Interview d'une avocate pénaliste sur l'infraction d'homicide routier

Proposition de loi n°1751 créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière

Le 31 janvier 2024, l’Assemblée nationale a voté en première lecture une proposition de loi1 visant à introduire un nouveau délit spécifique pour les accidents de la circulation résultant d’une prise de risque délibéré, nommé « homicide routier ». Cette initiative fait suite à plusieurs accidents récents où des individus ont perdu la vie, impliquant des conducteurs sous l'influence de substances comme l'alcool ou les stupéfiants.

Traditionnellement qualifiés d’homicides involontaires, ces délits routiers commis avec une circonstance aggravante sont passibles d'une peine pouvant aller jusqu'à sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d’ amende, cette peine pouvant être portée à dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende en cas de constatation d'au moins deux autres circonstances aggravantes2.

Toutefois, les proches des victimes ressentent une injustice à qualifier ces actes d'homicides involontaires, alors que les conducteurs ont consciemment pris des substances ayant contribué à l'accident. C'est pourquoi le gouvernement, soutenu par les parlementaires, souhaite instaurer un délit distinct; d' « homicide routier », dissocié des infractions involontaires.

Maître Boedec, avocate spécialisée en droit pénal et membre du barreau de Vannes, offre son expertise pour nous aider à saisir le sens et la portée de cette loi.

Dans quel cas le délit d’homicide routier sera t-il reconnu ?

L’homicide routier vise à créer une infraction autonome lorsque une ou plusieurs circonstances aggravantes s’ajoute à la qualification d’ homicide involontaire résultant d’un accident de la route.

En d’autres termes, ce nouveau délit, renvoi à un l’homicide causé par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur ayant commis une faute grave. Par ailleurs, Le texte élargit le champ des circonstances aggravantes, qui incluait auparavant la conduite sous l’influence de l’alcool, de stupéfiants, la conduite sans permis, et les excès de vitesse de plus de 50 kilomètres/heure (cette limite étant réduite à 30 km/h).

Il ajoute désormais l’utilisation du téléphone portable au volant, le défaut de porter assistance à une personne en danger, et la conduite sous l’influence de substances psychoactives légales (telles que les médicaments en doses excessives ou le protoxyde d’azote, par exemple).

Quelles sont les conséquences pour les auteurs impliqués dans un accident de la route ?

D’une part, il est important de souligner que l’infraction demeure non intentionnelle. Cela signifie que même si le conducteur impliqué dans un accident de la route a volontairement consommé de l’alcool ou des stupéfiants, cela ne permet pas de conclure de manière concluante qu'il a volontairement cherché à causer la mort de la personne qui perd la vie dans l'accident.

D’autre part, les peines mentionnées précédemment restent inchangées. En d'autres termes, le délit d’homicide routier est puni de la même manière que l’homicide involontaire avec circonstances aggravantes.

Quelles sont les conséquences pour les victimes et les proches des victimes impliquées dans un accident de la route ?

La création de ce nouveau délit d'homicide routier n’a pas d'impact direct sur l'indemnisation des victimes ou de leurs proches. En réalité, cette initiative semble davantage motivée par des considérations symboliques que par des changements concrets dans le système juridique. En renommant l'homicide involontaire en homicide routier, l'objectif principal est de reconnaître symboliquement la souffrance des victimes et de leurs proches, ainsi que la gravité particulière des accidents de la route causés par une prise de risque délibérée.

Finalement, qu’est ce que la création de l’homicide routier va changer ?

Selon Maître Boedec il s’agit d’avantage d’une loi « destinée à un meilleur accompagnement des victimes. » En effet, il faut garder à l’esprit que sur le fond, cette nouvelle infraction ne change pas grand-chose dans la mesure où la peine encourue de 10 années d’emprisonnement maximum en fonction des circonstances aggravantes, restera identique.

En pratique, Il est certain que les familles des victimes sont particulièrement choquées par la qualification d’homicide ou de blessures involontaires, lorsque le conducteur auteur de l’accident a sciemment décidé de prendre le volant de son véhicule en d’état d‘ébriété ou en ayant consommé des stupéfiants. Le terme involontaire pour de tels faits ajoute de la peine à la famille de la personne blessée ou décédée.

Alors, il est certain que ce changement de qualification va permettre une meilleure compréhension et acceptation des décisions pénales par les victimes et leur famille.

La transgression de la traditionnelle distinction entre homicide volontaire et involontaire, opérée par la création d’un homicide routier, pourrait-elle avoir des conséquences sur l’ensemble du droit pénal ?

Les atteintes à la vie peuvent être catégorisées en deux types : volontaires et involontaires. Cette distinction repose sur l'état d'esprit de l'auteur de l'acte, qu'il agisse avec l'intention de causer un dommage ou de manière imprudente.

Dans le premier cas, l'action est délibérée et dirigée vers un résultat spécifique, tandis que dans le second, elle résulte d'une négligence ou d'une imprudence. Ces deux types d'infractions sont différemment traités sur le plan juridique, même si leur gravité peut être extrême.

Le non-respect d'une obligation de prudence ou de sécurité relève généralement des infractions non intentionnelles. Cependant, l'introduction de la notion d'homicide routier brouille cette distinction en utilisant une terminologie ambiguë qui ne révèle pas clairement la nature volontaire ou involontaire de l'atteinte à la personne.

Cela crée une incertitude quant à la responsabilité de l'auteur de l'acte, en ne permettant pas de distinguer clairement s'il s'agit d'un comportement délibéré ou imprudent.

Propos recueillis par Eva Thébault

 

 

 

1 Proposition de loi n°1751 créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière

2 Article 221-6-1 du Code pénal

 
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