La faculté de rétractation conventionnelle de l’acquéreur professionnel

Article publié le 6 février 2020

 

Par un arrêt du 5 décembre 2019[1], la troisième chambre civile statue sur l’extension du bénéfice du droit de rétractation de l’article L271-1 du Code de la construction et de l’habitation (CCH) à des acquéreurs professionnels. 

En l’espèce, le 13 octobre 2014, M. E et Mme H ont conclu un contrat de vente d’immeuble à usage d’habitation par acte sous seing privé avec la société Mitchun. La société acquéreur a exercé sa faculté de rétractation prévue dans le contrat en vertu de l’article L271-1 du CCH. Ce droit lui a été notifié par le notaire rédacteur de la promesse de vente. 

Les vendeurs assignent la société acquéreur en paiement de la clause pénale pour avoir exercé son droit de rétractation alors qu’elle avait la qualité de professionnelle. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 12 octobre 2018, déboute les vendeurs de leur demande, ils se pourvoient alors en cassation. La haute juridiction rejette le pourvoi formé contre l’arrêt d’appel en retenant que l’article L271-1 du CCH pouvait s’appliquer en l’espèce bien que l’acquéreur soit un professionnel.

Les vendeurs reprochent aux juges du fond d’avoir rejeté leur demande en paiement de la clause pénale pour deux raisons. Tout d’abord, la Cour d’appel a constaté que la société en question est un acquéreur professionnel au sens de l’article L271-1 du CCH et que son extrait Kbis révèle un objet social caractéristique d’un professionnel de l’immobilier. Il était donc aisé d’en conclure que la société Mitchun ne pouvait bénéficier du droit de rétractation prévu dans le contrat car l’article précité n’offre cette faculté qu’aux acquéreurs non professionnels. Dans un second temps, les vendeurs invoquent la présence d’une clause de style. En effet le simple rappel des dispositions légales de l’article L271-1 du CCH applicable aux non professionnels ne constitue qu’une clause de style qui ne permet pas de considérer que les parties ont entendu faire bénéficier l’acquéreur du droit de rétractation. Ils démontrent l’existence de la clause de style par l’emploi de certains termes dans la stipulation tels que « acquéreur non professionnel » alors que la société était un professionnel de l’immobilier, ainsi que « pluralité d’acquéreur » alors que la société Mitchun était le seul acquéreur en présence. 

L’emploi d’une clause de style rappelant les dispositions de l’article L271-1 du CCH permet-elle de conférer conventionnellement à l’acquéreur professionnel une faculté de rétractation ?

L’ancien article L271-1 du CCH dispose que pour les actes relatifs à l’acquisition d’un immeuble à usage d’habitation, l’acquéreur non professionnel peut se rétracter dans un délai de sept jours à compter du lendemain de la première présentation de la lettre lui notifiant l’acte[2]

Selon la Cour de cassation, les juges du fond ont souverainement retenu l’application du droit de rétractation au profit de l’acquéreur professionnel car elle considère que les parties peuvent conférer contractuellement à un acquéreur professionnel la faculté de rétractation prévue par l’article L271-1 du CCH. En effet, même si la société avait effectivement la qualité de professionnelle, les vendeurs avaient sciemment accepté la clause négociée par laquelle ils avaient donné mandat exprès au notaire de notifier le droit de rétractation à la société Mitchun. De plus, aucune erreur sur l’objet social ou sur les conditions de négociation et de signature n’a été mise en avant, ce qui ne permet pas de démontrer l’absence de négociation de la clause litigieuse. Les hauts juges considèrent également qu’il n’a pas été démontré qu’il s’agissait d’une clause de style. Enfin l’emploi du terme « acquéreur non professionnel » avait pour effet de conférer un droit de rétractation à l’acquéreur, identifié en l’espèce comme étant la société Mitchun. Le droit de rétractation conféré à la société acquéreur ne pouvait donc pas être remis en cause. 

Comme énoncé précédemment, l’article L271-1 du CCH prévoit un droit de rétractation pour un acquéreur non professionnel qui acquière, notamment, un immeuble à usage d’habitation. En l’espèce, le litige portait uniquement sur la condition de la qualité de l’acquéreur car le bien acquis était effectivement une maison d’habitation. La Cour de cassation a été relativement indulgente vis-à-vis de la rédaction bancale de la clause en question. En effet les juges du Quai de l’horloge ont estimé que la faculté de rétractation pouvait être conventionnellement accordée à un acquéreur professionnel. La prudence est tout de même de mise ; il ne faut pas comprendre cette décision comme la reconnaissance du caractère supplétif de l’article L271-1 précité. En effet en vertu de l’article 1102 du Code civil, il n’est pas permis de déroger aux dispositions concernant l’ordre public[3] (ex : supprimer le droit de rétractation de l’acquéreur non professionnel). En revanche la logique inverse est possible, c’est-à-dire que les parties peuvent contractuellement étirer le champ d’application d’une disposition d’ordre public (ex : prévoir le droit de rétractation de l’article L271-1 du CCH pour d’autres bénéficiaires). 

La Cour de cassation met également en avant le fait que les parties ont négocié et accepté la clause litigieuse lors de la conclusion du contrat. Cela explique donc le fait que les vendeurs ne peuvent remettre en cause la mise en œuvre de la clause lors de l’exécution du contrat. Enfin la question de la clause de style est la plus délicate et la décision de la Haute Cour peut manquer de logique sur ce point. D’un côté, les juges suprêmes refusent catégoriquement la qualification de clause de style pour la stipulation litigieuse, puis ils opèrent un raccourci en estimant que l’emploi du terme « acquéreur non professionnel » permet tout de même d’accorder un droit de rétractation à la société, soit un professionnel. En effet les termes « acquéreur non professionnel » et « pluralité d’acquéreur » montrent indéniablement qu’il s’agissait d’une clause générale et habituelle insérée pour faire référence à un simple rappel de la loi. Le seul élément qui a permis de faire pencher la balance et d’expliquer l’indulgence de la Cour de cassation est l’identification précise de la société au sein de la clause ; selon la Haute juridiction cela transforme la clause de style en une clause réciproquement négociée. 

En tout état de cause, pour éviter toute hésitation et contentieux sur ce point, mieux vaut privilégier la précision dans les clauses et ainsi éviter les clauses de style qui pourraient empêcher l’octroi du droit de rétractation face à des juges sévères[4]. En l’espèce, la Cour de cassation a préféré une appréciation téléologique de la clause en recherchant avant tout la véritable intention des parties au moment de sa rédaction, plutôt que de s’arrêter à une appréciation stricte de la notion de clause de style. 

Lauren PRUNIER


[1] Cass, Civ 3ème, 5 décembre 2019, n°18-24.152

[2] Article L271-1 ancien du CCH (notez que le délai de rétractation est désormais porté à dix jours)

[3] Article 1102 alinéa 2 du Code civil « La liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l'ordre public. »

[4] En ce sens, exemples de clauses précises in « La faculté de rétractation peut être contractuellement conférée à un acquéreur professionnel », Defrénois, 19 décembre 2019, n°51-52, p°5

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