Droit des successions

  • L’action en nullité de l’héritier tuteur contre un acte conclu à titre onéreux par le de cujus de son vivant

     (Cass.com., 13 décembre 2023, n°18-25.557)

    Dans un arrêt de cassation partielle du 13 décembre 2023, publié au bulletin, la première chambre civile de la Cour de cassation se prononce sur le régime de la prescription extinctive de l’action en nullité des actes notariés exercée par l’administrateur légal d’un majeur sous tutelle atteint d’une insanité d’esprit.

    En l’espèce, une personne placée sous sauvegarde de justice par une ordonnance du juge des tutelles du 3 février 2004, décède le 13 août 2008 en laissant pour lui succéder un enfant qui exerçait les pouvoirs du tuteur en qualité d’administrateur légal sous contrôle judiciaire.

    Par actes extrajudiciaires, l’héritier assigne en nullité quatre actes à titre onéreux, consentis en 2001 et 2002 par le de cujus avant l’ouverture de sa tutelle et, à cette occasion, tente également d’engager la responsabilité du notaire instrumentaire pour défaut de vérification de l’état mental du signataire des actes.

    A l’instar du tribunal de grande instance de Draguignan, la cour d’appel d’Aix-en-Provence[1] déclare irrecevable l’action en nullité formée par le demandeur pour être prescrite. Pour la cour d’appel, l’héritier ne pouvait ignorer l’état de démence de son père, ni les actes à titre onéreux auxquels ce dernier a consenti, et qu’il ne pouvait, en sa qualité d’administrateur légal, agir seul en nullité de ces actes.

    Débouté de ces demandes en annulation, l’héritier se pourvoit en cassation. Il soutient que la prescription ne peut pas courir contre les majeurs en tutelle et que la décision frappée de pourvoi devrait donc, selon lui, encourir la cassation.

    Par une décision du 20 décembre 2023, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt aixois. Publiée au Bulletin, aux Lettres de chambre[2] et au Rapport annuel, la première chambre civile de la Cour de cassation énonce que « l'action en nullité d'un acte à titre onéreux pour insanité d'esprit intentée par un héritier sur le fondement du deuxième de ces textes [art. 489-1 anc. c. civ.] est celle qui existait dans le patrimoine du défunt sur le fondement [art. 489 anc. c. civ.] et doit être soumise à la même prescription ».

    Il s’agit d’un arrêt important qui présente l’intérêt de rassurer les conseils des héritiers agissant en nullité. En effet, pour la Cour de cassation, l’héritier qui sollicite l’annulation des actes conclus pour insanité d’esprit sur le fondement de l’ancien article 489-1 du Code civil devenu l’article 414-2 depuis l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations ne fait que d’emprunter une action mise à la disposition du défunt de son vivant. En conséquence, l’administrateur légal poursuivant la nullité en qualité d’ayant droit de son père « ne pouvait se voir opposer l’écoulement du délai de prescription à compter du jugement de tutelle jusqu’au décès, peu importe l’action qu’il aurait pu exercer durant la mesure de protection ».

    Quant à la responsabilité du notaire, la Cour de cassation censure les juges du fond au visa de l’article 466 du CPC pour défaut de motivation. Pour la Cour de cassation, le juge doit procéder à l’examen, même sommaire, de toutes les pièces médicales produites par les parties. En l’espèce, il reviendra à la cour de renvoi de Lyon d’évaluer l’ensemble des documents présentés lors des débats.

    Enfin, à supposer que la faute du notaire soit reconnue et que les actes notariés incriminés soient annulés pour insanités d’esprit de leur auteur, il faudra convaincre la cour d’appel de renvoi de la réalité des préjudices qui en résultent. Selon une jurisprudence constante, les restitutions consécutives à l’annulation d’actes instrumentés, quelle qu’en soit la cause, ne constituent pas à elles seules un dommage réparable.

    Dorian GABORY

    Sources :

    • HELAINE Cédric, « Du point de départ de la prescription de l’action en nullité de l’héritier tuteur contre un acte conclu à titre onéreux par le défunt », [en ligne], Dalloz actualité, janvier 2024, [consulté en janvier 2024]. https://www.dalloz-actualite.fr

    • NOGUERO David, « Insanité d’esprit et période suspecte : prescription de l’action en nullité de l’héritier et responsabilité du notaire », [en ligne], Actu-Juridique, février 2024, [consulté en février 2023]. https://www.actu-juridique.fr/
     

    [1] CA Aix-en-Provence, Chambre 4, 20 sept 2018, n°17/02658

    [2] Lettre de la première chambre civile, janvier 2024, n°13