Le dénigrement fautif d’un partenaire commercial en l’absence de base factuelle suffisante

Article publié le 11 février 2019

 

La chambre commerciale de la Cour de cassation s’est prononcée sur la question du dénigrement dans un arrêt rendu le 9 janvier 2019. En effet, la divulgation faite à la clientèle de l’entreprise d’une assignation en contrefaçon qui s’est soldée par un non-lieu constitue un acte de dénigrement fautif.

En l’espèce, une société qui a pour activité la fabrication et la vente de produit en matière plastique vendait ses produits (meubles de jardin) par l’intermédiaire d’un agent commercial. La société a assigné en contrefaçon une société de droit italien spécialisée dans la conception, la fabrication et la distribution de meubles de jardin. Dans le même temps, avant toute décision de justice, l’agent commercial a fait part à ses clients d’une action en contrefaçon engagée à l’égard de la société de droit italien.

Cette dernière a alors assigné l’agent commercial en paiement de dommages et intérêts pour concurrence déloyale. Elle l’accuse d’avoir mené une campagne de dénigrement à son encontre lui ayant fait perdre de nombreux clients qui ont renoncé à leurs commandes.

Rappelons que le dénigrement est une forme de concurrence déloyale caractérisé par le comportement d’une personne qui divulgue des informations de nature à jeter le discrédit sur l’image, les produits ou les services commercialisés par une entreprise.  Par ailleurs, il peut y avoir dénigrement même en l’absence de situation concurrentielle entre deux personnes.  

La Cour d’appel de Paris a débouté la société de droit italien de ses prétentions par un arrêt du 17 janvier 2017. En effet, elle constate que l’action en contrefaçon engagée le 6 août 2016 avait été rejetée par un jugement du 27 juin 2013 confirmé par un arrêt du 27 janvier 2015. Par ailleurs, elle note que les distributeurs avaient été informés par l’agent commercial de cette action en justice dès le 29 août 2012. Toutefois, pour rejeter l’appel, elle retient que les informations communiquées ne présentaient pas un « caractère non objectif, excessif, dénigrant, mensonger ou menaçant » à l’égard de la société italienne, en ce sens le procédé déloyal n’était pas démontré.

Suite au pourvoi de la société italienne, la Haute juridiction censure la décision de la Cour d’appel au visa des articles 1240 du Code Civil et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Pour la Cour de cassation, la divulgation à la clientèle de la société italienne de l’existence d’une procédure en contrefaçon qui n’a donné lieu à aucune décision de justice constituait un dénigrement fautif. En effet, l’information délivrée était dépourvue de base factuelle suffisante puisqu’elle ne reposait que sur le seul acte de poursuite en contrefaçon exercé par la société titulaire des droits.

Cette décision est une application de la jurisprudence établie. En effet, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser l’appréciation de la limite entre le dénigrement et la liberté d’expression. En ce sens, pour caractériser une divulgation relevant de la liberté d’expression il faut une critique sur un sujet d’intérêt général reposant sur une base factuelle suffisante. De plus, cette critique doit être exprimée de manière mesurée.

La Cour de cassation considère en l’espèce que la présence d’une base factuelle insuffisante permet de caractériser le dénigrement. En effet, elle retient que la divulgation d’une action en justice n’ayant pas donné lieu à une décision ne constitue pas une base factuelle suffisante. Toutefois, l’exceptio veritatis est en principe admise uniquement en matière de diffamation, le seul critère de la faute en matière de dénigrement étant l’intention de nuire au concurrent, peu importe l’exactitude de l’information divulguée[1]. Ainsi, en se référant à la base factuelle, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence antérieure qui avait étendu ce critère à la distinction entre le dénigrement et la liberté d’expression[2].

Il n’en reste pas moins qu’en matière de dénigrement, l’importance est que la divulgation jette le discrédit sur les produits et services d’une entreprise alors qu’en matière de diffamation, l’allégation doit porter atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne physique ou morale. En l’espèce, seules des informations sur les produits avaient été divulguées. 

 

Brieuc BENJAMIN

 

Sources:

 

 

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