Plateformes d’économie collaborative et contrat de travail : La caractérisation d’un lien de subordination

Article publié le 17 janvier 2019

 

La Cour de cassation a enfin pu se prononcer sur la tant attendue question de l’existence d’une relation employeur/salarié entre une plateforme numérique et ses travailleurs, jusque-là considérés comme indépendants.

En effet, par son arrêt du 28 novembre 2018, la chambre sociale est venue qualifier de salariale, la relation liant des coursiers à vélo et une plateforme numérique servant d’intermédiaire, en établissant la réalité du lien de subordination[1] entre ces deux parties.

En l’espèce, une société utilisant une plateforme numérique et une application aux fins de mettre en relation des restaurateurs partenaires avec des clients passant commande de repas et des livreurs à vélo exerçant leur activité sous le statut de travailleurs indépendants, conclu un contrat de prestation de service avec un coursier. Ce dernier saisit la juridiction prud’homale dans le but d’obtenir la requalification de son contrat en un contrat de travail.

Par un arrêt du 20 avril 2017, la Cour d’appel de Paris déboute le livreur de sa demande de requalification du contrat. Selon les juges du fond, même si un pouvoir de sanction dont pourrait disposer un employeur est constaté du fait de l’existence d’un système de bonus et de pénalités envers le coursier, cela ne suffit pas à caractériser un lien de subordination entre celui-ci et la plateforme collaborative. De plus, l’arrêt d’appel indique que le coursier disposait d’une liberté totale de travailler ou non, pouvant choisir chaque semaine ses jours de travail, leur nombre, ses horaires, etc., excluant de fait l’existence d’une relation salariale.

Saisie pour la première fois sur cette question de l’existence d’un lien de subordination entre une plateforme numérique et les travailleurs collaborant avec cette dernière, la chambre sociale de la Cour de cassation vient contredire la position retenue par la Cour d’appel. La Haute juridiction rappelle le principe selon lequel, « l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs et que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ».

En l’espèce, la société avait, d’une part, doté l’application d’un système de géolocalisation en temps réel de la position du coursier et de comptabilisation du nombre total de kilomètres qu’il parcourait, de sorte que le rôle de la plateforme n’était pas celui d’un simple intermédiaire entre restaurateurs, clients et coursiers. D’autre part, la société disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier.

Il résultait donc de ces éléments, l’existence d’un pouvoir de direction et de contrôle de l’exécution de la prestation par la société, caractérisant ainsi un lien de subordination, entrainant à fortiori la requalification du contrat de prestation de services en un contrat de travail.

L’intervention de la Cour de cassation sur ce sujet était très attendu, tant les demandes de requalifications de leurs contrats en contrats de travail de la part de supposés indépendants travaillants au service de plateformes collaboratives s’étaient multipliées ces dernières années. Jusqu’à présent, les juges du fond ont été réticents à reconnaître l’existence d’un contrat de travail liant plateformes numériques et travailleurs. Il existait pourtant une jurisprudence datant de 1996[2] qui pouvait orienter les juges du fonds. Dans cet arrêt Société Générale, la chambre sociale avait déjà posé les critères permettant de distinguer une relation de travail salariée d’une relation commerciale, notamment par la caractérisation du lien de subordination.

Dans son arrêt du 28 novembre 2018, pour caractériser le lien de subordination et donc, l’existence d’un contrat de travail, la Cour de cassation se base sur les mêmes critères que ceux mis en avant en 1996, à savoir le pouvoir de l’employeur de direction, de contrôle et de sanction de son préposé. Cette décision reste donc conforme à la jurisprudence antérieure classique en matière de qualification du contrat de travail, et était donc relativement prévisible.

Il n’en reste pas moins que les conséquences d’une telle solution risquent d’être cataclysmiques pour le marché en pleine expansion de l’économie collaborative. Tous les travailleurs collaborant avec des plateformes numériques (ex : Uber et Deliveroo pour ne citer qu’eux) et jusque-là exerçant sous le statut d’indépendant, risquent désormais de demander la requalification de leurs contrats en contrats de travail pour pouvoir bénéficier du statut plus avantageux de salarié.

La requalification de ces contrats en contrats de travail pourrait également entraîner de très lourdes conséquences pénales pour les plateformes collaboratives, puisqu’elles pourraient être poursuivies pour travail dissimulé, sans oublier les possibles sanctions administratives comme le paiement des cotisations non versées, assorties de majorations et pénalités, etc.

 

   Aurélien LE SAUSSE

 

 Sources :

  • Cass. soc., 28 novembre 2018, n°17-20.079
  • DUBOIS Valérie, « Les livreurs à vélo des plateformes numériques ont la qualité de salarié », Editions Francis Lefebvre, 12 décembre 2018, disponible sur : www.efl.fr 
  • PEYRONNET Marie, « Take Eat Easy : les livreurs auto-entrepreneurs sont subordonnés », Dalloz actualité - Social, article publié le 12 décembre 2018, disponible sur : www.dalloz-actualite.fr 


[1] Pour établir l’existence d’un contrat de travail, la jurisprudence a dégagé trois critères : l’existence d’une prestation de travail pour autrui, une rémunération et un lien de subordination juridique.

[2] Cass. soc. 13 novembre 1996, n° 94-13.187

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