L’appréciation du caractère lésionnaire d'un partage

Cass. 1re Civ., 25 oct. 2023, n° 21-25.051

 

Dans un arrêt rendu par la première chambre civile le 25 octobre 2023, la Cour de cassation précise les modalités d’appréciation du caractère lésionnaire d’un partage.

En l’espèce, des époux mariés sous le régime de la séparation de biens ont procédé, le 28 octobre 2003, après le prononcé de leur divorce, à un acte de partage pour régler le sort d’un immeuble indivis. L’acte a été réalisé en faveur de l’ex-époux, qui se devait, en échange de l’attribution de sa propriété, payer une soulte à son ex-épouse. De surcroît, la coindivisaire y admettait une créance de son ex-époux envers l’indivision compte tenu de travaux réalisés sur l’immeuble qu’il avait payés à l’aide de ses deniers personnels. L’immeuble réhabilité avait ensuite été cédé un an plus tard. Mais, son prix de vente, mentionné dans l’acte de partage en octobre 2023, était supérieur au prix pratiqué en réalité.

L’ex-épouse a donc assigné son ex-conjoint en rescision pour lésion sur le fondement des articles 887, alinéa 2, et 890 du Code civil[1].

Un expert a été missionné afin d’estimer la valeur de la maison sur le marché immobilier au jour du partage. Selon l’expertise rendue, il existait un écart de plus d’un quart de la totalité du prix. La Cour d’appel de Bordeaux[2] a retenu la lésion et a donc condamné l’ex-époux à payer cet écart de prix.

Ce dernier s’est défendu en cassation, en arguant que dès lors qu'un indivisaire a amélioré à ses propres frais l'état d'un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon le principe de l’équité. Il convient, selon lui, de s’attacher uniquement à la plus-value apportée à ce bien pour apprécier le caractère lésionnaire de l’acte et non pas au caractère nominal de la dépense[3].

La Cour de cassation[4] décide que le caractère lésionnaire du partage litigieux doit s'apprécier à l'aune de la créance de l’époux telle que mentionnée dans l’acte de partage. Elle souligne tout d’abord que les parties ont mentionné dans l'acte que, s'agissant de la créance de l’époux, elles s'abstenaient de rechercher si ceux-ci avaient permis d'augmenter la valeur du bien, et qu’elles s'en tiendraient ainsi à la valeur nominale des dépenses faites. La Haute juridiction précise néanmoins que bien que les époux aient mentionné cette spécificité dans leur acte, il faut apprécier la valeur du bien immobilier au jour du partage selon les règles de l’article 815-13 du Code civil. Elle censure donc partiellement la décision des juges du fond.

Cette solution, qui n’est pas nouvelle[5], est protectrice de la partie qui a contribué à l’amélioration du bien et lui permet de bénéficier de la plus-value qu’il a apportée[6]. Il est à relever que les décisions relatives à la temporalité de l’appréciation du caractère lésionnaire du partage sont peu fréquentes, Si la Cour de cassation avait apporté de nombreuses précisions sur des situations voisines, telles que l’importance de reconstituer à la date de l’acte litigieux, la masse à partager dans tous ses éléments actifs et passifs lorsqu’il était question d’un prêt à réintégrer dans l’acte de partage[7], elle s’est rarement prononcée sur ce point de droit précis.

Rappelons que l’appréciation du caractère lésionnaire est d’autant plus difficile qu’il est courant et licite qu’un partage soit forfaitaire et inégal. En effet, du fait notamment de l’apparition de la procédure de divorce par consentement mutuel, les époux sont parfois volontaires à se faire léser dans l’acte de partage pour accélérer et simplifier la procédure. La part de culpabilité dans un divorce peut aussi parfois interférer.

                                                                                                          Léna RABILLARD

SOURCES :

  • SUVEICO A., « Le caractère lésionnaire du partage d’un bien indivis doit s’apprécier à l’égard de sa valeur au moment du partage », (en ligne), Revue Lamy Droit civil, Lamyline, N°220 du 1er décembre 2023, (consulté le 10 décembre 2023)

  • « L’appréciation du caractère lésionnaire d’un partage », (en ligne), La Semaine Juridique Notariale et Immobilière, LexisNexis, N°45 du 10 novembre 2023, act. 1103 (consulté le 10 décembre 2023)

  • JAOUL M., « Des modalités de l’appréciation du caractère lésionnaire du partage », (en ligne), Dalloz actualité, Dalloz, 9 novembre 2023, (consulté le 10 décembre 2023)


[1] Dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006.

[2] Bordeaux, 14 sept. 2021, n° 18/06470.

[3] Ainsi qu’exprimé dans l’article 815-13 du Code civil.

[4] Au visa des articles 815-13, alinéa 1er, 887, alinéa 2, et 890 du Code civil, (ces deux derniers dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006).

[5] Civ. 1re, 5 mars 1991, n°89-18.311.

[6] Civ. 1re, 7 avr. 1998, n° 96-15.015.

[7] Civ. 1re, 18 mars 2015, n° 14-10.730.

 
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