La Propriété intellectuelle : les bonnes pratiques à acquérir

  

Par Charlotte Salaün, juriste dans une maison d’édition (Editions Leduc).

Ancienne rédactrice du blog en 2019-2020.
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Publié le 21 avril 2023

 

1 - Que désigne la propriété intellectuelle ?

La propriété intellectuelle est le domaine du droit qui protège les œuvres de l’esprit.

On distingue deux grandes branches au sein du droit de la propriété intellectuelle :

  • La propriété industrielle, qui protège principalement : les créations techniques via les brevets d’invention, et les signes distinctifs via le droit des marques.
  • La propriété littéraire et artistique, qui comprend les droits d’auteur et les droits voisins.

L’objectif premier de la propriété intellectuelle est d’accorder un droit exclusif au créateur ou à la créatrice pour lui permettre de tirer profit de son œuvre.

Il faut noter que cette protection s’obtient de façon tout à fait différente en propriété industrielle et en propriété littéraire et artistique.

  • Dans le premier cas, une action de la part du créateur est requise : un dépôt auprès de l'Institut national de la propriété industrielle, dit INPI, l’établissement public en charge de veiller à la protection des droits de propriété industrielle en France.

    A l’inverse, le droit d’auteur protège l’œuvre du simple fait de sa création, dès lors que celle-ci remplit deux critères : l’originalité (l’œuvre comporte l’empreinte de la personnalité de l’auteur) et la forme (c’est-à-dire que les idées ne sont pas protégeables, une concrétisation tangible de l’idée est nécessaire pour obtenir la protection).


    2 - Quels sont les atouts de la propriété intellectuelle pour une entreprise ?

La propriété intellectuelle apparaît souvent comme une contrainte tant pour les entreprises qui travaillent au quotidien avec elle que pour les entreprises plutôt extérieures au domaine.

Or, c’est grâce à l’exclusivité accordée sur une œuvre que, par exemple, nous pouvons en tant que maison d’édition, monétiser des créations littéraires. En effet, c’est parce que les auteurs et autrices détiennent un droit patrimonial sur leurs œuvres (c’est-à-dire le droit d’exploiter leurs œuvres sous la forme qu’ils désirent - qu’ils peuvent nous céder contre rémunération) qu’une économie du livre peut exister.

De la même façon, c’est parce qu’il est possible de déposer des brevets et ainsi obtenir l’exploitation exclusive d’une innovation technique que les entreprises peuvent investir dans la recherche.

 

3 – La propriété intellectuelle n’est-elle utile qu’à certaines entreprises ?

Contrairement à une idée largement répandue, la propriété intellectuelle ne concerne pas seulement les entreprises dont c’est l’objet principal.

La plupart des entreprises développent une image de marque propre, un nom et une identité visuelle identifiables rapidement permettant de faire reconnaître leurs produits et/ou services, de les distinguer de ceux de leurs concurrents.

Le droit des marques permet de protéger ce nom et certains éléments d’identité visuelle, dits signes distinctifs, c’est-à-dire d’obtenir un monopole d’exploitation sur le territoire français, européen ou international, pendant une durée de 10 ans renouvelable.

Ce monopole d’exploitation est ou outil puissant contre le parasitisme et la concurrence déloyale, délits qui ne concernent pas proprement le droit de la propriété intellectuelle, mais qui en sont très proches.

Aussi la méthode de la recherche d’antériorité, c’est-à-dire la recherche de disponibilité de la marque, préalable nécessaire à tout dépôt de marques, permet d’avoir un regard approfondi sur l’opportunité de développer notre produit ou service.

 

4 - Quelle méthodologie juridique convient-il d’adopter pour qu’une entreprise respecte les règles de la propriété intellectuelle ?

A divers moments de la vie d’entreprise, interroger ses actions au regard de la propriété intellectuelle est un réflexe indispensable.

Il est impossible d’être exhaustif à ce sujet, mais il y a néanmoins un domaine au sein duquel les entreprises commettent régulièrement des erreurs : la communication autour de leurs produits ou services. Qu’ils s’agissent de publicités diffusées via les médias classiques ou de campagne de communication ou marketing sur les réseaux sociaux, il sera nécessaire de vérifier si les droits détenus sur chacune des créations (vidéos, musiques, créations graphiques…) permettent ce type d’exploitation.

Dans mon parcours professionnel, j’ai noté deux erreurs récurrentes à ce sujet : l’achat d’images sur les banques de données et la création des graphistes salarié.e.s.

A l’ère du numérique, la possibilité d’acheter des photographies sur des banques d’image crée parfois une confusion concernant les droits d’utilisation de ces dernières. En effet, il convient de s’assurer des droits cédés et que ceux-ci englobent bien l’utilisation commerciale de ces images.

Enfin, concernant la création des graphistes salarié.e.s, ou tout autre salarié.e des services communication / marketing dont les créations sont considérées comme originales au sens du Code de la propriété intellectuelle, il convient de se renseigner sur le régime de la création salariée, le contrat de travail n’emportant pas d’office cession des œuvres créées dans son cadre.


 

5 - [ Focus ] comment peut-on utiliser la matière pour protéger la création des employés ? Une entreprise peut-elle librement utiliser la création d’un salarié ?

Il existe un régime spécifique qui encadre la création des salariés. Bien que ce dernier soit complexe et pas toujours clair, quelques règles de base sont à connaître. En effet, en matière de droit d’auteur, la règle est que l’œuvre appartient à son créateur. Par suite, l’employeur n’est pas titulaire de plein droit des créations de ses salarié.e.s. Le contrat de travail ne peut prévoir un transfert automatique à l’employeur des droits sur les œuvres, quand bien même celles-ci auraient été produites au sein de l’entreprise et grâce aux moyens de cette dernière[1]. Aussi, l’interdiction de céder des œuvres futures non déterminées ou non déterminables s’applique.

Il sera donc nécessaire de constater la cession des droits d’auteur du salarié.e par un écrit, distinct du contrat de travail. L’écrit devra distinguer expressément les droits cédés, l’étendue, la durée et le territoire de la cession, de la même manière que lors d’une cession hors rapport employeur-employé.

Une contrepartie financière, en principe proportionnelle aux recettes provenant de l’exploitation de la création ou par exception forfaitaire, sera donc à la charge de l’employeur en sus du salaire, celui-ci ne pouvant être considéré comme contrepartie de cette cession.

Pour autant, on peut spécifier deux cas particuliers : le cas des œuvres collectives et le cas des œuvres journalistiques.

Selon l’article L.113-2 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle, l’œuvre collective est créée à l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs se fond dans l'ensemble, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé. Ici, les droits appartiendront à la personne à l’initiative de la création, qui peut être l’employeur des créateurs.

Concernant le cas des journalistes salariés, il faut se référer aux articles L.132-35 à L132-45 du Code de la propriété intellectuelle relatifs aux droits d’exploitation des œuvres journalistiques, qui prévoient une dérogation au droit commun. La convention liant un journaliste professionnel et l’employeur emporte cession des droits d’exploitation des œuvres journalistes réalisées dans le cadre d’un titre de presse, peu importe le support (papier ou numérique), avec comme seule contrepartie le salaire.

Néanmoins, il faut noter que l’article L.121-8 du Code de la propriété intellectuelle permet à l’auteur de conserver ses droits pour les formes autres que celles exploitées par son employeur, sous réserve que celles-ci ne fassent pas concurrence à l’exploitation au titre de presse.

 

[1] Article L111-1 alinéa 3 du Code de la Propriété Intellectuelle.

 

Propos recueillis par Hoël Rival

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