Interview d'une juriste en association tutélaire (Association "Eliance," anciennement MSA Tutelles)

Manon CAILLE est une juriste en association tutélaire depuis une sixaine d'années. Elle a réalisé un Master "Protection des Personnes Vulnérables" à l’Université de Brest.

Pour le blog JurisactUBS, elle a accepté de nous parler de son métier et de quelques points précis liés aux mesures de protection.

 

1 - Comment pouvez-vous décrire la profession de juriste en association tutélaire ?

Chaque association tutélaire a sa façon de fonctionner, mais en tant que juriste chez Eliance (anciennement MSA Tutelles), je m'occupe principalement des successions et des ventes impliquant des majeurs protégés, qu’ils soient propriétaires en indivision ou en pleine propriété. Nous prenons en charge ces dossiers de manière complète, en se substituant ainsi aux mandataires.

Pour d'autres questions juridiques, nous apportons un soutien à nos collègues mais nous ne prenons pas entièrement en charge les dossiers. 

Nos responsabilités dans les ventes peuvent varier en fonction de l’état du marché immobilier et des taux d'intérêt en vigueur.

La collaboration avec les professionnels du droit, notamment les notaires, est donc essentielle pour notre travail.

2 - Quelles sont les difficultés de ce métier ?

La gestion des familles autour des majeurs protégés représente la principale difficulté de ce métier. La situation peut donc se compliquer lorsque les coindivisaires refusent de vendre un bien dont le majeur protégé est indivisaire.

En plus, nous devons composer avec l'évolution des situations précaires des personnes accompagnées, ce qui peut nécessiter des ventes en urgence étant donné, souvent, le peu de patrimoine financier disponible à l’ouverture de la mesure de protection, en dehors du patrimoine immobilier détenu.

3 – (FOCUS) Quels sont les principaux points de la dernière réforme en ce domaine, la loi du 23 mars 2019 ?

Faute de temps pour une veille juridique complète, nous nous sommes concentrés sur les points essentiels pour notre travail de juriste au sein d'une association tutélaire. Cette réforme vise à désengorger les tribunaux.

Par exemple, dans le cadre des successions en tutelle, l'accord du juge n'est plus requis si le notaire atteste que la succession est bénéficiaire. Alors qu’auparavant, nous devions obtenir l'approbation du juge à cet effet. Là, le juge substitue ses pouvoirs au notaire en quelque sorte. 

Cette réforme simplifie donc notre travail.

En plus, certains documents ne sont plus nécessaires dans certaines procédures, selon certaines conditions, comme le certificat médical de non-retour à domicile ou la requête en débarras.

4 - Comment protéger au mieux les majeurs ? Quelles mesures peut-on prendre en amont d’une mesure ?

Si une personne montre des signes de dégradation, je recommande de l'encourager à écrire ses volontés tant qu'elle est en mesure de le faire de manière saine et éclairée, par exemple sur ses souhaits concernant son décès ou pour la gestion de ses papiers, si un jour ça ne va plus.

Par exemple, le mandat de protection future est, à ma connaissance, peu utilisé alors que c’est un très bon levier. Les écrits peuvent donc désengorger certaines situations, car les paroles partent mais les écrits restent.

Dans une situation familiale saine, l'habilitation familiale ou la tutelle familiale sont des options à privilégier pour sécuriser au maximum le patrimoine. 

Et, le jour où ça se dégrade vraiment, il suffira d’actionner le fameux mandat de protection future ou de requérir une habilitation familiale. En matière juridique c’est ce qui peut sécuriser le plus une personne.

Il existe justement, s’agissant des tutelles et des curatelles, un service dédié dans le département du Morbihan, à l’UDAF (Union Départementale des Associations Familiales), pour accompagner les futurs ou actuels tuteurs familiaux dans leurs démarches. 

5 - Quels sont vos liens avec les majeurs et vos liens avec les MJPM (Mandataires Judiciaires à la Protection des Majeurs) ?

Je n’ai pas beaucoup de liens avec les majeurs, je leur écris en curatelle pour recueillir leur consentement ou je peux aller les voir avec les mandataires lorsque c’est nécessaire. Je peux avoir un lien occasionnel s’ils demandent à me rencontrer ou pour expliquer des situations complexes.

Parcontre, avec les mandataires, le lien est quotidien, nous avons mutuellement besoin les uns des autres. Par exemple pour recueillir un écrit du majeur, aller lui faire signer un document juridique, l’accompagner aux rendez-vous chez le notaire parce qu’au vu du nombre de mesures qu’on exerce, je ne pourrais pas aller à tous les rendez-vous.

C’est un métier qu’on ne pourrait pas exercer seul.

6 - Reste-t-il une autonomie dans la vente d’une maison pour le majeur en curatelle/tutelle?

Lorsqu'une personne demande la vente de son bien et qu'elle en est pleinement propriétaire, je considère qu’elle garde une certaine autonomie.

Voici comment nous procédons : je lui demande vers quels professionnels elle souhaite se tourner pour la vente, puis je sollicite des estimations. Ensuite, je consulte le majeur protégé pour déterminer le prix de vente, car il est le signataire du mandat de vente. En curatelle il va signer le mandat, le compromis et la vente. Ainsi, il conserve une certaine maîtrise. Cependant, si sa décision semble aller à l'encontre de ses intérêts, nous l'informons des conséquences ou en référerons au juge. Par exemple, si un bien est estimé à 300 000 € et que le majeur protégé souhaite accepter une offre à 100 000 €, cela ne sera pas possible.

Il nous ait déjà arrivé, dans le cadre de mesure de tutelle, de faire signer le mandat et l'offre au majeur protégé. Même si juridiquement cela n'a pas de valeur, cela a quand même une signification émotionnelle pour certains.

J'ai d'ailleurs un exemple récent en tête. Une personne en tutelle nous demandait à chaque fois où en était la vente de son bien. Il y avait eu deux offres au prix, qu’on lui avait présenté, dont une offre qui avait été faite par son voisin. Elle a choisi l'offre de son voisin et nous avons suivi son avis alors qu’elle était en tutelle parce que nous avons estimé qu’elle était encore en capacité de comprendre ce qu’on lui disait et de prendre une décision dans son intérêt, surtout dans la mesure où les deux offres étaient au même prix. Elle a donc choisi en toute connaissance de cause l’acquéreur de sa maison dans laquelle elle avait vécu toute sa vie.

7- (FOCUS) Comment se passe la création ou l’exploitation d’une entreprise pour un majeur sous tutelle ?

Le majeur protégé dans une société, est-ce difficile de le représenter ?

La situation se complique lorsque le majeur sous mesure de protection était déjà dirigeant d'une société avant la mesure et qu’il faut l’en faire sortir.

Un cas complexe récent impliquait un cadre dirigeant dont nous avons dû faire cesser l’activité avec une revente. Il est très régulier que s’il y a une société avant, lorsqu’on arrive avec la mesure de protection, la société soit déjà en liquidation judiciaire. La collaboration avec des mandataires spécialisés est alors indispensable.

Bien que le majeur protégé puisse être associé, cela conduit parfois à la dissolution de la société. Notamment dans le cas des Sociétés Civiles Immobilières (SCI). Les deux dernières que j'ai eu à gérer, cela s'est soldé par la vente des biens immobiliers, la SCI n'avait donc plus d'objet donc on l'a dissoute. 

8 - Que voulez-vous rajouter en guise de conclusion ? Quelles seraient les qualités utiles pour l’exercice de la profession ?

Il est crucial d'avoir une expérience en tant que mandataire avant d'occuper le poste de juriste, pour comprendre les enjeux des dossiers. Certains juristes peuvent être critiqués pour le fait de répondre aux questions avec des articles du Code civil, sans prendre en compte la complexité des situations impliquant des majeurs protégés, dans la mesure où il y a de la vulnérabilité, des pathologies psychologiques ou de la vieillesse. 

Il est essentiel de s'adapter, car il faut conseiller une vingtaine de mandataires avec des caractères différents, les majeurs, les familles des majeurs et les autres professionnels. 

Le travail en équipe est aussi primordial. Les gens peuvent l'oublier lorsqu'ils sont dans leurs conflits familiaux ou dans leur détresse. 

Dans notre service, la protection de l’intérêt des majeurs protégés est la priorité, même si cela peut ne pas paraître être cela.

Lorsqu’il faut annoncer à un enfant qui a vécu pendant trente ans dans une maison, qu’elle va être vendue parce que c’est nécessaire, ça peut être difficile à entendre mais derrière on voit aussi que la personne a pu subvenir, grâce à cette vente, à ses besoins à l’EHPAD jusqu’à la fin de sa vie.

Propos recueillis par Léna RABILLARD

 
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