Interview : Le rôle du notaire dans la lutte contre le blanchiment d’argent

Interview de Maître Romain CIVEL, Notaire associé de la SCP MAUD LE BRAS-VERRECCHIA, ROMAIN CIVEL ET ELVINA LEMAIRE, NOTAIRES ASSOCIÉS à Brunoy (91)

Pour rappel le blanchiment d’argent est défini à l’article 324-1 du code pénal comme le fait de « faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect » ou encore « le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit ». Cette infraction donne lieu à une peine de cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende. La notion de blanchiment d’argent est souvent reliée au financement du terrorisme malgré la présence d’une qualification indépendante à l’article 421-1-2 du code civil. Cet article dispose qu’est un acte terroriste le fait de « financer une entreprise terroriste en fournissant ».

La problématique du blanchiment d’argent est devenue très importante dans notre société puisque d’après l’Office des Nations Unies contre les drogues et le crime elle représente entre 2 et 5% du PIB mondiale. Pour lutter contre ce mal la France a mis en place un dispositif de lutte contre le blanchiment. En première ligne de ce plan les professionnels du droit et notamment les notaires qui ont un devoir de vigilance et de signalement. En 2020, le service de renseignement chargé de la lutte contre le blanchiment d'argent (TRACFIN) a reçu pas moins de 115 601 informations de la part de professionnelle. Les notaires ont transmis 1 546 déclarations de soupçon à cette agence.

  1. Comme beaucoup de professionnels du droit les notaires sont soumis au Dispositif de lutte contre le Blanchiment de Capitaux et le Financement du Terrorisme (LCB-FT), pouvez-vous nous en dire plus sur ce dispositif ?

Les obligations en matière de LCB-FT découlent du Groupe d'action financière (GAFI) qui est une organisation mondiale de surveillance du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.

Cette organisation intergouvernementale fixe des normes internationales visant à prévenir les activités illégales et les dommages qu'elles causent à la société. C’est cette organisation qui élabore des politiques en la matière.

Comme 200 pays et juridictions, la France s’est engagée à mettre en œuvre les normes du GAFI dans le cadre d'une réponse mondiale visant à prévenir le crime organisé, la corruption et le terrorisme.

Pour la France, le COLB (Le Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme) est chargé de réaliser l’analyse nationale des risques en matière de lutte anti-blanchiment et financement du terrorisme requise par les recommandations du GAFI et l’article 7 de la 4ème directive anti-blanchiment

Le dernier rapport du GAFI de mai 2022 a témoigné d'une évaluation globalement positive du notariat en tant qu'entité efficace de prévention.

Toutefois, le Conseil supérieur du Notariat a lancé un grand plan d’action sur les années 2023-2025 auprès des notaires de France pour les former et les accompagner dans la mise en place de procédure de vigilance et de détection des risques.

 

  1. Concrètement comment ce dispositif se met en place lors d’un acte notarié ? Quelles opérations sont concernées par celui-ci ? Quels indices peuvent éveiller les soupçons du notaire ? Quels sont les différents grades de vigilance que doit avoir le notaire face à ces indices ?

Toutes les opérations sont susceptibles d’alerter la vigilance du notaire, particulièrement les ventes immobilières, dans le neuf ou l’ancien, quel que soit le montant de la transaction. Les montages de sociétés ou cession de fonds de commerce sont également concernés.

L’article D.561-32-1 du Code monétaire et Financier précise les critères qui doivent conduire le professionnel à une déclaration auprès de l’administration compétente (TRACFIN).

A titre d’exemple, citons la réalisation d'opérations financières incohérentes au regard des activités habituelles de l'entreprise ou d'opérations suspectes dans des secteurs sensibles aux fraudes à la TVA ou bien Le refus du client de produire des pièces justificatives quant à la provenance des fonds reçus ou quant aux motifs avancés des paiements, ou l'impossibilité de produire ces pièces.

Le notaire doit s’appuyer sur ces éléments mais pas uniquement. Il doit faire appel à son expérience, presque à son « instinct » pour déterminer les dossiers sensibles.

 

  1. Comment le notaire est-il formé à cette thématique ? Comment est-il accompagné dans le cadre de ses obligations ?

Les notaires sont formés depuis de nombreuses années sur cette matière, par différents professionnels (avocat, magistrat, TRACFIN). La mise en place du plan d’action 2023-2025 accélère la dynamique de cette formation et va accompagner les notaires dans la mise en place des procédures de vigilance et sur leurs évolutions permanentes.

 

  1. Quelle est la responsabilité du notaire en cas de manquement à son obligation de vigilance et de déclaration ?

Le notaire, comme tous les professionnels concernés, engage sa responsabilité pénale comme rappelé aux termes des dispositions de l’article 324-1 du code pénal ci-dessus et bien entendu sa responsabilité civile et des sanctions disciplinaires lourdes.

Propos recueillis par Hugo SOUESME

 
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