Interview : Focus sur la commande publique

   Article publié le 31 janvier 2023

 

Capture d e cran 2023 01 10 a 20 22 50hilippe KOUAME, acheteur public, a accepté de répondre à nos question sur la notion de commande publique. 

 

Qu’est-ce que la commande publique ?

"La commande publique, c’est l’ensemble des contrats (marchés publics, concessions, Partenariat Public-Privé) passés par les personnes publiques dans le but de satisfaire leurs besoins.

A partir de ce constat, il est aisé de se rendre compte que la commande publique se présente comme le levier stratégique par lequel l’administration satisfait ses besoins et supporte son activité. En effet, une personne publique a besoin de fournitures de bureau, de véhicules, de matériels, de locaux, entre autres ; et tous ces biens, services et travaux passent par la commande publique.

Lorsqu’on évoque la commande publique, il importe de rappeler qu’elle est guidée par de grands principes que sont :

  • La liberté d’accès à la commande publique ;
  • La transparence des procédures ;
  • L’égalité de traitement des candidats ;
  • L’efficacité de la commande publique ;
  • La bonne utilisation des deniers publics."

 

Les pouvoirs adjudicateurs achètent t’ils de la même manière aujourd’hui ? Les critères tendent-ils à évoluer ? (RSE, développement durable, transparence, accès PME, etc…)

"Pas tout à fait !

Les pouvoirs adjudicateurs (acheteurs publics) connaissent une grande période de transition. Il faut savoir que la commande publique souffrait d’une vision purement juridique auparavant. En cela, la sécurité juridique était la priorité. Cette sécurité était doublée d’une approche dite de « Cost Killer », qui consistait à acheter dans l’objectif d’obtenir les prix les plus bas. Les procédures d’appel d’offres ne visaient qu’à retenir les offres les « moins disantes ».

Ces méthodes et ce positionnement sont en évolution depuis quelques années. Le code de la commande publique y a grandement contribué.

L’on se situe à un stade où désormais, les achats ne sont plus purement et simplement des actes juridiques, mais deviennent, d’abord et avant tout, des actes économiques et stratégiques. Cette nouvelle nature érige la commande publique en véritable levier de mise en œuvre des politiques publiques. Les procédures d’achats visent désormais, et par conséquent, à choisir les offres les « mieux disantes » (à la différence des offres les moins disantes par le passé), lesquelles allient à la fois qualité financière et qualité technique.

En ce qui concerne les critères de jugement, ceux-ci évoluent également pour intégrer de nouveaux éléments tels que le cycle de vie des produits, mais également des considérations relatives à la performance sociale (qui fait écho aux politiques visant les personnes éloignées de l’emploi), à la performance environnementale (qui vise une approche d’achat responsable intégrant une réelle dimension de protection de l’environnement), au développement de l’accès des PME à la commande publique (qui consiste à simplifier les procédures et la constitution des dossiers de réponses, autoriser les variantes, mieux allotir les marchés, etc.) et à développer l’innovation. La plupart de ces considérations permettent d’intégrer de plus en plus des pans de la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) dans le processus de passation des marchés."

 

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Qu’est-ce que pourraient être demain les grandes évolutions normatives de la matière ?

"La commande publique évolue constamment pour s’adapter à la conjoncture. Ces dernières années, il y a eu plusieurs évolutions normatives qui ont conduit à simplifier cette matière, en présentant désormais le code de la commande publique comme une boite à outils, et non plus comme une contrainte. Ce dernier offre énormément de possibilités aux acheteurs.

Par conséquent, j’estime à titre personnel que les normes actuelles sont correctes et prennent en considération les grands enjeux d’aujourd’hui. Les grandes évolutions à venir seront certainement des résultantes d’un contexte économique différent ou nécessitant de nouvelles dispositions. Il est donc difficile de se projeter sur les futures grandes évolutions normatives.

Je pense qu’il serait primordial que l’ensemble des acteurs publics investissent le champ de la professionnalisation, afin que les normes actuelles soient pleinement exploitées."

 

En quoi consiste le métier d’acheteur public (PFRA ?) ?

"Pour expliquer le métier d’acheteur en Plateforme régionale des achats (PFRA), il importe de préciser le contexte organisationnel.

De manière très brève, la PFRA est un service déconcentré relevant du ministère de l’intérieur, plus précisément de la Préfecture de région (qui est un secrétariat de coordination de l’action de l’Etat à l’échelon régional, avec une approche interministérielle). Elle constitue une émanation de la Direction des achats de l’Etat (DAE) dans chacune des régions françaises ; DAE qui relève du ministère de l’économie, des finances, et de la souveraineté industrielle et numérique.

Les missions de la PFRA consistent essentiellement à mettre en œuvre la politique « achats » portée par le DAE, à mettre en place des accords-cadres régionaux auxquels l’ensemble des services et opérateurs de l’Etat pourront se rattacher pour satisfaire leurs besoins, à apporter un soutien et une expertise à ces services.

Être un acheteur en PFRA, c’est donc principalement :

  • Conseiller les services et opérateurs de l’Etat sur le plan juridique et achats ;
  • Définir des stratégies achats pour mieux acheter ;
  • Rédiger les documents administratifs des marchés, veiller à la cohérence des documents techniques et parfois rédiger ces documents techniques ;
  • Réaliser une veille économique, juridique, technique, règlementaire sur les segments d’achats composant son portefeuille (sourcing, benchmark) ;
  • Conduire des procédures d’achats en mode projet, avec un suivi allant de l’amont de la consultation à la notification et au suivi de l’exécution ;
  • Evaluer la performance des marchés ;
  • Etc."

 

Quel est son quotidien ?

"Le quotidien d’un acheteur PFRA est rythmé par les évènements marquants de l’exécution des marchés, mais également par la programmation et la réalisation de tâches sur les marchés à conclure. L’acheteur participe par ailleurs à l’accomplissement d’autres objectifs tels que la professionnalisation des acheteurs, l’animation d’un réseau réunissant les acteurs de l’achat dans la région, la promotion des achats responsables par les webinaires thématiques, etc.).

Les tâches sont diverses et variées, qu’il s’agisse de procédures de passation et d’exécution de marchés (évaluation, rencontre fournisseurs, négociation d’offres, modifications des marchés, etc.), ou encore de politique achats. C’est ainsi que les acheteurs de la PFRA des Pays de la Loire ont pu participer à l’organisation du premier forum régional des achats publics innovants et responsables (FAIR) ; forum qui a permis aux acteurs publics et fournisseurs de se rencontrer autour de sujets en lien avec la performance énergétique, les enjeux de mobilité, etc."

 

La hausse généralisée des coûts contraint encore largement le secteur du bâtiment. Quel impact cela a t’il sur les contrats de la commande publique ?

"La hausse des coûts est une réalité qui impacte le secteur du bâtiment, mais également d’autres secteurs comme ceux des prestations de services.

Ces hausses ont pour conséquence de changer les conditions d’exécution des marchés, et dans certains cas, de bouleverser l’économie général des contrats.

Concrètement, lorsque les marchés ou concessions sont passés, les offres financières proposées correspondent à la réalité économique du moment où elles sont conçues. Lorsque cette réalité économique change, les marchés publics ont la possibilité, ou l’obligation dans certains cas, de prévoir un cadre d’évolution des prix. En dehors de ce cadre, les prix sont réputés figés en raison du principe d’intangibilité des prix.

Avant les crises successives qui touchent l’Europe ou même le monde entier, l’évolution des prix était prévisible dans une certaine mesure. Avec les crises que nous connaissons, la prévisibilité des fluctuations de matières premières a volé en éclat, conduisant à des niveaux d’évolution inédits qui n’entrent pas dans le cadre prévu dans les contrats publics. 

Face à cette situation, des outils juridiques existent. Encore fallait-il que ceux-ci soient reprécisés dans leur régime et leur champ d’application, mais également dans leur permissivité. C’est là qu’est intervenu le Conseil d’Etat avec un avis rendu l’an dernier."

 

A l’occasion d’un avis rendu le 15 septembre 2022, le Conseil d’Etat est venu préciser les cas de modification des prix des contrats de la commande publique. Quel regard porter sur celui-ci ?

"L’avis du Conseil d’Etat était très attendu.

Il a permis de clarifier les cas dans lesquels une modification des prix pouvait être envisager en toute légalité, et quelle forme celle-ci devrait prendre. De ce fait, le code de la commande publique offre certaines possibilités de modification, lesquelles sont complétées par une théorie de l’imprévision dépoussiérée mais non moins complexe dans son application.

L’avis du Conseil d’Etat s’inscrit dans la logique qui conduit la commande publique depuis quelques années : l’agilité et l’adaptabilité. Dans la suite logique des ordonnances prises durant la crise Covid, l’avis vient ouvrir la possibilité de prendre en compte un contexte économique changeant. Cela permet d’avoir une commande publique qui se modernise, perd de plus en plus son manteau de rigidité, pour faire la part belle à une réelle stratégie économique intégrant la bonne santé des prestataires des personnes publiques."

 

Propos recueillis par Hoël Rival

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