Rappel sur les différentes procédures de résiliation du bail commercial en procédures collectives

Article publié le 08 janvier 2020

 

Par un arrêt très attendu du 9 octobre 2019[1], la Cour de cassation s’est positionnée sur la procédure devant être suivie pour la résiliation du bail commercial en saisissant le juge-commissaire au lieu du juge des référés. En son attendu de principe elle estime que « cette procédure, qui obéit à des conditions spécifiques, est distincte de celle qui tend, en application de l’article L145-41 du Code de commerce, à faire constater l’acquisition de la clause résolutoire stipulée au contrat de bail ».

En l’espèce, une SCI conclut un bail commercial avec la société Carla portant sur des locaux destinés à l’exercice de son activité commerciale. La société preneuse est mise en liquidation judicaire le 17 novembre 2016. Le juge-commissaire rend une ordonnance autorisant la cession du fonds de commerce puis, la société bailleresse réclame à ce dernier par une requête du 21 mars 2017, la résiliation du bail commercial pour des loyers dus postérieurement à l’ouverture de la procédure collective. L’acte de cession du fonds de commerce de la société Carla comprenant le droit au bail est signé le 25 avril 2017 sous plusieurs conditions, notamment celle d’un rejet définitif de la demande de constatation de résiliation du bail. Par une ordonnance du 16 juin 2017, le juge-commissaire rejette la demande de constatation de résiliation du bail ; rejet confirmé par le jugement de première instance.

La société bailleresse interjette appel contre la décision du juge-commissaire tendant au rejet de la constatation de résiliation du bail, mais la Cour d’appel de Paris confirme le jugement de première instance par un arrêt du 4 avril 2019. La SCI se pourvoit alors en cassation et la Haute juridiction casse et annule l’arrêt d’appel au visa des articles L641-12, 3° et R641-21 alinéa 2 du Code de commerce.  

Selon les juges du fond, la constatation de la résiliation du bail par le juge-commissaire n’échappe pas à la signification préalable d’un commandement de payer et corrélativement au respect du délai d’un mois entre la délivrance de l’acte et la résiliation. La Cour d’appel faisait référence au caractère d’ordre public du statut des baux commerciaux qui doit s’appliquer quel que soit le juge saisi[2]

La procédure de résiliation du bail commercial devant le juge-commissaire est-elle assujettie à l’exigence de délivrance d’un commandement de payer exigée par l’article L145-41 du Code de commerce ?

Le bail commercial est, au jour du jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire, un contrat en cours qui est continué de plein droit car nécessaire à l’activité. Dans le cadre d’une procédure collective le bailleur détient deux possibilités : soit le bailleur fait constater la résiliation de plein droit du bail pour des loyers dus postérieurement au jugement d’ouverture[3], au terme d’un délai de 3 mois à compter de la date du jugement[4]. Soit le contrat de bail contient une clause résolutoire, dans ce cas le bailleur peut l’invoquer pour résilier de plein droit le contrat. Cette seconde résiliation n’interviendra qu’après l’écoulement d’un délai d’un mois à compter de la signification d’un commandement resté infructueux[5]

En l’espèce, la Cour de cassation a considéré que le bailleur qui demande la constatation de la résiliation de plein droit du bail devant le juge-commissaire sans revendiquer le bénéfice d’une clause résolutoire n’est pas dans l’obligation de délivrer le commandement exigé par l’article L145-41 du Code de commerce. Les juges du fond ont donc ajouté une condition aux articles L641-12 et L622-14 précités. 

Cette question a divisé les juges du fond ainsi que la doctrine. En outre, la Cour de cassation n’a pas toujours eu le même avis, en effet dans le cadre d’un redressement judiciaire, il a été jugé que pour faire application des dispositions de l’article L622-14 précité devant le juge des référés, le bailleur devait préalablement délivrer un commandement dans les conditions légales[6]. En l’espèce, la Haute juridiction a fait le choix de restreindre le champ d’application de l’article L145-41 précité à la seule hypothèse du jeu de la clause résolutoire devant le président du Tribunal de grande instance (désormais Tribunal judiciaire). Lorsque le bailleur demande la constatation de la résiliation de plein droit au juge-commissaire, la procédure est distincte et le commandement prévu pour la résiliation de plein droit devant le juge des référés n’a pas lieu d’être. 

Cette position de la Cour peut surprendre étant donné le régime, en principe, protecteur des baux commerciaux à l’égard du preneur. Le critère n’est en réalité pas celui du juge saisi mais le fondement utilisé par le bailleur. Si ce dernier invoque la clause résolutoire, un commandement doit être délivré pour respecter les dispositions relatives au jeu de la clause résolutoire de l’article L145-41 du Code de commerce. Tandis que si le bailleur se fonde exclusivement sur les dispositions relatives à la résiliation de plein droit des baux continués devant le juge-commissaire, il est dispensé de la formalité de la délivrance d’un commandement[7]. Dans le cadre d’une résiliation du bail de plein droit, la saisine du juge-commissaire peut donc sembler plus avantageuse pour le bailleur car cela n’implique pas la formalité de la délivrance du commandement. Cependant le constat de la résiliation de plein droit ne peut être demandé avant l’expiration d’un délai de 3 mois à compter du jugement d’ouverture, cela n’est donc pas nécessairement davantage favorable si le bailleur souhaite mettre fin au bail rapidement. En tout état de cause, il est préférable de prévoir une clause résolutoire ou d’être dans le cas de figure d’une résiliation de plein droit pour des impayés de loyers dus postérieurement à l’ouverture de la procédure collective, car une résiliation judiciaire subira l’aléa de l’appréciation du juge à l’inverse du simple constat de la résiliation intervenue de plein droit. 

Lauren PRUNIER


[1] Cass, com, 9 octobre 2019, n°18-17.563

[2] Kendérian (F), « Bail commercial et défaut de paiement postérieur au jugement d’ouverture : résiliation de plein droit ou résiliation judiciaire », Gaz. Pal, 10 juillet 2018, n°25, p. 47

[3] Article L641-12 3° du Code de commerce : « Le bailleur peut également demander la résiliation judiciaire ou faire constater la résiliation de plein droit du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire, dans les conditions prévues aux troisième à cinquième alinéas de l'article L. 622-14 »

[4] Article L622-14, 2° du Code de commerce : « (…) le bailleur ne pouvant agir qu'au terme d'un délai de trois mois à compter dudit jugement ».

[5] Article L145-41 du Code de commerce : « Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai ».

[6] Cass. Com, 28 juin 2011, n°10-19.331 in « Bail consenti au preneur en liquidation : constat de la résiliation par le juge-comissaire », RLDA, 1er novembre 2019, n°153

[7] Lienhard (A), « Bail commercial : constat de la résiliation de plein droit par le juge-commissaire », Dalloz actualité, 16 octobre 2019.

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