Précisions sur les conditions de déchéance des droits du titulaire sur sa marque

       Arrêt publié le 11 janvier 2021

Dans un arrêt de cassation rendu le 4 novembre 2020[1] la chambre commerciale précise que la déchéance des droits d’une marque ne peut avoir lieu qu’après l’expiration d’un délai de cinq ans suivant son enregistrement et sans usage sérieux de cette dernière.  Durant cette période, le propriétaire de la marque reste en droit de se prévaloir de toute atteinte à ses droits sur sa marque comme peuvent l’être une contrefaçon ou un risque de confusion. 


[1] Cass. Com., 4 novembre 2020, n° 16-28.28.

En l’espèce, le titulaire de la marque française demi-figurative[1] nommée « Saint Germain », déposée le 5 décembre 2005 a découvert qu’une société concurrente distribuait une liqueur de sureau sous la dénomination «  St-Germain ».

Or, la marque « Saint Germain » désigne notamment des boissons alcooliques comme les cidres, digestifs, vin et spiritueux, extraits ou essences alcooliques.

Le propriétaire de la marque « Saint Germain » décide alors d’assigner les sociétés (distributeur, producteur et sous-traitant) en contrefaçon de marque le 8 juin 2012.

Dans un premier temps, il sera frappé par la déchéance de ses droits sur la marque « Saint Germain » par une décision du 11 février 2014 et cela à compter du 13 mai 2011. Malgré cela, il maintient ses demandes pour la période non couverte par la prescription et antérieure à la déchéance de ses droits sur sa marque, soit la période entre le 8 juin 2009 et le 13 mai 2011.

La cour d’appel de Paris n’accueillera pas ses prétentions[2]. Elle retient que le titulaire de la marque « Saint Germain » n’a pas justifié d’une exploitation de sa marque depuis son dépôt, et en déduit que faute pour la marque d’avoir été mise en contact avec le consommateur, son titulaire ne peut pas se prévaloir de ses droits de marque pour une atteinte contre cette dernière. Suite à cette décision le titulaire de la marque « Saint Germain » se pourvoit alors en cassation.

            Le 26 septembre 2018, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’une question préjudicielle portant sur l’interprétation des articles d’une directive[3] rapprochant les législations des États membres sur les marques. La CJUE a répondu par un arrêt du 26 mars 2020[4] qu’il convenait d’apprécier au cours de la période de cinq ans suivant l’enregistrement d’une marque, l’étendue du droit exclusif conféré au titulaire. Et cela en se référant aux éléments résultant de l’enregistrement de la marque et non pas par rapport à l’usage que le titulaire a pu faire de la marque pendant cette période[5]. 

            Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation retient alors que l’article L.714-5 du Code de la propriété intellectuelle ne peut produire l’effet d’une déchéance de marque qu’après l’expiration d’une période ininterrompue de cinq ans sans usage sérieux. Durant cette période, le titulaire de la marque reste en droit de se prévaloir de l’atteinte portée à ses droits sur sa marque.

            Par conséquent la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel, laquelle, comme on le comprend n’était pas encore éclairée par l’interprétation de la CJUE.

Ainsi, la décision de la déchéance d’une marque pour défaut d’exploitation qui se fonde sur l’article L.714-5 du Code de la propriété intellectuelle ne prive pas le titulaire de la marque de ses droits sur ladite marque et cela même pendant la période ininterrompue de 5 ans où il est avéré un défaut d’exploitation de la marque.

Ne pas faire usage de sa marque de manière sérieuse ne vide donc pas de toute substance les droits qui s’y attachent, et cela peut se comprendre car la déchéance du droit d’une marque n’emporte pas d’effet rétroactif contrairement au prononcé de la nullité d’une marque.

C’est une solution qui aura vocation à devenir un principe en la matière du fait que l’interprétation de la CJUE a été suivie par la Haute juridiction, les juges du fond suivront donc très certainement cette position à l’avenir.

Nelvana Arnaux.


[1] Cela signifie que la marque comprend un élément verbal et un élément figuratif.

[2] Cour d’appel de Paris, 13 septembre 2016.

[3] Interprétation des articles 5, paragraphe 1, sous b), 10 et 12 de la directive n° 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008.

[4] CJUE, 26 mars 2020, C-622/18, Cooper International Spirits e. a.

[5] CJUE, 26 mars 2020, C-622/18, Cooper International Spirits e. a, points 38 et 39.

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