Le fait du tiers indifférent face à la responsabilité du producteur

Article publié le 25 février 2019

 

Le 28 novembre 2018, la première chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée sur la responsabilité du fabricant d’un produit défectueux face au fait du tiers qui a contribué à la survenance du dommage. Elle décide que le fait du tiers ne réduit pas la responsabilité du producteur s’il est constaté que la défectuosité du produit est l’une des causes du dommage.

L’arrêt d’espèce concerne le crash de l’Airbus A320 de la compagnie aérienne Indonesia Air Asia qui avait provoqué la mort de 155 passagers le 28 décembre 2014. En se fondant sur l’article 809 alinéa 2 du Code de procédure civile et en vue d’obtenir le paiement d’indemnités provisionnelles, les proches des victimes ont assigné en référé la société Airbus, constructeur de l’avion, et la société Artus, fabricant du module électronique RTLU qui équipait l’avion.

Après une décision de première instance, la Cour d’appel d’Angers considère que l’obligation des sociétés Airbus et Artus à indemniser les proches des victimes demanderesses est sérieusement contestable. En effet, selon les juges du fond, la simple implication d’un composant dans la réalisation du dommage est insuffisante pour engager la responsabilité du producteur. Il faut apprécier également la rigueur et la qualité des opérations de maintenance de l’appareil qui incombent aux compagnies aériennes et non aux fabricants. Ainsi, les juges relèvent que le module RTLU présentait des « fêlures et dégradations » (une défectuosité) qui ont pu conduire à la panne du module. Ils retiennent également que cette panne du module était le premier facteur de l’accident. Malgré tout, le comportement « inadapté » de l’équipage face aux dysfonctionnements signalés du module RTLU et l’absence de remplacement de ce dernier lors de la maintenance de l’appareil alors même que le dysfonctionnement était connu, sont des éléments ayant contribué à la réalisation du dommage. Par ailleurs, l’absence de fiabilité du module n’était pas connue par le constructeur.

La Haute juridiction décide en l’espèce de censurer la décision des juges du fond au visa des articles 1245 et 1245-13 nouveaux du code civil et de l’article 809 alinéa 2 du Code de procédure civile. Ainsi, les juges du droit rappellent que « le producteur est responsable de plein droit du dommage causé par un défaut de son produit » et que cette « responsabilité du producteur envers la victime n’est pas réduite par le fait d’un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage ». Dès lors, ils décident logiquement que les « motifs fondés sur le fait de tiers ayant concouru à la réalisation du dommage et sur le défaut de connaissance, par les producteurs de l’avion et du module litigieux, de l’absence de fiabilité de ce dernier » sont impropres à caractériser l’absence d’une obligation, à la charge des sociétés Airbus et Artus, d’indemniser les proches des victimes alors même que le défaut du module avait été constaté.

Ainsi, les juges du droit viennent rappeler la lettre de l’article 1245-8 du Code civil qui dispose que « le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage ». En l’espèce, le défaut du produit avait été constaté par la Cour d’appel qui retient pourtant que « la simple implication d’un composant dans la réalisation du dommage est insuffisante pour engager la responsabilité du producteur ». C’est logiquement que les juges du droit soulèvent l’incohérence de la décision de la Cour d’appel, la défectuosité du module RTLU était clairement impliquée dans la survenance de l’accident. Dès lors, la preuve du « défaut » du produit est parfaitement rapportée. Par ailleurs, le lien de causalité entre ce défaut et le dommage est aussi établi en ce que le défaut a conduit à la panne du module RTLU, dysfonctionnement qui était « le premier facteur dans le temps ayant pu contribuer à l’accident ». Ainsi, la responsabilité du producteur est de plein droit engagée[1].

Par ailleurs, la Haute juridiction rappelle que le fait du tiers est indifférent face à la responsabilité du producteur. En effet, il résulte de l’article 1245-13 du Code Civil que « la responsabilité du producteur envers la victime n'est pas réduite par le fait d'un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage ». Ainsi, le fabricant désigné comme responsable ne peut pas, dans un premier temps, rejeter tout ou partie de sa responsabilité sur un tiers. Il est ainsi tenu d’indemniser intégralement la victime. Cette règle est clairement protectrice pour la victime et lui évite d’exercer un recours contre chaque responsable.

Toutefois, le fabricant n’est pas sans recours. Une fois la victime indemnisée, il va pouvoir agir contre les autres responsables de l’accident pour se faire rembourser une partie des dommages et intérêts versés à la victime. En l’espèce, le fait du tiers relevé par la Cour d’appel (comportement inadapté après détection du dysfonctionnement et maintenance défaillante) va permettre aux fabricants d’exercer une action pour limiter, in fine, les conséquences financières de la condamnation.

Brieuc BENJAMIN

 

 Source :


[1] Article 1245 du Code Civil : « Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime ».

 

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