Interdiction judiciaire préventive de publier un article de presse et secret des affaires

   Article publié le 17 janvier 2023

 

Capture d e cran 2023 01 04 a 20 35 18ne récente tendance jurisprudentielle aboutit à interdire à des journalistes de publier des articles de presse sur la base des articles 493 et 873 et suivants du Code de procédure civile.

Le 6 octobre 2022[1], le tribunal de commerce de Nanterre rejetait la demande de censure d’articles de presse à la demande d’une société. Néanmoins, l’ordonnance de référé interdit dans le même temps aux journalistes de publier « de nouvelles informations » sur le même sujet de fond. Les informations révélées provenaient d’un piratage informatique accessible sur le darkweb et utilisé par le journal. Elles portaient sur le train de vie de son dirigeant.

Le 18 novembre 2022[2], le Tribunal judiciaire de Paris enjoignait la même interdiction de publier à un autre média. Alors que ce dernier avait lui aussi déjà écrit sur les comportements du demandeur en référé. L’article qu’il entendait publier s’appuyait sur des enregistrements sonores déjà usités dans de précédentes dépêches. Ces enregistrements avaient été transmis au journal par un intéressé. Elles concernaient les agissements d’un maire de la Région Auvergne Rhône-Alpes.

 

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Dans le premier cas, le juge s’appuie sur l’article 873 du Code de procédure civile. Il permet au président du tribunal de commerce de « prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. ». En l’espèce, le juge rejette le trouble invoqué par la demanderesse tiré de la reproduction et de la transmission par le média des données frauduleusement obtenues. Il considère d’une part que le média mis en cause n’était pas l’auteur du vol des données. D’autre part que la partie demanderesse ne démontrait pas que les informations publiées avaient le caractère d’un secret d’affaires au sens de l’article L. 151-1 du Code de commerce[3]. Moyen pourtant alloué pour la première fois depuis 2018 par un requérant au soutien d’une demande de censure d’un article de presse.

Néanmoins, elle retient que l’intention manifeste du média de poursuivre la publication d’informations nouvelles est constitutive d’un dommage imminent, résultant d’une menace avérée. C’est-à-dire d’un dommage qui n’est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer. Et ordonne ainsi l’interdiction de continuer à publier de nouveaux articles.

Selon les informations révélées par Mediapart, la seconde ordonnance est d’abord fondée sur l’article 493 du Code de procédure civile. Lequel dispose que « L'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse. ». Mais aussi, plus étrangement, sur l’article 875, pourtant réservé au seul tribunal de commerce. Permettant à son président d’ « ordonner sur requête, […], toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement. ». Alors que le journal s’apprêtait à publier une enquête, l’ordonnance lui enjoint « de ne pas publier sous astreinte de 10 000 euros par extrait [sonore] publié ». L’ordonnance a été annulée par l’autorité judicaire le mercredi 30 novembre. Mediapart a donc publié dans la foulée l’article censuré.

Plusieurs éléments doivent être relevés.

Le recours aux articles précités du Code de procédure civile et l’argument tiré de la révélation d’un secret des affaires dans un contexte de censure de presse sont particulièrement nouveaux.

Deuxièmement, le juge se prononce sans débat public. Dans la seconde affaire, la société de presse mise en cause n’a pas été invitée à produire de mémoire en défense.

Troisièmement, les interdictions de publications prononcées à l’occasion de ces deux affaires tiennent en ce que les juges ont cru déceler à travers les faits exposés un risque de dommage. Pourtant, le contenu de ces articles n’a fait l’objet d’aucune étude pratique. Cette remarque est d’autant plus nécessaire qu’elle aboutit à interdire a priori, un article de presse à paraître. Alors même qu’il n’appartient pas au juge des référés de se pencher au fond sur une atteinte à la liberté d’expression.

Gageons donc que nombreuses seront les gloses à venir nourrir le débat.

Hoël Rival

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[1] Tribunal de commerce de Nanterre, Ord., 6 octobre 2022, n° 2022R00834.

[2] Voir l’information révélée par Mediapart à ce sujet. Mediapart, Edwy Plenel, « Un magistrat ordonne la censure préalable d’une enquête de Mediapart », Mediapart.fr [en ligne], 21 novembre 2022.

[3] Création issue de la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires.

 
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