La rupture brutale des relations commerciales établies dans le contrat de gérance-mandat

Article publié le 30 décembre 2019

 

Le 02 octobre 2019[1], la Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois sur la rupture brutale des relations commerciales établies concernant un contrat de gérance-mandat.

Dans les faits, une société de conseil et une enseigne de distribution de produits ont conclu, pour l'exploitation d'un magasin appartenant à cette dernière, un contrat de gérance-mandat d'une durée d'un an avec tacite reconduction, prenant effet au 01 avril 2010. L’enseigne qui est le mandant, a informé le gérant-mandataire, par lettre du 14 janvier 2013, que le contrat ne serait pas renouvelé au-delà du 31 mars 2013. Ce dernier l'a donc assigné en paiement de dommages-intérêts, notamment pour rupture brutale de la relation commerciale établie en application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et, subsidiairement, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, ainsi qu'en annulation de la clause de non-concurrence post-contractuelle et en réparation du préjudice correspondant.

 

Après avoir été débouté de ses demandes de dommages intérêts, au titre de la rupture brutale du contrat, par la Cour d’appel de Paris le 17 janvier 2018, le gérant-mandataire a formé un pourvoi en cassation. Comme moyen, il invoque le fait que la rupture brutale d'une relation commerciale établie engage la responsabilité délictuelle de son auteur. Dès lors, le préjudice résultant du caractère brutal de cette rupture doit être indemnisé sur le fondement du droit commun de la responsabilité délictuelle.

D'emblée, les juges du Quai de l’Horloge ont confirmé la solution des juges du fond, en estimant que les dispositions de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, devenu L. 442-1, II,  sont exclusives de celles de l’article 1382 du Code civil, devenu 1240, et s’appliquent donc au contrat de gérance-mandat. Cela ne surprend guère, dès lors qu’il est fait application de l’adage specialia generalibus derogant. En effet, la responsabilité spécifique du régime de la rupture brutale prévue par le Code de commerce doit prévaloir sur le régime de la responsabilité délictuelle de droit commun. Le cumul n’étant possible qu’à condition de démontrer l’existence d’une faute distincte, laquelle n’était pas établie par le gérant-mandataire.

Ensuite, la Cour de cassation ajoute que l’indemnité prévue au profit du mandataire, en cas de résiliation du contrat de gérance-mandat, par l’article L. 146-4 du Code de commerce « ne règle en aucune manière la durée du préavis à respecter ». Ainsi, les règles de responsabilité visées à l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ont vocation à s’appliquer, dès lors que le préavis prévu est insuffisant. Sur ce point, elle censure la décision des juges du fond qui avaient écarté l’application de cet article au profit de l’article L.146-4 du même code, texte spécial qui encadre le régime des contrats de gérance-mandat.

La chambre commerciale rend un arrêt intéressant, dans la mesure où elle apporte des précisions quant à l’articulation entre les articles L146-4 et L442-1 II du Code de commerce.

D’une part, elle se prononce pour une application combinée de ces deux textes, estimant qu’ils ont un champ d’application différent[2] : le premier texte pose le principe d’indemnisation du gérant mandataire, sauf faute grave de celui-ci, du fait de la seule résiliation du contrat par le mandant ; tandis que le deuxième texte permet de réparer l’insuffisance de préavis lors de la résiliation. Sur ce point, la distinction est opportune.

D’autre part, il faut rappeler qu’en cas de rupture d’une relation commerciale établie, l’auteur de la rupture engage sa responsabilité, non pas en raison de la rupture elle-même, laquelle n’est pas fautive en soi[3], mais du fait de la brutalité de cette dernière. L’article L. 442-1, II du Code de commerce impose à l’auteur de la rupture de prévenir le partenaire délaissé suffisamment en amont afin que celui-ci puisse anticiper les conséquences de cette rupture. Le respect d’un préavis suffisant a vocation à permettre à ce dernier, de se réorganiser au mieux dans la recherche de nouveaux partenaires commerciaux. Ainsi, en prônant l’application combinée de ces deux articles, la Cour de cassation renforce la protection du gérant-mandataire, ce dernier étant en situation de dépendance économique à l’égard du mandant.

 

 

                                                                                                                                                                                                              Beda YAPO


 

[1] Cass, Com, 02 octobre 2019, N°18-15676​

[2] X. DELPECH : « Rupture brutale d’une relation commerciale établie : application au contrat de gérance-mandat », Dalloz Actualités – Affaires - Concurrence – Distribution - Fonds de commerce et commerçants, publié le 17 octobre 2019, www.dalloz-actualite.fr

[3] G. TOULOUSE, L’essentiel droit de la distribution et de la concurrence, 01 novembre 2017, n°10,  p.3

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