Inflation : modification du prix des contrats de la commande publique et indemnisation, mode d'emploi du Conseil d'État

Article publié le 01 décembre 2022

 

 

 

loCapture d e cran 2022 12 01 a 15 41 09rs que les acteurs du secteur privé font face à des dépenses imprévues en raison de l’inflation généralisée des prix[1], Bercy avait saisi au mois de juin le juge administratif d’une demande d’avis relative aux possibilités de modification du prix des contrats de la commande publique en cours d’exécution pour faire face aux surcoûts extracontractuels. Dans ce secteur marqué par une importante compétitivité des entreprises et une certaine rigidité des règles de passation des marchés (mise en concurrence oblige), l’avis rendu par les juges du Palais-Royal le 15 septembre dernier et publié par la Direction des affaires juridiques de Bercy le 21 septembre fut fort à propos. Le Conseil d’État (CE) y rappelle notamment les fondamentaux de la théorie de l’imprévision et entrouvre la voie à des modifications casuistiques des marchés.

En premier lieu, le CE rappelle que le droit en vigueur[2] n’interdit pas par principe qu’un contrat de la commande publique soit modifié sans nouvelle procédure de mise en concurrence. Ces évolutions qui tendraient à compenser les surcoûts, pourraient tout aussi bien concerner le prix, que donner lieu à une subvention d’équilibre (selon la nature du contrat) ou aboutir à un allongement de la durée d’exécution. Néanmoins, ces évolutions ne sauraient changer la nature globale du contrat. La novation est rendue possible lorsque les modifications ont été prévues dans les documents contractuels initiaux ou ne sont pas substantielles ou sont de faible montant. Elle l’est encore lorsque les modifications sont rendues nécessaires par des circonstances imprévues.

C’est cette situation d’imprévision qui intéressera particulièrement les acteurs économiques. Le CE précise qu’en ce cas la modification doit être justifiée par des circonstances imprévisibles dont les conséquences onéreuses excèdent ce qui pouvait ou auraient dû être raisonnablement prévu par un opérateur diligent. Ainsi, l’ajustement tarifaire devrait être limité à la seule couverture des conséquences imprévisibles et des pertes engendrées, afin de ne pas s’exonérer illégalement des règles protectrices de passation des marchés. Enfin, cette modification ne pourra excéder 50% de la valeur du contrat initial. Les ajustements peuvent en revanche s’additionner dans le temps ou bien encore être réajustés à la baisse selon l’évolution du contexte économique, tant que chaque modification ne fait l’objet d’aucun dépassement de ce seuil. Reste que ces solutions supposent l’accord préalable du pouvoir adjudicateur. Le droit positif ne consacre en effet aucun droit à l’ajustement et ne se borne qu’à permettre une éventualité (on l’imagine trop rare).

 

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En outre, les cocontractants peuvent revendiquer une indemnisation sur le fondement de la théorie de l’imprévision. Dans le sillage des arrêts du début du XXe siècle[3], le CE rappelle l’exigence de bouleversement de l’économie du marché pour caractériser l’imprévision. Il devra être tenu compte de la part de surcoût irraisonnable et imprévue que le marché laisse à la charge du concessionnaire en comparaison de ce qu’il aurait dû prévoir. La reconnaissance d’imprévision prend classiquement la forme d’une convention d’indemnisation ad hoc permettant la continuité de l’exécution du marché, sans modification des conditions intrinsèques du contrat initial. L’indemnisation pourrait loisiblement s’accompagner en sus d’une modification du contrat, si celle-ci ne couvre que partiellement le préjudice d’imprévision. Cette solution suppose toutefois, là encore, l’accord préalable de l’acheteur. De fait, pour le pallier, le CE précise dans le point 23 de l’avis que le juge dispose de la faculté d’octroyer une indemnité d’imprévision juridictionnelle à la demande du cocontractant qui n’obtiendrait pas satisfaction de l’acheteur. Celle-ci n’est d’ailleurs pas limitée dans son montant et donc en rien plafonnée par le seuil précité de 50% du prix du marché initial. Cette indemnité pourrait de surcroît être réclamée a posteriori de l’exécution du contrat, et après remise du décompte général et définitif.

En somme, le CE se borne à éclairer en un avis condensé le droit positif applicable, et prends d’ailleurs soin de renvoyer à l’appréciation souveraine des juges compétents les éventuels litiges qui pourraient naître dans ce cadre. Ici comme souvent, prudence est mère de sûreté.

Hoël RIVAL

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[1] Voir notamment les matières premières et les fluides.

[2] Articles L. 2194-1 et L. 3135-1 Code des marchés publics.

[3] Voir CE, 30 mars 1916, Cie générale d’éclairage de Bordeaux, n° 59928.

 

Bibliographie indicative

 



 


 

 
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