mise en garde

  • L’absence d’une obligation de mise en garde spécifique du banquier pour un crédit in fine

    Cass.com., 8 novembre 2023, n°22-13.750, publié au bulletin

    Dans un arrêt de rejet en date du 8 novembre 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation précise que dans le cas de l’octroi d’un prêt remboursable par échéances ou in fine, l’établissement de crédit a une obligation de mise en garde à l’égard de l’emprunteur profane, seulement en ce qu’elle porte sur l’inadaptation de ce prêt aux capacités financières et sur le risque d’endettement qui en résulte.

     

    En l’espèce, les 3 février et 10 décembre 2012, un emprunteur souscrit auprès d’une banque deux prêts remboursables in fine. Le 15 mars 2018, l’emprunteur assigne l’établissement de crédit en nullité des contrats de prêts et en indemnisation de son préjudice matériel et moral, en raison d’un manquement par celui-ci à son obligation de mise en garde.

    Dans un arrêt du 20 janvier 2022, la Cour d’appel de Pau rejette les demandes au motif que, même si la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l’égard d’un emprunteur non averti, il faut qu’au jour de l’octroi du prêt, il existe un risque d’endettement excessif du fait de l’inadaptation de l’engagement à ses capacités financières. En l’occurrence, cet emprunteur est propriétaire d’un immeuble dont la valeur se trouve en adéquation avec la somme empruntée. Le risque d’endettement n’existe alors pas.

    L’emprunteur forme un pourvoi en cassation. Il fait grief à l’arrêt d’appel de rejeter ses demandes, alors qu’un crédit in fine, dont le capital est remboursé en une seule fois à la fin du prêt, fait naître un risque particulier sur lequel le banquier doit mettre en garde l’emprunteur non averti, même si le crédit est adapté aux capacités financières de ce dernier, le risque étant inhérent à la nature du prêt.

     

    Le problème posé par cette affaire est de savoir si l’établissement de crédit est soumis à un devoir de mise en garde particulier en ce qui concerne le crédit in fine.  

     

    La Cour de cassation répond par la négative, en indiquant que l’obligation de mise en garde à laquelle peut être tenu un établissement de crédit à l’égard d’un emprunteur non averti avant de lui consentir un prêt, ne porte que sur l’inadaptation de celui-ci aux capacités financières de l’emprunteur et sur le risque d’endettement qui résulte de cet octroi et ce, que le prêt soit remboursable par échéance ou in fine.

     

    Dans un premier temps, les juges rappellent les caractéristiques du devoir de mise en garde qui incombent à un professionnel du crédit. Ce sont des conditions qui s’inscrivent dans une continuité jurisprudentielle[1]. Le banquier doit s’assurer que l’emprunteur est non averti des risques qu’il entreprend en contractant un prêt[2] et ainsi vérifier si l’emprunt est adapté à sa situation financière, c’est-à-dire que l’emprunteur dispose des moyens pour le rembourser et qu’il ne soit pas en situation d’endettement à l’arrivée du terme[3].

    A défaut d’appliquer ces conditions, le banquier engage sa responsabilité contractuelle et l’emprunteur pourra agir non pas au titre de « la perte de chance de ne pas avoir contracté »[4], mais pour ne pas avoir eu « une chance d’éviter le risque qui s’est réalisé ». C’est ce que semble indiquer la Cour de cassation pour les opérations de crédit in fine[5].

     

    Dans un second temps, les juges refusent de voir dans ce devoir, une obligation de résultat. C’est une obligation de moyen qui pèse sur le banquier puisque la mise en garde intervient seulement en fonction d’une appréciation des capacités financières de l’emprunteur[6], tout en observant s’il est profane ou professionnel. Si à la date de conclusion du contrat, le crédit est adapté aux capacités financières de l’emprunteur, alors le banquier n’est pas tenu à ce devoir[7], ce qui est le cas en l’espèce. 

     

    La Cour de cassation refuse également de distinguer cette obligation de mise en garde pour les prêts remboursables à échéances, de ceux remboursables in fine. Si l’argument du demandeur au pourvoi, se fondant sur le remboursement à la fin de l’échéance du prêt en une seule fois, peut se comprendre du fait du risque engendré, l’harmonisation du devoir pour tout type de prêt rend son application plus facile et efficace[8] pour les professionnels et les emprunteurs non avertis.

    Quentin SCOLAN

     

    [1] Le devoir de mise en garde est d’origine jurisprudentielle et a été consacré pour les opérations de crédit dans le Code de la consommation à l’article L. 313-12 (depuis l’ordonnance du 25 mars 2016, n°2016-351), ou en matière de cautionnement à l’article 2299 du Code civil (depuis l’ordonnance du 15 septembre 2021, n°2021-1192, portant réforme du droit des sûretés).

    [2] Cass.ch. mixte, 29 juin 2007, n°05-21.104.

    [3] Cass.com., 11 avril 2018, n°15-27.133.

    [4] Cass.com., 20 octobre 2009, n°08-20.274.

    [5] Cass.com., 22 janvier 2020, n°17-20.819.

    [6] Nicolas BOULLEZ, « Crédit in fine : pas de voir de mise en garde spécifique pesant sur le banquier », Gazette du Palais, n°2, 16 janvier 2024, p.61.

    [7] Cass.com., 7 juillet 2009, n°08-13.536.

    [8] Cédric HELAINE, « Du contenu de l’obligation de mise en garde pour les crédits in fine », Dalloz Actualité, 16 novembre 2023.

  • Rappel sur le devoir de mise en garde du banquier envers la caution non avertie

    Article publié le 24 janvier 2018

     

    Le 15 novembre 2017, la chambre commerciale de la Cour de cassation est venue affiner sa jurisprudence concernant le devoir de mise en garde auquel est soumis le banquier envers la caution non avertie.

    En l’espèce, un établissement bancaire a consenti à une société un prêt visant à financer l’acquisition d’un fonds de commerce. Le prêt est garanti par un nantissement et un cautionnement solidaire de la gérante de la société. A la suite d’un défaut de paiement de l’emprunteur, la banque a décidé d’actionner la caution en paiement. La caution a alors engagé la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde.

    La cour d’appel de Pau, dans un arrêt du 14 décembre 2015, a statué en faveur de la caution et condamné par conséquent la banque au paiement de dommages-intérêts pour manquement à son devoir de mise en garde.

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