudence a même considéré que le droit de préemption bénéficiant au titulaire du bail commercial n’est pas applicable dans le cadre d’une vente de gré à gré d’un actif immobilier dépendant d’une liquidation judiciaire[6].

Pour autant, le droit de préemption urbain s’applique tout de même en cas de vente sur saisie immobilière.

Léna RABILLARD

SOURCES :

-BARBIER J-D., VALADE S., « Exclusion du droit de préemption du locataire commerçant en cas de vente sur saisie immobilière », (en ligne), Dalloz actualité, Dalloz, 11 décembre 2023, (consulté le 20 janvier 2024)

-« Le droit de préférence du locataire commercial écarté en cas de vente sur saisie », (en ligne), Immobilier, Francis Lefebvre, 19 décembre 2023, (consulté le 20 janvier 2024)

-LAPORTE C., « Saisie immobilière – Adjudication d’un local commercial », (en ligne), Lexis 360, Procédures n°2, Février 2024, comm. 32, (consulté le 7 février 2024)


[1] CA Versailles, 31 mars 2022, n°21/04446.

[2] Créé par la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014.

[3] Question Prioritaire de Constitutionnalité.

[4] Civ 3e, 15 déc. 2022, n°22-17.505.

[5] Civ. 3e, 15 déc. 2022, n° 22-17.505.

[6] Civ 3e, 15 fév. 2023, n° 21-16.475.

 
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