Un nouveau motif de discrimination fait une entrée dans le Code pénal et dans le Code du travail

Article publié le 23 janvier 2017

 

Le législateur a ressenti la nécessité de protéger les personnes maîtrisant d'autres langues que le français, en insérant une nouvelle discrimination dans le Code pénal et dans le Code du travail : la discrimination linguistique. En effet, l'article 86 de la loi Justice du XXIème siècle est venu modifier l'article 225-1 du Code pénal et l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 pris en référence dans l'article L1132-1 du Code du travail. Désormais, toute distinction faite entre deux personnes en raison de « leur capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français » constitue une discrimination pénalement répréhensible. Plusieurs interrogations sur cet ajout surviennent alors, notamment sur son champ d'application, son utilité et sa mise en oeuvre.

 

A la lecture des articles ainsi modifiés, on peut se demander à quoi correspond concrètement une discrimination linguistique. Plusieurs interprétations sont ici possibles. Le mot sujet à réflexion est « capacité ». Qu'entend donc le législateur en précisant une personne capable de parler une autre langue que le français ? Faut-il comprendre une personne dont la langue maternelle est le français et qui ne peut s'exprimer dans une autre langue ? Ou bien une personne qui maîtriserait, en plus du français, d'autres langues vivantes ? Le champ d'application est ici assez flou. L'interprétation qui serait la plus plausible serait celle de la volonté du législateur de protéger les personnes, ne maîtrisant pas le français mais une autre langue, d'être discriminées. Cette modification serait alors une mise à mal de la suprématie de la langue française, de sa détermination comme seule langue acceptable.

 

Cette atteinte voulue à la domination du français s'inscrit dans un contexte de défense des langues régionales et étrangères. Pour le linguiste Philippe Blanchet, cette discrimination linguistique porte un nom, celui de la glottophobie1. Ce terme signifie le rejet d'une personne pour sa manière de parler alors qu'il s'agit d'un attribut à part entière de chacun et qui, à ce titre, se doit d'être protégé. Si le sociolinguiste se réjouit de cette révolution, d'autres y voient une redondance non pertinente. Pour ces derniers, la langue parlée peut renseigner sur l'origine de la personne ainsi que sur sa culture. Or, ces motifs de discrimination sont déjà pris en compte dans le Code du travail. L'interdiction de discriminer en raison de l'origine de la personne comprendrait implicitement les discriminations linguistiques et serait alors suffisante. Sur le plan pénal, l'apparition de nouveaux contentieux est mise en avant. Un litige pourrait en effet porter sur le caractère essentiel et déterminant de la maîtrise d'une langue dans une offre d'emploi par exemple.

 

Par ailleurs, une précision quant à son application doit être mentionnée. L'article 86 de la loi Justice du XXIème siècle introduit cette discrimination au sein de son Chapitre III consacré à l'action de groupe en matière de discrimination. Ainsi, une association de défense contre les discriminations peut agir en justice, sous réserve de respecter les conditions de ladite action. Autre interrogation qui doit être également mise en exergue : celle de l'interprétation des juges. Premier pas dans la défense des droits linguistiques, il appartient désormais aux juges d'apprécier les contours de cette nouvelle discrimination. Un sujet dont on peut légitimement penser qu'il fera encore parler de lui.

 

 

Lucie TALET

 

Sources :

 

1Philippe Blanchet, « Discriminations : combattre la glottophobie », Petite édition critique, Edition Textuel, janvier 2016.

 

 

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