Interview avec Maître DUPONT, mandataire judiciaire: De l’exercice de la profession à la Covid19

Article publié le 8 mars 2021

Dans le cadre du dernier article relatif au projet « JURISACTUBS », nous avons fait appel à Maître Raymond DUPONT, Mandataire judiciaire exerçant principalement à Vannes. Nous avons abordé dans cet interview, une série de question sur trois thèmes différents :

  • Le premier thème porte sur la profession de mandataire judiciaire
  • Le second est relatif aux procédures collectives en France
  • Le dernier est consacré à la crise sanitaire du Covid19

Nous vous retranscrivons cet échange dans cet article.

S’agissant du premier thème, quatre  questions ont été posées à Maître DUPONT.

 

  1. Maître DUPONT, après plusieurs années d’exercices, vous avez décidé il y a peu un départ à la retraite, pouvez-vous nous décrire brièvement la profession de Mandataire judiciaire?

«  C’est une profession dans laquelle on s’occupe des entreprises en difficulté. Il y a deux sortes d’activités. Les activités des  entreprises en difficulté qui sont en redressement judiciaire, c’est-à-dire qui ont la possibilité de s’en sortir.

On les aide à mettre au point un plan, un paiement échelonné de leurs dettes. En sachant que pour un artisan ou un commerçant, on peut aller jusqu’à dix ans et pour les agriculteurs jusqu’à quinze ans.

Puis il y’a une deuxième phase qui malheureusement intervient lorsque le déficit est très important : la liquidation, on vend les biens, on procède à des licenciements des salariés. Maintenant depuis la loi Macron, on ne peut plus vendre les maisons, moi j’ai connu une époque où on pouvait ventre les maisons. Par contre si l’entrepreneur a deux maisons, on peut bien vendre la maison secondaire. Aussi  la majorité de nos clients ce sont les commerçants, les artisans, les entrepreneurs et les agriculteurs ».

  1. En 2016 on récence 318 mandataires judiciaires en France et aujourd’hui 418 administrateurs et mandataires judiciaires est-ce suffisant ?

«  Oui, dans le Morbihan on est quatre professionnels c’est suffisant, il n’y a  pas par contre des administrateurs judiciaires dans le Morbihan, les trois qui interviennent ici sont des rennais. La difficulté c’est qu’il y a eu des époques où y avait beaucoup de dossiers mais maintenant nous avons un peu moins. Pour répondre à la question on est assez de mandataires judiciaires du moins dans les endroits que je connaisse ».

 

  1. La loi Macron de 2016 permet aux huissiers de justice de faire des « petites liquidations judiciaires », est-ce une atteinte au monopole des mandataires judiciaires ?

« Non, pour l’instant toutes les procédures collectives y compris les simples liquidations judiciaires, ce sont les mandataires qui sont nommés. Ce sont des affaires où on doit liquider dans les six(6) mois, intellectuellement et financièrement c’est pas très  interessant ».

 

  1. Quel est le costume le plus difficile à mettre, celui de mandataire judiciaire ou celui de liquidateur ?

«  Intellectuellement c’est le costume de mandataire qui est le plus intéressant. On suit une entreprise et on l’aide à s’en sortir. Dans le cadre des liquidations, nous avons des affaires périlleuses, ce sont des choses délicates, humainement c’est compliqué même dans les petites boites.  Avant, j’ai connu des affaires où on licenciait quelqu’un et il trouvait  du boulot le lendemain, il était même content.  Depuis sept ou huit ans c’est plus dure, humainement quand on licencie une personne de cinquante(50) ans, on se dit intérieurement qu’il sera difficile pour elle de retrouver un travail d’ici peu. On n’a beau avoir une carapace, humainement c’est compliqué ».

 

S’agissant du second thème relatif aux procédures collectives, nous avons posé deux questions à Maître DUPONT.

 

  1. Maître vous intervenez principalement dans le cadre des procédures collectives, quel constat faites vous de l’état des procédures collectives en France ?

«  Il y a eu un accroissement des dépôts de bilan, mais comme disait l’un de mes confrères qui était mon ancien patron puis mon associé après « c’est pas forcément un signe de mauvaise santé lorsqu’il y’a plusieurs dépôts de bilan dans une région c’est aussi un signe de création ».

Il faut savoir que sur dix(10) créations il y aura deux ou trois échecs. Par exemple en Corrèze, il n’y a pas beaucoup de dépôt de bilan mais il n’a pas non plus des créations. Dans les villes comme Vannes et Lorient, il y’a eu beaucoup de créations ce qui a eu pour corollaire, un nombre important de dépôts de bilan. Il ne faut pas toutefois que toutes les créations déposent le bilan mais malheureusement cela fait partie également du jeu.

 Il existe des bons et des mauvais entrepreneurs, certains ne sont pas des bons gestionnaires, d’autres ne choisissent pas les bonnes activités.  D’ailleurs il y a un adage qui dit «  la faillite est inscrite dans l’acte ». On sait par exemple en amont  que lorsqu’une personne achète une affaire, dans deux ans elle va se casser la figure, parce qu’elle achète soit trop cher soit pour une activité qui ne marche plus en France, mais elle prend le risque ».

  1. L’état des  procédures collectives permet-il vraiment de sauver les entreprises ?

«  Quand un dépôt de bilan est fait à temps c’est-à-dire lorsque les difficultés apparaissent, huit fois sur dix on sauvera l’entreprise. Quand par exemple, l’activité est déficitaire depuis un ou deux ans avec des millions d’euros de dettes, l’entrepreneur ne rend pas la procédure collective bénéficiaire.

Dans cette situation on ne peut rien faire, ce n'est pas la faute des mandataires encore moins des procédures, les gens tardent à prendre l’initiative. Quand les dépôts de bilan sont faits à temps et dans les bonnes activités, l’entreprise sera sauvée. ». Intellectuellement ce n'est pas très intéressant, moi je rencontre des gens dix ans après dans les rues de Vannes, ils me disent :Maître DUPONT merci vous avez sauvé ma boîte. Humainement cela nous fait plaisir de sauver une entreprise ».

 

Enfin, le dernier thème consacré à la crise sanitaire fait l’objet de deux questions.

  1. La crise sanitaire a vu se développer une forme de solidarité, les mandataires judiciaires et les administrateurs ont mis en place un numéro vert gratuit pour éclairer les entreprises, comment l’avez-vous vécu ?

«   Oui, nous avons adhéré à cette forme de situation. Alors, le Covid c’est trompeur, on a eu un peu moins des dépôts de bilan. Pour moi, les entreprises n’ont pas déposé le bilan parce qu’elles ont eu toutes les aides possibles et inimaginables. Elles ont eu des prêts d’Etat, le chômage partiel, des exonérations, certains propriétaires ont accepté de reporter les loyers. Mais un jour ou l’autre, il va falloir payer tout cela.

Avec l’ancienneté dont je dispose, je pense qu’au dernier trimestre 2021, et au début de l’année 2022, la situation va exploser, il y aura des dépôts de bilan par centaine dans le Morbihan et des milliers en France. Deuxième chose, avec la crise sanitaire les tribunaux étaient fermés, il n’y avait pas d’audience et pour cause pas d’ouverture des procédures collectives. Je ne sais pas comment les restaurants arrivent à s’en sortir étant donné qu’ils sont fermés. Ils auront du mal à rembourser, les banques veulent bien être gentilles en ce moment mais tôt ou tard il faudra payer avec des intérêts moratoires sur deux ou trois ans ».

  1. S’agissant des conséquences de la crise sanitaire, vous avez déclaré « beaucoup des entreprises sont en coma artificiel », c’est sans doute pour ces différentes raisons ?

«  Oui, tout à fait parce que les  entreprises ont des aides qui ne sont pas des aides normales.  Attention,  la crise n’est pas quelque chose de normal non plus,  mais il faudra un jour ou l’autre rembourser. J’espère me tromper mais pour moi dans le Morbihan on aura à moyen terme un dépôt de bilan par centaine ».

 

 

                                   Propos recueillis par César ENI NGUEMA

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