Focus sur la suppression de la taxe d'habitation

Article publié le 05 mars 2020

 

La loi de finances 2019 pour 2020 a été promulguée le 28 décembre 2019 et publiée au Journal officiel, le 29 décembre 2019. Celle-ci prévoit des mesures fiscales importantes notamment la suppression de la taxe d’habitation.

Considérée comme une mesure attentatoire aux libertés locales par certains, ou comme un avantage significatif pour le pouvoir d’achat par d’autres, cette suppression a fait couler beaucoup d’encre tant dans son principe que sur son opportunité.

Éric PECHILLON, Professeur en droit public au sein de la Faculté de droit de l’Université de Bretagne-sud, répond à nos questions sur cette réforme fiscale. 

 

 

Mesure emblématique de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, la suppression de la taxe d’habitation s’inscrit dans le cadre d’une réforme de la fiscalité locale qui devait faire initialement l’objet d’un projet de loi spécifique. Cette réforme est finalement intégrée dans la loi de finances pour 2020. Pouvez-vous nous éclairer sur l’objet d’une loi de finances ?

« Une loi de finances est un moment important de la vie démocratique car elle permet au Parlement de consentir à l’impôt pour l’année à venir et de valider les choix budgétaires du gouvernement pour l’année à venir. Elle a une double finalité. D’une part, elle permet de poser le cadre général et les grandes lignes du budget de l’État, c’est-à-dire définir, en première partie, la loi de finances, l’équilibre budgétaire par des plafonds de dépenses qui seront ventilés par grandes missions, dans la seconde partie ; et d’autoriser le prélèvement de l’impôt, ce qui permet de chiffrer les estimations des recettes fiscales, pour une année civile. En substance, la loi de finances fixe les grandes orientations du budget de l’État. Sur sa base, après sa promulgation, sera pris un décret de répartition qui permet de répartir les masses budgétaires entre les différents ministères. D’autre part, elle est l’occasion de profiter du débat sur les finances de l’État pour déterminer les grandes orientations des finances publiques et si les critères de Maastricht sont remplis, à savoir un déficit public inférieur à 3% du PIB et la dette publique inférieure à 60% du PIB. Il n’est donc pas rare qu’au moment de la discussion de la première partie de la loi de finances certaines réformes fiscales affectant les finances locales soient abordées ».

 

Il est constant que dans une loi de finances, l’on peut y introduire une disposition visant à réformer la fiscalité locale. Dans la lignée de la loi de finances pour 2018, la loi de finances pour 2020 consacre la suppression de la taxe d’habitation de manière progressive. En effet, après avoir bénéficié d’un allègement de leur cotisation de taxe d’habitation sur leur résidence principale de 30% en 2018, puis 65% en 2019, 80% des foyers français ne paieront plus aucune taxe d’habitation sur leur résidence principale en 2020. Pour les 20% des foyers fiscaux restants, l’allègement sera de 30% en 2021, puis de 65% en 2022. En 2023, plus aucun foyer ne paiera de taxe d’habitation sur sa résidence principale. Considérée comme injuste et inefficace par l’exécutif, pensez-vous que cet impôt est obsolète ?

« La taxe d’habitation fait partie des quatre vieilles formes d’imposition créées au moment de la Révolution française. A l’époque on préférait parler de contribution au lieu de parler d’impôt. Les entreprises étaient assujetties à la contribution des patentes. Quant aux propriétaires, ils étaient assujettis à la contribution foncière bâtie et contribution foncière non bâtie.  Mais ces recettes fiscales ne permettaient pas de financer l’intégralité des dépenses de la commune. C’est pourquoi il a été décidé d’élargir le panel des contribuables, en créant la contribution personnelle. Le principe se déclinait comme suit : chaque habitant de la commune devait payer l’équivalent de trois jours de travail. Mais cette mesure était très délicate à mettre en œuvre car elle ne prenait pas en compte les disparités entre les emplois occupés par les contribuables. Cette contribution personnelle basée sur le revenu supposé, a été supprimée pour taxer le train de vie. On a inventé l’équivalent de la taxe d’habitation, en arguant que chacun va payer une taxe en fonction de ses signes extérieurs de richesse. Et le signe extérieur de richesse c’était l’habitation. L’évaluation de la valeur locative était du ressort de l’État, suivant le cadastre. En se référant au cadastre, la valeur locative d’une habitation varie d’un quartier à un autre. Toutefois, le cadastre n’est plus à jour depuis 1970, de telle sorte qu’il n’est plus adapté à la réalité des habitations. A titre d’exemple, les habitants de certains quartiers populaires construits à partir des années 70 payent plus chère la taxe d’habitation par rapport aux habitants du centre-ville de Vannes. Ainsi, cet impôt présente une forme d’injustice. La meilleure réforme de la taxe d’habitation serait à mimima une réforme des valeurs cadastrales. Au demeurant, la taxe d’habitation ne prend suffisamment pas en compte les revenus du foyer »

 

La taxe d’habitation est due pour une année donnée par les occupants au 1er janvier de tous les locaux meublés affectés à l’habitation, qu’ils en soient propriétaires ou locataires. Elle est calculée par les services fiscaux en appliquant un taux. Existe-il une uniformisation des taux ?

 « Au nom de la libre administration conformément à l’article 72 de la Constitution, la taxe d’habitation est une arme fiscale qui devrait appartenir aux collectivités locales. Elle constitue une recette fiscale importante pour les communes qui, au moment du vote du budget, fixent le taux de la taxe d’habitation, en fonction de leurs dépenses nécessaires pour assurer le service public de la commune. Liberté égale fiscalité pourrait être une formule pour définir une décentralisation complète. La commune disposant de cette arme devrait être libre dans la fixation et l’orientation de ses politiques budgétaires. Il n’y a donc aucune uniformisation des taux. Le taux est voté par l’assemblée délibérante en vertu du principe de consentement à l’impôt ».

 

La taxe d’habitation étant collectée pour le compte des collectivités locales, et non par l’État, les maires ont-ils été réceptifs à cette mesure ?

« En dépit des nombreuses promesses faites par le gouvernement, les élus locaux et en particulier l’Association des maires de France craignent de perdre des crédits importants. Cette suppression s’inscrit dans une logique de recentralisation, c’est un moyen pour l’exécutif de réétatiser les finances locales, synonyme de la perte de l’autonomie financière des communes. Non seulement, les collectivités sont dépossédées d’une arme fiscale majeure, mais aussi le lien avec les contribuables par l’effet de cette suppression, se délite, dans la mesure où ils deviennent, à terme, des consommateurs de services publics. Il faut aussi ajouter que les communes qui ne pourront plus fixer le taux d’une partie des impôts qu’elles prélèvent, risquent de perdre des résidents, ménages ou entreprises, si les services publics offerts ne sont pas à la hauteur des impôts prélevés ».

 

Pour finir, le coût d’une suppression complète pour les finances publiques impose de trouver un impôt de remplacement, quels sont les mécanismes de compensation mis en place pour compenser cette suppression ?

« Cela dépend de chaque commune. La question est de savoir qui a les moyens de mettre en place cette compensation, quitte à mettre en place une péréquation verticale ou péréquation horizontale. Avec la suppression de la taxe d’habitation, il restera tout de même les taxes foncières dont les sommes collectées sont partagées entre la commune et le département. On peut craindre une légère augmentation desdites taxes si les collectivités locales arrivent difficilement à tenir leur budget. Dans le contexte actuel des élections municipales, on imagine difficilement les candidats proposer une augmentation des impôts locaux dans leur profession de foi. En tout état de cause, il est prévu une attribution d’impôt national aux communes pour compenser la perte de recettes résultant de la suppression de la taxe d’habitation. Une chose est sûre : cette mesure manque de lisibilité aussi bien pour le contribuable que pour les collectivités ».

 

 

                                                                                   Propos recueillis par Beda YAPO 

Réforme

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