Le péril des personnes handicapées concernant l'accessibilité aux trains: La SNCF, un bon élève ?

Article publié le 25 janvier 2021

 

Une personne handicapée ne peut pas se plaindre de ses conditions de transport sur un réseau ferré si le transporteur a respecté les obligations légales de mise en conformité progressive des voitures.

Dans une décision du 25 novembre 2020[1], la Cour de cassation a jugé que l'atteinte à la dignité du voyageur handicapée était exclue dès lors que le transporteur avait respecté les obligations légales de mise aux normes progressive des voitures sur le réseau ferroviaire.  

Dans cette affaire,  une personne atteinte d'un handicap l'obligeant à se déplacer en fauteuil roulant avait été contrainte de voyager dans l'allée centrale du train. Cette personne avait été dans l'impossibilité d'accéder aux toilettes ainsi qu'au bar. 

Le voyageur handicapé va assigner en justice la SNCF en réparation de son préjudice sur le fondement de la responsabilité contractuelle. Cette demande va être accueillie favorablement par la cour d'appel de Toulouse dans une décision du 27 juin 2019[2]. Les juges du fond ont eu un raisonnement en deux temps. Dans un premier temps, ils ont considéré que la SNCF n'avait pas manqué à ses obligations légales en matière d'accessibilité aux personnes en situation de handicap de ses équipements et transport. De même, ils retiennent que les articles 22 à 24 du Règlement n°1371/2007 du 23 octobre 2007 imposant une obligation d'assistance dans les gares et à bord des trains étaient inopposables au transporteur. Cependant, dans un second temps, les juges du fond estiment que bien que le transporteur ait respecté ses obligations légales d'accessibilité du train, ce dernier était tenu d'une « obligation générale de soins », impliquant l'obligation d'assurer aux voyageurs un transport dans les conditions normales d'hygiènes, de sécurité et de confort.

La cour d'appel en déduit que l'inconfort résulte de l'impossibilité pour le voyageur handicapé d'accéder aux toilettes. Cet inconfort constitue pour la cour une atteinte à sa dignité et par conséquent justifiait son droit à réparation.

La SNCF va former un pourvoi en cassation où elle fait grief à la cour d'appel d'avoir caractérisé une atteinte à la dignité du voyageur. Elle estime que le juge ne peut rattacher une obligation à un  contrat à titre accessoire qu'à la condition que cette obligation n'ait pas été déjà édictée par l'usage ou le législateur. Or, le législateur ayant défini les obligations incombant aux transporteurs ferroviaires, obligations impliquant un calendrier quant à l'impossibilité de ces transports, le transporteur qui les respectaient ne pouvait pas être condamné.

Dans un pourvoi incident, le voyageur quant à lui contestait l'inapplication des articles 22 à 24 du Règlement, en considérant que les dérogations prévues[3] permettant d'échapper  temporairement à l'application de ce Règlement qui n'avaient plus lieu d'être à la date du litige.

La Cour de cassation casse l'arrêt d'appel en deux temps. La première cassation intervient au visa des articles 2[4] et  22 à 24 du Règlement litigieux, ainsi que  les articles L.2151-2 et L.1112-2-1 à L.1112-3 du Code des transports. La Haute juridiction admet l'application des articles 22 et 24 du Règlement dans cette affaire.  Dans un second temps, elle écarte la responsabilité contractuelle du transporteur au visa de l'article 1135 ancien du Code civil, en considérant que la SNCF respectait « ses obligations légales quant à la mise aux normes progressive des voitures destinées à assurer l'accessibilité des couloirs et des toilettes dans les trains  aux personnes handicapées ». Ainsi, la Cour de cassation exclut l'atteinte à la dignité lorsque le transporteur se conforme aux obligations légales en matière de mise en conformité permettant d'assurer aux personnes handicapées l'accès.

Cette solution de la Cour de cassation est une application stricte de l'article 1194 du code civil[5]. Le contrat reste la loi des parties, mais cet article permet au juge dans certains cas de dégager  des obligations accessoires au contrat lorsque l'équité l'exige. Le juge a notamment eu recours à ce mécanisme pour greffer au contrat de transport une obligation complémentaire de sécurité[6].

Le législateur avait défini les obligations incombant aux transporteurs ferroviaires quant à l'accessibilité des transports, et la SNCF avait respecté toutes ces obligations. La cour d'appel en retenant que l'inconfort  généré par l'inaccessibilité de certaines prestations annexes[7] au transport ferroviaire avait implicitement ajouter au contrat une nouvelle obligation accessoire. La décision de la Cour de cassation permet donc de sauvegarder les principes protecteurs du contrat, le juge ne peut pas dégager des obligations accessoires à celui-ci lorsque la loi est déjà intervenue. Cette décision, gage de sécurité juridique peut tout de même être choquante d'un point de vue éthique et juridique, parce que la Cour de cassation semble écarter la dignité, principe constitutionnel protecteur de la personne humaine[8] pour respecter le contrat.
 

                                                                                                                  César ENI NGUEMA


[1]Civ.1ère, 25 novembre 2020, N°19-18.786.

[2]Toulouse, 27 juin 2019, N°18/03838.

[3]Article L.2151-2 du Code des transports

[4]Article 2 paragraphe 4 et 5  du Règlement du 23 octobre 2007.

[5]Article 1194 du Code civil: « Les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que donnent l'équité, l'usage ou la loi ».

[6]Civ. 21 Novembre 1991: GAJC,11 édition n°262.

[7]HERVIER.M « Le respect par le transporteur de ses obligations de mises aux normes relatives à l'accessibilité des personnes handicapées exclut à la dignité de la personne. », 11 janvier 2021, Dalloz.

[8] Conseil constitutionnel, décision « Bioéthique » , 27 juillet 1994.

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