Revirement jurisprudentiel majeur portant sur la procédure en droit des pratiques restrictives de concurrence

Cass. com., 18 oct. 2023, n° 21-15.378

Dans un arrêt rendu par la chambre commerciale le 18 octobre 2023, la Cour de cassation précise la compétence exclusive des juridictions commerciales spécialisées en droit des pratiques restrictives de concurrence. Cet arrêt important sera commenté dans le rapport annuel de la Cour de cassation.

En l’espèce, une société A et une société B avaient conclu, en novembre 2014, un contrat de fourniture de luminaires et de maintenance. Les luminaires donnaient lieu parallèlement à un contrat de location financière entre la société A et une société C. La société B a par la suite été placée en liquidation judiciaire. La société B ne répondant plus aux demandes d’intervention lors de dysfonctionnements, la société A a cessé de payer les loyers à la société C à partir du mois de décembre 2017.

La société C, en application d’une clause attributive de compétence insérée au contrat, a assigné la société A en paiement de diverses sommes devant le Tribunal de commerce de Saint-Etienne. La société A a alors demandé, à titre reconventionnel, que le tribunal précité se déclare incompétent au profit de celui de Marseille, spécialement désigné dans l'annexe de l’article L.442-6[1] et qu’il lui soit appliqué les dispositions de l’article L.442-6 du Code de commerce[2]. Ce texte précise les juridictions commerciales spécialisées compétentes pour statuer sur les litiges relatifs aux pratiques restrictives de concurrence. Le Tribunal de commerce de Saint-Etienne, quant à lui, ne fait pas partie de la liste des juridictions spécialisées. 

Par un jugement du 28 janvier 2020, le Tribunal de commerce de Saint-Etienne a renvoyé l'affaire devant le Tribunal de commerce de Lyon, juridiction aussi spécialisée dans ce domaine. La société C a interjeté appel.

La Cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 3 décembre 2020[3], infirme le jugement et déclare irrecevable la demande de la société A, pour n'avoir pas été formée devant une juridiction spécialisée de première instance. Ce défaut doit, selon elle, être sanctionné par une fin de non-recevoir. La société A se pourvoit en cassation.

La Cour de cassation, opère alors un revirement jurisprudentiel et juge que la règle résultant de l’application combinée des articles L 442-6, III et D 442-3 précités, désignant les seules juridictions commerciales pour connaître l’application des dispositions de l’article L 442-6, I et II, institue une règle de compétence d’attribution exclusive et non une fin de non-recevoir. S’agissant d’une cassation sans renvoi liée à une question de procédure, elle décide aussi, que l’article L.442-6 du Code de commerce n’est pas applicable aux activités de location financière, qui relèvent du Code monétaire et financier, ce qu’elle avait déjà affirmé dans l’arrêt Green Day[4]. La société n’était donc pas fondée à invoquer cet article et, dans ces conditions, le Tribunal de commerce de Saint-Etienne est bien compétent pour statuer sur ce litige.

L’apport majeur de cet arrêt est de préciser que la saisie d’une juridiction non spécialisée en droit des pratiques restrictives entraîne désormais l’incompétence, en faveur d’une règle de compétence d’attribution exclusive, plutôt que l’irrecevabilité, qui était la règle stricte jusqu’alors appliquée. Cet apport est un revirement qui était attendu depuis longtemps et qui permet, en l’espèce, de poursuivre le contentieux bien que la juridiction saisie ne soit pas celle compétente. Par conséquent, si la juridiction saisie n’est pas une juridiction spécialisée, elle doit soit surseoir à statuer dans l’attente de la réponse de la juridiction spécialisée, soit renvoyer l’affaire devant la juridiction spécialisée. Cette jurisprudence s’applique pour l’avenir et rétroactivement. Elle ne pourra pas remettre en question des décisions antérieures irrévocables ayant été prononcées sur le fondement de l’irrecevabilité, mais pourra conduire à la mise en doute de solutions susceptibles d’appel ou de pourvoi.

Cette nouvelle solution offre aux justiciables une chance de voir leurs revendications aboutir sans pour autant craindre l’intervention d’un délai de prescription.

La chambre commerciale a par ailleurs précisé que si les demandes fondées sur l'article L. 442-6 précité devaient être déclarées irrecevables lorsqu’elles étaient présentées devant une juridiction non spécialisée, « celle-ci pouvait néanmoins valablement statuer sur les demandes fondées sur le droit commun », en particulier l'article 1103 du Code civil.

Cependant, il faudra veiller à la rétroactivité de ce revirement. Si une partie a relevé la fin de non-recevoir antérieurement à ce revirement de jurisprudence, la situation sera bloquée puisque l’exception d’incompétence doit être soulevée in limine litis, c’est-à-dire avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.

Léna RABILLARD

Sources :

-AMARO R., « Spécialisation du juge en droit de la concurrence : le revirement ! », (en ligne), Recueil Dalloz 2023, Dalloz, N°44 du 28 décembre 2023, p. 2298 (consulté le 3 janvier 2023).

-BELLINO C., BOUTIE T., « Chronique de jurisprudence de la Cour de cassation », (en ligne), Recueil Dalloz 2023, Dalloz, N°44 du 28 décembre 2023, p. 2268 (consulté le 3 janvier 2023)

-BARBA M., « Sur la rétroactivité de la jurisprudence nouvelle et sa modulation a posteriori », (en ligne), Dalloz actualité, Dalloz, 13 novembre 2023, (consulté le 3 janvier 2023)


[1] Visée à l'article D.442-3 du Code de commerce (devenu D.442-2).

[2] Devenu article L.442-1 du Code de commerce.

[3] CA Lyon, 3 décembre 2020, n° 20/01135.

[4] Com., 26 janv. 2022, n° 20-16.782.

 
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