La Cour de cassation fait primer la liberté d'expression sur le droit à la présomption d’innocence

Article publié le 9 février 2021

 

Par un arrêt du 6 janvier 2021[1], la Cour de cassation donne raison à la mise en balance de droits à la même valeur normative effectuée par la cour d’appel de Paris concernant le droit à la présomption d’innocence et celui de la liberté d’expression.

 

En l’espèce, un ancien prêtre dans le diocèse de Lyon a été mis en examen en 2016 du chef d’atteintes sexuelles sur des mineures qui auraient été commises durant l’exercice de ses fonctions religieuses. Ce dernier par acte du 31 janvier 2019 a assigné en référé trois sociétés de productions aux fins de voir ordonner, sous astreinte, la suspension de la diffusion d’un film[2] qui évoque les faits délictueux, et ce jusqu’à l’intervention d’une décision de justice définitive sur sa culpabilité.

 

Le 26 juin 2019, la cour d’appel de Paris rejette sa demande. Par un faisceau d’indices comme la présence à la fin du film de cartons indiquant que le requérant bénéficie de la présomption d’innocence et qu’aucune date de procès n’a été fixée, que le film débute par la précision que le film est une fiction basée des faits réels, que le film ne soit pas un documentaire sur le procès à venir, mais qu’il relate le vécu des victimes ; elle estime que cela suffit à rappeler aux spectateurs la réalité du contexte juridique et judiciaire et donc que le film ne porte pas atteinte à la présomption d’innocence.

 

Le requérant se pourvoi en cassation. Il estime entre autres que « le droit à la liberté d’expression doit s’exercer dans le respect de la présomption d’innocence[3] » et motive son pourvoi en relevant que la cour d’appel a expressément constaté que la réalité des faits imputés dans le film y était présentée comme certaine et que sa culpabilité était présentée comme incontestable. Concernant la présence des cartons qui a permis aux juges du fonds d’écarter la gravité des atteintes portées à la présomption d’innocence, il estime qu’ils ont omis de prendre en compte « l’impact particulier d’un film comparé à un message écrit apparaissant quelques secondes à l’écran[4]».

 

Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation rappelle que le droit à la présomption d’innocence et le droit à la liberté d’expression ont la même valeur normative et donc qu’il appartient au juge saisi de « mettre ces droits en balance en fonction des intérêts en jeu et de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime[5]. »

De plus, le cas d’espèce « s’inscrit dans une actualité portant sur la dénonciation de tels actes au sein de [l’église catholique] et dans un débat d’intérêt général qui justifie que la liberté d’expression soit respectée et que l’atteinte susceptible de lui être portée pour assurer le droit à la présomption d’innocence soit limitée[6]. »

 

La Cour de cassation cite également une décision de la CEDH[7] qui précise les considérations à apprécier pour la mise en balance que sont « la teneur de l’expression litigieuse, sa contribution à un débat d’intérêt général, l’influence qu’elle peut avoir sur la conduite de la procédure pénale et la proportionnalité de la mesure demandée[8]. »

 

En conclusion, la Cour de cassation retient que la cour d’appel a bien effectué cette mise en balance et donc que la suspension de la diffusion du film constituait une mesure disproportionnée aux intérêts en cause, car il en « résulterait une atteinte grave et disproportionnée à la liberté d’expression[9]. »

Elle décide donc du rejet du pourvoi et donne raison aux juges d’appel d’avoir fait prévaloir la liberté d’expression sur le droit à la présomption d’innocence.

 

                  On trouve dans l’arrêt un rappel à une décision antérieure qui avait défini l’atteinte à la présomption d’innocence[10]. Ainsi, « une telle atteinte est constituée à condition que l’expression litigieuse soit exprimée publiquement et contienne des conclusions définitives tenant pour acquise la culpabilité d’une personne pouvant être identifiée relativement à des faits qui font l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, ou d’une condamnation pénale non encore irrévocable[11]. »

On comprend ainsi qu’en l’espèce, c’est la mise en balance des intérêts pour les deux droits qui a conduit les juges à faire prévaloir la liberté d’expression sur la présomption d’innocence ; essentiellement en raison de l’intérêt général et du débat d’actualité que dénonce le film en question concernant la libération de la parole des victimes de pédophilie au sein de l’église catholique.

Nelvana Arnaux.


[1] Cass. 1ère civ., 6 janvier 2021, n°19-21.718.

[2] La sortie était prévue le 20 février 2019.

[3] Cass. civ., op.cit., point 4. 1°.

[4] Cass. civ., op.cit., point 4. 2°.

[5] Cass. civ., op.cit., point 8.

[6] Cass. civ., op.cit., point 10.

[7] CEDH, arrêt du 29 mars 2016, Bédat c. Suisse [GC], n° 56925/08.

[8] Cass. civ., op.cit., point 9.

[9] Cass. civ., op.cit., point 12.

[10] Cass. 1re Civ., 10 avril 2013, n° 11-28.406, Bull. 2013, I, n° 77.

[11] Cass. 1ère civ., 6 janvier 2021, n°19-21.718, point 7.

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