La rupture de concours financiers sans préavis par un établissement de crédit

Article publié le 12 décembre 2019

 

Une banque ne peut rompre le concours à durée indéterminée consenti à une entreprise qu'en respectant un délai de préavis d'au moins 60 jours. Elle n'est cependant pas tenue de respecter ce délai en cas de comportement gravement répréhensible de l’emprunteur ou si la situation de ce dernier se révèle irrémédiablement compromise[1]. Mais quid lorsque la banque est fautive ?

La chambre commerciale de la Cour de cassation y répond dans un arrêt du 11 septembre 2019[2].

 

En l’espèce, une banque a consenti plusieurs prêts et ouvertures de crédits à des époux. Ces derniers ont apporté à une SCI un immeuble pour lequel ils avaient consenti une promesse d’hypothèque au profit de la banque. Le conjoint a été condamné pour abus de confiance pour avoir, en sa qualité d’agent d’assurances, encaissé sur ses comptes des chèques dont les bénéficiaires étaient ses clients. C’est à la suite d'une demande d'opposition à un prélèvement adressée à la banque, que cette dernière entreprit des vérifications aboutissant à la découverte des agissements de l’intéressé. Conséquemment, la banque a notifié au couple la fin de tous les concours bancaires en raison du comportement gravement repréhensible de l’époux fautif. Ensuite, elle assigne le couple aux fins d'obtenir le paiement de ses créances, et de faire déclarer inopposable l'apport de l'immeuble à la SCI.

Dans un arrêt du 12 juillet 2017, la Cour d’appel de Colmar fait droit aux demandes de la banque et condamne les époux pour diverses sommes au titre des créances encore dues. Elle juge que les agissements du conjoint constituent un comportement gravement repréhensible justifiant la rupture sans préavis des concours financiers par la banque.

Les époux se pourvoient en cassation. Ils soutiennent que si la banque est dispensée de respecter un délai de préavis en cas de comportement gravement répréhensible imputable à l’emprunteur, un tel comportement doit s'apprécier au regard du propre comportement de la banque présentatrice, laquelle a manqué à son obligation de vérifier la qualité de bénéficiaire du déposant des chèques litigieux.

La banque présentatrice est-elle privée de la possibilité de rompre sans préavis les concours accordés en cas de comportement gravement répréhensible de son client, lorsqu’elle manque à son obligation de vérifier que le déposant de chèque est bien le bénéficiaire ?

À cette question, la Cour de cassation répond par la négative. Elle confirme la décision des juges du fond en affirmant que « l'éventuel manquement de l'établissement de crédit à son obligation de vérifier que le déposant était le bénéficiaire des chèques ne le prive pas de la faculté, qu'il tient de l'article L. 313-12 du code monétaire et financier, de rompre sans préavis les concours accordés en cas de comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit ou au cas où la situation de ce dernier s'avérerait irrémédiablement compromise ».

Cette solution se justifie parfaitement. Le comportement gravement répréhensible est une situation subjective qui porte atteinte à la relation de confiance entre le banquier et son client. Ainsi les faits de détournement des chèques litigieux sont tellement graves qu’ils justifient la rupture immédiate de toute relation contractuelle avec la banque, le lien de confiance étant rompu. Sur ce point, cet arrêt n’est pas inédit.

Concernant la faute de la banque, il faut rappeler que le chèque est un instrument de paiement qui rend exigible à la date de son émission la somme qui y figure. En cas d’émission d’un chèque par le tiré, la banque tirée est soumise à une obligation de vérifier la suite des endossements[3]. Quant à la banque présentatrice, elle est tenue de détecter les anomalies apparentes d'un chèque[4].

Il est clair que les agissements illicites du conjoint ont pu se poursuivre dès lors que la banque n'avait pas effectué de vérifications, les chèques étant libellés aux noms des clients de l'emprunteur et non au sien[5]. Cependant, la faute de la banque n’a pas pour conséquence d’excuser le comportement du client. La Haute juridiction fait bien la distinction et souligne l’indépendance des agissements de l’époux du manquement de la banque, ainsi la rupture des concours financiers sans préavis est bien valide.

In fine, cette décision rappelle la loyauté qui constitue la clé de voûte des relations entre emprunteurs et établissements de crédit.

                                  

                                                                                                                               

                                                                                                                                                                   Beda YAPO

 

[1] Article L313-12 du Code monétaire et financier.

[2] Cass, Com. 11 septembre 2019, n°17-26594.

[3] L131-38 du Code monétaire et financier.

[4] Cass. Com, 17 septembre 2013, n° 12-18202.

[5] V. PREVESIANOS : « Rupture sans préavis des concours financiers et manquement de la banque », Dalloz Actualités – Affaires, publié le 15 octobre 2019, www.dalloz-actualite.fr

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