Regard sur la réforme de la procédure civile

Article publié le 2 mars 2020

 

Le 11 décembre dernier, le décret tant attendu réformant la procédure civile[1] est paru. Cette réforme d’ampleur a été vivement critiquée par les professionnels du droit d’une part pour les nombreux changements jugés non opportuns, d’autre part, pour sa parution très tardive au regard de la date d’entrée en vigueur fixée au 1erjanvier 2020. 

Mélody Le Carrer, Clerc d'Huissier de Justice, a accepté de répondre à nos questions sur certaines modifications majeures du Code de procédure civile. Mme Le Carrer est actuellement huissier stagiaire en formation à l'Institut National de Formation des Huissiers de Justice depuis 2 ans. Auparavant elle y travaillait à mi-temps en parallèle de ses études universitaires à la faculté de droit de Vannes. 

 

La fusion des TI et TGI au sein d’un Tribunal judiciaire est-elle un gage de simplification de l’organisation judiciaire ?

Selon moi, cette fusion relève plus d'un changement de dénomination que d'une réelle simplification. Les tribunaux d'instance ont disparu mais à leur place sont apparus des chambres ou tribunaux de proximité dans les communes où il n'y avait pas de tribunal de grande instance. En outre, le « mille-feuille » judiciaire perdure car il y a désormais de nouveaux juges spécialisés, comme le juge du contentieux de la protection. Par conséquent, il s'agit plus à mon avis d'un changement de sémantique. La seule simplification vient du fait que l'on a désormais les tribunaux judiciaires de l'ordre judiciaire et les tribunaux administratifs de l'ordre administratif. En réalité, il n'y a ni grand changement, ni simplification. Dans un certain sens, cela est normal. En effet, il est nécessaire de faire des distinctions au sein des tribunaux du fait de la grande diversité des litiges ce qui fait obstacle à une réelle harmonisation. Ce que je crains en revanche, c'est l'émergence de juridictions spécialisées au sein de certains tribunaux qui vont rendre la carte judiciaire difficilement lisible pour le justiciable profane et qui vont complexifier l'organisation judiciaire face à une simplification uniquement de façade.

L’un des objectifs de cette réforme était de simplifier les modes de saisine des juridictions. Cela est notamment passé par la généralisation de l’assignation en tant que mode de saisine, mais en réalité est-ce un vecteur de sécurité pour le justiciable ?

Indubitablement l'assignation est un vecteur de sécurité du fait de l'intervention d'un Huissier de Justice, officier public ministériel qui va s'assurer de sa régularité. En outre, cet acte est porté à la connaissance du justiciable par voie de signification. Avec cette dernière, on offre une plus grande information et une véracité quant à la remise, là où la lettre recommandée qui était utilisée comme mode de convocation en cas de déclaration au greffe ou dépôt de requête, laisse place à de plus grandes incertitudes. Toutefois, je m'interroge sur la question de la simplification car si la reforme a limité les modes de saisine, elle a en revanche complexifié ces derniers. Ainsi, le dépôt d'une requête requiert désormais une plus grande connaissance juridique puisqu'il est désormais nécessaire d'y préciser les modalités de comparution ce qui est une gageure pour les non-juristes, a fortiori à l'heure actuelle où la représentation par avocat est un principe assorti d'une kyrielle d'exceptions éparses. Par conséquent, ce qui ressort en réalité de ces changements c'est la volonté de limiter les situations où le justiciable saisira la justice de façon pleinement autonome. La reforme complexifie la saisine et rend nécessaire l'assistance d'un professionnel du droit, C'est par ce truchement que se fait de façon indirecte la sécurisation. C'est donc une sécurisation insidieuse qui in fine peut avoir un coût financier pour le justiciable.

L’exécution provisoire de droit des décisions de premières instances est-elle un grand bouleversement dans la procédure civile ?

Du point de vue des principes de la procédure civile c'est un changement majeur. L'effet suspensif de l'appel apparaissait au regard des textes comme l'une des clefs de voute de notre système. Toutefois, en pratique, le bouleversement me semble moindre tant les exceptions étaient nombreuses. Les cas où l'exécution provisoire était de droit apparaissaient comme très nombreux, et le réflexe de la demander et de l'accorder lorsqu'elle était facultative extrêmement répandu. D'autre part, ce bouleversement est tempéré par la permanence d'exceptions dans des matières où l'exécution provisoire était interdite auparavant.

Par conséquent, il s'est agi selon moi de consacrer une situation factuelle. En outre, cela montre la confiance du législateur envers les décisions de première instance ce qui est un message positif. Cela permet également de valoriser l'appel afin qu'il ne soit plus utilisé comme un moyen dilatoire mais comme une vraie voie de réformation.

Un point qui semble tout de même positif dans cette réforme jusqu’alors très critiquée : le recours préalable obligatoire aux modes de résolution amiable des différends dans certains cas de figure. En tant que clerc d’huissier de justice, vous êtes confrontée aux longs délais d’attente pour les parties devant les tribunaux mais vous pouvez également être témoin de recours parfois abusifs (ex : saisine du juge pour de faibles créances). Du fait du manque de succès des MARD, le législateur est passé de la simple incitation à l’obligation. Tout d’abord, selon vous pourquoi les justiciables sont réticents à utiliser ces modes parallèles de résolution des conflits ? Le fait d’avoir rendu obligatoire le recours préalable à un MARD peut-il être bénéfique pour la justice en général ?

Selon moi, l'aspect amiable de ces MARD ne peut coïncider avec leur recours imposé.  Ces derniers reposent sur le caractère volontaire, il me semble que les imposer peut d'un point de vue psychologique les rendre inefficaces car les personnes se sentent forcées et donc moins enclines à se concilier. La réforme prévoit le recours à la conciliation, mais aussi à la médiation, ou bien encore à la convention de procédure participative. En pratique, il me semble que la conciliation sera très largement sollicitée car les autres modes ont un coût. Or, les justiciables ne voudront pas courir le risque de payer deux fois, au moment des diligences amiables et en cas d'échec, au moment d'engager l'action. Ainsi, il s'agira surtout d'une généralisation de la conciliation. Cela est bénéfique car l'on évite d'encombrer les tribunaux et on cherche à encourager la paix civile et la communication, on évite les procès en les désamorçant. Toutefois, la conciliation est un mode amiable particulier qui peut être vu par les parties comme le fait de « couper la poire en deux ». C'est cet aspect qui selon moi explique une certaine réticence. Les justiciables ne veulent pas transiger sur un droit jugé acquis et immuable. En ce sens, la médiation peut être une alternative opportune car elle fait émerger la solution des parties et ne la leur impose pas. Toutefois, les médiateurs sont peu nombreux et la technique de médiation peu connue. Par conséquent, des évolutions sont nécessaires et tout ne me semble pas « prêt » pour garantir le succès de ces modes amiables dans l'intérêt de tous, justiciables, professionnels du droit et magistrats.

La généralisation d’une procédure sans audience devant le TJ peut-elle être considérée comme un manque de sécurité pour les parties ?

La mise en place de cette procédure sans audience requiert l'accord des deux parties. En outre, une audience aura lieu dans le cas où une décision ne peut être rendue sur les seuls écrits, ou si l'une des parties changent d'avis en cours de procédure. Par conséquent, le périmètre de cette procédure sans audience semble très borné. À mon avis, le recours à celle-ci par les parties sans recours à un avocat sera assez anecdotique, ce qui limite les risques. Enfin, si les parties sont représentées par un avocat, les risques semblent enrayés par l'intervention de ces professionnels. À mon avis le risque semble plutôt technique, il faut espérer que le système sera suffisamment performant pour que le gain de temps recherché ne soit pas réduit à néant et que les bugs techniques ne nuisent pas aux parties et à leurs droits. Un contentieux important pourrait donc se développer à ce sujet et engorger les tribunaux là où l'on cherchait à les vider.

Que pensez-vous du rejet de la demande de suspension du décret du 11 décembre 2019 par le Conseil d’État ?

Étant peu aguerrie au contentieux administratif, je ne vais pas me lancer sur l'opportunité de ce référé suspension et sur le rejet du Conseil d'État d'un point de vue procédural. Toutefois, je comprends les raisons de cette demande, notamment au regard du caractère très tardif de la publication. En effet, le décret est paru dans un contexte de grève, et pré-vacances judiciaires ce qui a rendu nécessaire une adaptation dans l'urgence. Une telle précipitation est dangereuse, tant pour les professionnels que pour les justiciables au regard de l'ampleur de la réforme et de certaines stratégies juridiques qui ont dû être revues en vitesse sans pouvoir prendre le recul nécessaire. En outre, des erreurs de plumes apparaissaient dans le décret et entrainaient des confusions. Par conséquent, ce qui est ici dommageable c'est le contexte de la parution. Une plus grande anticipation et une plus grande écoute des professionnels au moment de la rédaction de la réforme aurait certainement évité le recours à cette action devant le Conseil d'État, seule alternative apparaissant comme disponible.

Propos recueillis par Lauren PRUNIER

 

[1] PREMIER MINISTRE. Décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile. JORF n°0288 du 12 décembre 2019, texte n°3.

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