Le licenciement du salarié en raison d’une action en justice à l’encontre de son employeur est nul

Article publié le 28 janvier 2019

 

Le droit d’agir en justice est une liberté fondamentale consacrée par l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, et constitutionnellement garantie par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

Cette liberté fait l’objet d’une forte protection et l’employeur ne peut prendre aucune mesure à l’encontre du salarié qui en fait usage. Ainsi, l’article L.1134-4 du Code du travail prévoit la nullité du licenciement d’un salarié qui fait suite à une action en justice engagée par ce dernier, lorsqu’il est établi que le licenciement n’a pas de cause réelle et sérieuse, et constitue en réalité une mesure prise par l’employeur en raison de cette action en justice.

La chambre sociale de la Cour de cassation rappelle ce principe, par une décision du 5 décembre 2018, en déclarant nul le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite par le salarié à l’encontre de son employeur.

En l’espèce, un salarié, engagé en tant que technicien conseil puis technicien supérieur par la Société d’édition de Canal plus, a été désigné délégué syndical. Se plaignant d’une différence de traitement, il a saisi le conseil de prud’hommes. Peu de temps après, il a été licencié pour insuffisance professionnelle. Il a contesté ce licenciement.

Dans un arrêt du 1er mars 2017, la Cour d’appel de Versailles a prononcé la nullité du licenciement du salarié et ordonné sa réintégration. Elle a retenu que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, et qu’il faisait suite au dépôt par le salarié d’une requête devant la juridiction prud’homale tendant à voir reconnaître une situation d’inégalité de traitement ou de discrimination. Par ailleurs, la Cour d’appel a condamné la Société d’édition de Canal plus à payer au salarié les salaires qu’il aurait dû percevoir, ainsi que rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées au salarié.

L’employeur forme un pourvoi devant la Cour de cassation, en alléguant que les griefs justifiant le licenciement étant antérieurs à la requête du salarié. Il conteste également l’obligation qui lui est faite d’établir que sa décision était justifiée par d’autres éléments qu’une seule volonté de sanction de l’exercice du droit d’agir en justice du salarié. Enfin, il soutient que la nullité du licenciement est subordonnée au bien-fondé de l’action en justice. La demande du salarié étant non fondée, le principe de nullité du licenciement intervenu en raison d’une action en justice ne serait pas applicable.

La Cour de cassation doit donc déterminer si l’action en justice du salarié est la cause de son licenciement par l’employeur.

Dans un arrêt du 5 décembre 2018, la chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule la décision de la Cour d’appel, mais seulement sur la condamnation de la Société d’édition de Canal plus au remboursement des indemnités chômage versées au salarié.

La Haute juridiction approuve donc le reste de la décision de la Cour d’appel concernant la nullité du licenciement du salarié pris par l’employeur en réaction à son action en justice. Elle rappelle « qu’est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite par le salarié », et précise « peu importe que la demande du salarié soit non fondée ».

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Haute Juridiction concernant la nullité du licenciement d’un salarié intervenant à la suite d’une action en justice de sa part à l’encontre de son employeur. C’est la Cour d’appel d’Aix-en-Provence qui, la première, a jugé que le droit d’agir en justice constituait l’expression d’une liberté fondamentale à laquelle il ne saurait être dérogé et a ainsi prononcé la nullité du licenciement[1]. Plus récemment, dans un arrêt rendu le 21 novembre 2018, la Cour de cassation a jugé comme nul le licenciement d’un salarié qui avait seulement envisagé une action en justice contre son employeur[2]. L’apport de la décision rendue le 5 décembre 2018 consiste dans l’indifférence de la recevabilité de l’action introduite en justice par le salarié. Après avoir rappelé le principe de nullité du licenciement en raison d’une action en justice, la Cour de cassation ajoute que ce principe s’applique « peu importe que la demande du salarié soit non fondée ».

Cet arrêt est également instructif par rapport à la charge de la preuve du lien de causalité entre le licenciement et l’action en justice. En effet, la Cour de cassation considère qu’il appartient à l’employeur d’établir que sa décision était justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l’exercice par le salarié de son droit d’agir en justice. La charge de la preuve pèse donc sur l’employeur, et non sur le salarié. Ainsi, l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, intervenant peu de temps après une action en justice du salarié, permet de supposer que cette action en justice est la cause du licenciement. Il reviendrait donc à l’employeur d’apporter la preuve contraire.

Enfin, dans l’arrêt du 5 décembre 2018, la Haute juridiction remet en question le remboursement par l’employeur des indemnités de chômage versées par Pôle emploi ordonné par les juges du fond. Se fondant sur l’article L1235-4 du Code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi du 8 août 2016, elle indique qu’un tel remboursement ne peut être exigé en cas de nullité du licenciement. Il convient toutefois de préciser que, depuis la loi précitée, le juge doit ordonner le remboursement de ces indemnités lorsque la nullité du licenciement est en lien avec une discrimination ou des faits de harcèlement, moral ou sexuel.

 

Eva DUZAN

 

 Sources :

  • Cass. soc., 5 décembre 2018, n°17-17.687
  • « Le licenciement notifié en réaction à l’action en justice du salarié est nul », Editions Francis Lefebvre, 28 janvier 2019, disponible sur www.efl.fr  
  • VACCA Stéphane, « Licenciement nul, lorsque la lettre de licenciement reproche au salarié son action judiciaire »,19 décembre 2018, disponible sur www.village-justice.com

[1] CA Aix-en-Provence, 7 juin 2007, n°05-20.728

 

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