L’exonération de la responsabilité du transporteur ferroviaire en cas de faute de la victime

Article publié le 24 février 2020

 

Dans un arrêt du 11 décembre 2019[1], la première chambre civile de la Cour de cassation s’est penchée sur la responsabilité du transporteur ferroviaire.

En l’espèce, au cours d’un trajet en train assuré par la SNCF, une voyageuse, munie d'un titre de transport, malgré des consignes de sécurité répétées par le personnel, a été victime de l'écrasement d'un doigt lors de la fermeture d'une porte automatique, dans une voiture bondée. Elle a alors assigné la SNCF afin de la voir déclarée entièrement responsable et condamnée à lui payer une provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice.

 

Par un arrêt du 21 décembre 2017, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence fait droit à sa demande, en jugeant que le transporteur ferroviaire était entièrement responsable de l'accident et l'a condamné à réparer le préjudice subi.

La SNCF a alors formé un pourvoi en cassation, pour obtenir une exonération partielle de sa responsabilité. Elle invoque l'existence d'une faute d'imprudence de la victime sur le fondement de l'article 26, § 2, b), de l'annexe I du règlement CE 1371/2007 du 23 octobre 2007, selon lequel le transporteur ferroviaire est déchargé de sa responsabilité « dans la mesure où l'accident est dû à une faute du voyageur ».

C’est dans une décision adoptant le nouveau mode de rédaction que la Haute juridiction censure l’arrêt des juges du fond. Selon elle, il résulte des articles 11 du règlement du 23 octobre 2017 et 26 de son annexe I, L. 2151-1 du code des transports et 1147 ancien du code civil que « le transporteur ferroviaire peut s'exonérer de sa responsabilité envers le voyageur lorsque l'accident est dû à une faute de celui-ci, sans préjudice de l'application du droit national en ce qu'il accorde une indemnisation plus favorable des chefs de préjudices subis par la victime ». Subséquemment, la première chambre civile de la Cour de cassation procède à une modification de sa jurisprudence qui empêchait le transporteur ferroviaire de s'exonérer partiellement de sa responsabilité.

Par cet arrêt inédit, la Cour de cassation se prononce sur l’articulation entre le droit européen et le droit interne sur la responsabilité du transporteur ferroviaire.

Primo, il faut rappeler qu’en matière de responsabilité du transporteur ferroviaire, le règlement 1371/2007 du 23 octobre 2007 instaure au sein de l'Union européenne un régime de responsabilité́ des transporteurs ferroviaires en cas de dommage causé aux voyageurs ou à leurs bagages, qui est distinct du droit français. En effet, la première chambre civile qui change aujourd’hui de position, refusait systématiquement d’exonérer le transporteur, estimant que ce dernier était tenu d’une obligation de sécurité de résultat envers le voyageur[2]. Plus explicitement, il était de jurisprudence constante que seule la faute du voyageur, qualifiée de force majeure, pouvait exonérer le transporteur de sa responsabilité. C’était la ligne adoptée par les juges du fond en l’espèce. Les caractéristiques de la force majeure étant : l’extériorité, l’irrésistibilité et l’imprévisibilité.

Cependant, le règlement européen de 2007 prévoit la possibilité pour le transporteur ferroviaire d’une exonération partielle ou même totale, fondée sur la faute de la victime alors même qu’elle ne présenterait pas les caractères de la force majeure. Le règlement traduit objectivement une politique de protection des transporteurs ferroviaires[3]. En substance, le droit français et celui de l’Union européenne s’opposent quant à l’intensité de l’effet exonératoire de la faute contributive de la victime.

 

Deuxio, le comportement de la victime est traditionnellement considéré en droit français comme un moyen pour le défendeur, dont la responsabilité est reconnue, d'obtenir une atténuation de cette responsabilité et une réduction de l'indemnité mise à sa charge. Cette exonération partielle ou totale s'explique par la responsabilité de la victime, dans la survenance de son propre dommage, de telle sorte qu’il en résulte une responsabilité partagée, ancrée dans le marbre du droit français[4]. En modifiant sa jurisprudence, par cette décision, la Cour de cassation renoue avec cette tradition française, dont on ignore pourquoi elle s’en était détachée, sans doute pour privilégier une protection maximale de la victime. Désormais, la faute simple de la victime est désormais une cause exonératoire de responsabilité pour le transporteur. Ainsi, il n’est nullement nécessaire de démontrer le caractère de force majeure cette faute.

 

Tertio, quant à l’articulation stricto sensu entre droit européen et droit français, le raisonnement des juges du Quai de l’horloge est en parfaite adéquation avec les textes y afférents. C’est avec une sacrée prouesse, que la Haute Cour axe son analyse, de manière judicieuse, sur deux terrains : la responsabilité et l’indemnisation. Pour rappel, un règlement européen est un acte législatif contraignant, d'application immédiate obligatoire, de façon simultanée et uniforme à tous les membres de l'Union européenne. La Cour de cassation rappelle une évidence : en matière de responsabilité ferroviaire, il faut se référer aux dispositions du règlement précité, c’est-à-dire, à ses conditions, ses faits générateurs et ses causes exonératoires dont la faute de la victime.  Néanmoins, au niveau de l’indemnisation, la première chambre civile précise que : le régime européen de responsabilité des transporteurs ferroviaires de personnes s'applique « sans préjudice de l'application du droit national en ce qu'il accorde une indemnisation plus favorable des chefs de préjudices subis par la victime ». En d’autres termes, le droit français ne peut pas se substituer au régime européen, il peut simplement le compléter au stade de la détermination des préjudices réparables du voyageur et de leur évaluation[5]. Il est donc parfaitement possible, sur le terrain de l'indemnisation, de tenir compte du droit national et de l'appliquer s'il est plus favorable aux victimes.

 

In fine, il faut retenir que cet arrêt sonne la fin de l’automaticité de la responsabilité du transporteur ferroviaire. Et ce dans le contexte actuel de la grève de la SNCF, marquée par de nombreux trains bondés, dans lesquels les voyageurs n’ont jamais été aussi exposés à des accidents comme l’écrasement d’un doigt lors de la fermeture des portes automatiques. En tout état de cause, les fidèles de la SNCF doivent redoubler de vigilance tout au long de leur voyage en train.

 

 

                        Beda YAPO

 

 

 

 

 

 

[1] Cass, Civ 1ère, 11 décembre 2019, n° 18-13840

[2] Cass. Civ 1ère 13 mars 2008, n°05-12551

[3] C. PAULIN, « Le règlement européen n° 1371/2007 du 23 octobre 2007 sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires : l’illusion consumériste », REDC 2012, p. 651.

[4] V. JOSSERAND, « La responsabilité envers soi-même », DH 1934, chron. p. 73. – C. LAPOYADE-DESCHAMPS, « La responsabilité de la victime », Thèse Bordeaux 1977, p. 9 à 11.

[5] C. FRANCOIS, « Responsabilité du transporteur ferroviaire interne de voyageurs : exclusivité décrétée du régime européen, recul acté des droits des voyageurs », Recueil Dalloz 2020, publié le 1er février 2020, p.188

 

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