Articles de jurisactuubs

  • La compétence du bâtonnier pour prononcer la dissolution d’une société civile

    Cass.civ.1ère, 6 décembre 2023, n°22-19.372, publié au bulletin

     

    Dans un arrêt de cassation du 6 décembre 2023, la première chambre civile de la Cour de cassation affirme que le bâtonnier est compétent pour statuer sur la demande d’une dissolution d’une société civile par des avocats.

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  • Le secret professionnel de l’avocat écarté sous conditions pour des mesures in futurum

    Cass. 1re civ., 6 déc. 2023, n° 22-19.285

    Il arrive parfois que la collaboration entre un avocat et un client dégénère. En effet, la profession d’avocat est basée entièrement sur la confiance entre le client et l’avocat. Dans le cadre de cette collaboration, le client peut être amené à remettre des documents ou communications confidentiels à son avocat. Cette confiance demande une protection accrue. Elle est préservée par le secret professionnel prévue dans le Code de déontologie des avocats. Cependant, il arrive que le secret professionnel rentre en opposition avec le droit de la preuve. C’est exactement cette problématique qui a été soulevé dans notre arrêt.

    En l’espèce, une société avait souscrit avec un avocat une convention de prestation juridique. La société a porté plainte pour abus de confiance le 19 mars 2019. La société estime que l’avocat a « commis un détournement de clientèle et une rétention de dossiers ». Dans le cadre de ce litige, sur requête, le président du tribunal judiciaire de Toulouse prend une ordonnance le 8 octobre 2020 désignant un huissier de justice pour aller avec un expert informatique au cabinet de l’avocat « à la recherche de documents et correspondances de nature à établir les faits litigieux ». Cette visite a eu lieu le 13 novembre 2020. L’avocat conteste cette visite et assigne la société en rétractation de cette ordonnance. Il estime que cette mesure in futurum[1] est contraire au secret professionnel.

    La cour d’appel de Toulouse, dans un arrêt du 10 mai 2022, donne droit à cette interprétation et décide de la rétractation de l’ordonnance ainsi que de la nullité des procès-verbaux établie lors de la visite. Elle estime que le secret professionnel empêche les mesures d’instructions prévues par l’article 145 du Code de procédure civile.

    La société se pourvoit en cassation, arguant que la cour d’appel a commis une erreur en excluant d’office les documents pour cause de secret professionnel alors même que pour la société « il incombe au juge (…) de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence ».

    La Cour de cassation donne raison à la société requérante et casse l’arrêt de la cour d’appel. Pour fonder sa décision elle s’appuie sur le droit à un procès équitable établi par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cet article indique que chaque partie doit être en mesure de pouvoir apporter la preuve pour défendre ses intérêts.

    La Cour de cassation se fonde aussi sur l’article 145 du Code de procédure civile qui prévoit les conditions pour des mesures d’instructions in futurum. D’après ce texte, les mesures doivent être limitées dans le temps et dans leur objet ainsi que proportionnées au but recherché.

    Enfin la Cour de cassation cite l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 sur le Code de déontologie de l’avocat. La Cour de cassation estime que le secret professionnel s’appliquant au document d’un dossier n’est institué que « dans l'intérêt du client (…) et non dans celui de l'avocat ».

    La Haute juridiction en déduit donc que le secret professionnel de l’avocat n’est pas « un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du Code de procédure civile » pour établir la faute de l’avocat. La première chambre civile a donc privilégié le droit de la preuve face au secret professionnel. Ce dernier se retrouve largement affaibli par cette décision. Cependant cet affaiblissement est tempéré par les trois conditions que la Cour a identifié pour que les mesures in futurum soient légales. Il faut qu’elles soient « indispensables à l'exercice du droit à la preuve du requérant, proportionnées aux intérêts antinomiques en présence et mises en œuvre avec des garanties adéquates ».

    Cet arrêt est dans la continuité d’une jurisprudence qui donne de plus en plus de place au droit de la preuve au détriment du secret professionnel[2] et vient aligner le secret professionnel de l’avocat sur la position de la chambre commerciale de la Cour de cassation concernant le secret bancaire[3].

    Hugo SOUESME

    Sources :

    S. GRAYOT-DIRX, « Secret professionnel : des mesures d'instruction in futurum sous conditions », La Semaine Juridique Edition Générale, n° 50-52, 18 décembre 2023, p.146

    C. HÉLAINE, « Le droit à la preuve vient-il d'achever le secret professionnel de l'avocat ? », Dalloz actualité, 12 décembre 2023, https://dalloz.ezproxy.univ-ubs.fr/documentation/Document?id=ACTU0220705


    [1] Mesures d’instruction prévue à l'article 145 du Code de procédure civile.

    [2] Civ. 1re, 3 nov. 2016, n° 15-20.495 ; Civ. 2e, 29 sept. 2022, n° 21-13.625.

    [3] Com. 29 nov. 2017, n° 16-22.060.

  • La place du juge dans l’exécution d’une clause de résiliation unilatérale

    (Civ. 1re., 31 janv. 2024, n°21-23.233)

    Par un arrêt de rejet en date du 31 janvier 2024, publié au bulletin, la première chambre civile de la Cour de cassation se prononce sur la place du juge dans le contrôle du motif impérieux et légitime d'une clause de résiliation unilatérale invoquée par l'une des parties à un contrat d'enseignement.

    En l’espèce, un contrat conclu le 12 juin 2020 par un étudiant mineur, assisté de son père, auprès d’un établissement d’enseignement supérieur pour un cycle de deux ans, incluait la possibilité pour l’étudiant d'invoquer la résiliation de la convention à titre exceptionnel s'il justifiait d’un cas de force majeure ou d’un motif impérieux et légitime. Cette demande de résiliation devait impérativement être étayée par des documents et faire l’objet d’un examen par la direction de l’école, seule habilitée à déterminer l’existence avérée du cas invoqué par l’étudiant.

    Par courrier daté du 28 septembre 2020, les cocontractants ont demandé la résiliation du contrat. L’établissement scolaire s’est opposé à cette demande et a obtenu une ordonnance d’injonction de payer la somme de 3 250 euros en principal au titre du solde des frais de scolarité. L’étudiant et son père forment opposition, et le tribunal de proximité d’Haguenau, par un jugement rendu le 9 septembre 2021[1], en premier et dernier ressort, a déclaré cette opposition recevable et bien fondée. Le tribunal a estimé que le motif impérieux et légitime était caractérisé en l’espèce.

    L’établissement scolaire se pourvoit en cassation. Il reproche aux juges du fond d’avoir substitué leur propre appréciation du motif invoqué par l’étudiant à celle de l’école, alors qu'elle était la seule compétente selon les termes de la clause, constituant ainsi une violation de l’article 1103 du Code civil énonçant la force obligatoire du contrat.

    Par son arrêt du 31 janvier 2024, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par l’établissement. Elle affirme que « l’application par les parties de la clause d’un contrat d’enseignement, prévoyant une faculté de résiliation dans le cas d’un motif légitime et impérieux invoqué par l’étudiant et apprécié uniquement par la direction, n’échappe pas, en cas de litige, au contrôle du juge ». Cette assertion pourrait tout à fait expliquer la publication de la décision au bulletin.

    La rédaction de la clause litigieuse de résiliation accordait à l’établissement supérieur d’enseignement une place prépondérante, lui permettant de juger seule de l’existence du motif invoqué par l’étudiant. C’est dans ce contexte que l’établissement cherche, par le biais de son pourvoi, à convaincre la Cour de cassation d’imposer aux juges du fond d’adopter une lecture stricte de la clause, à défaut de la déclarer nulle.

    Toutefois, selon les magistrats du Quai de l’Horloge, le juge peut intervenir dans le contrat pour apprécier le sens de la clause, lorsque les parties divergent sur son interprétation. Dans cette affaire, le juge n’avait d’ailleurs pas d’autre choix que de contrôler le motif impérieux et légitime avancé par l’élève et son père pour débloquer la situation. Ainsi, il est clairement établi que les juges du fond peuvent, dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation, se prononcer sur la mise en œuvre d’une clause de résiliation unilatérale.

    Dorian GABORY

    Sources :

    • MICHEL Claire-Anne, « Résiliation pour un motif légitime et impérieux : l’appréciation souveraine des juges du fond », [en ligne], La quotidienne, Lexbase, février 2024, [consulté en février 2023]. https://lexbase.ezproxy.univ-ubs.fr/

    • PLANCKAERT Héloïse, « L’application de la clause prévoyant une faculté de résiliation n’échappe pas au contrôle du juge », [en ligne], Revue Droit Civil, Lamyline, février 2024, [consulté en février 2023]. https://www.lamyline.fr
     

    [1] Jurid. Prox. Haguenau, 09-09-2021, n°21/000033

  • Exclusion du droit de préemption du locataire commerçant en cas de vente sur saisie immobilière

    Civ. 3e, 30 nov. 2023, n° 22-17.505

    Dans un arrêt rendu le 30 novembre 2023, la Cour de cassation précise les conditions d’applications du droit de préférence du locataire en cas de saisie-vente immobilière.

    En l’espèce, par un jugement d’adjudication en date du 16 mai 2019, rendu sur des poursuites de saisie immobilière engagées par une société A contre le couple, propriétaire d’un local commercial donné à bail à une société B. Le local loué avait été vendu sur les poursuites d’un créancier du bailleur. Le local loué a été adjugé à une société C.

    Le 29 mai 2019, la société B, qui est la société locataire, a déclaré exercer son droit de préemption sur le local adjugé. Dans le même temps, la commune, le 6 juin 2019, a déclaré exercer son droit de préemption urbain prévu aux articles L.210-1 et suivants du Code de l’urbanisme. La société B locataire, a alors demandé au juge de l’exécution de juger irrégulière cette déclaration, intervenue postérieurement à la sienne, et d’être déclarée adjudicataire au lieu et place de la société C.

    La cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 31 mars 2022[1], a rejeté la demande de la société B au visa de l’article L.145-46-1 du Code de commerce[2] qui accorde un droit de préférence aux locataires commerçants ou artisans en cas de vente des locaux loués. La vente par adjudication du bien ne change en rien cette disposition d’ordre public, mais elle ne peut s’appliquer dans ce cas spécifique de vente.

    La Haute juridiction a alors confirmé la décision de la Cour d’appel et a conclu que les dispositions de l’article précité sont d’application, seulement lorsqu’il s’agit d’une vente volontaire de la part du propriétaire et non en cas de ventes faites d’autorité de justice et, qu’en l’espèce il s’agit d’une vente de ce type qui contraint donc l’application classique du droit de préférence au locataire occupant le local au moment de la vente. Cet arrêt est conforme aux intentions de l’article L.145-46-1 du Code de commerce, qui vise à protéger le locataire. La Cour de cassation a aussi jugé bon d’écarter la QPC[3] que le locataire voulait faire poser au Conseil Constitutionnel dans cette affaire[4].

    Le texte de l’article L.145-46-1 du Code de commerce prévoit que lorsque le propriétaire envisage de vendre le local, il doit en informer le locataire et que cette notification vaut offre de vente au prix et conditions indiqués. La vente sera ensuite réalisée dans les conditions et délais donnés par le texte. Ce texte peut aussi s’appliquer à des locaux à usage de bureaux, bien que ce ne soit pas le cas pour des locaux à usage industriel.

    Le droit de préférence légal du locataire commercial s’applique à toute vente d’un local à usage commercial ou artisanal intervenue depuis le 18 décembre 2014. Cette loi récente de 2014 institue une protection des commerçants et des artisans qui peuvent se voir léser lorsque le propriétaire du local souhaite vendre. Bien que cette protection ait un large spectre, elle ne s’étend pas jusqu’aux ventes par adjudication. Il est logique qu’une vente comme celle-ci ne peut être préférée au profit du locataire puisque le prix n’est pas connu avant les enchères publiques, le locataire ne peut donc pas s’engager en ne connaissant pas le montant. Pour autant, s’il avait été question d’une vente de gré à gré aux conditions et prix fixés par un juge-commissaire, les deux parties auraient pu s’entendre sur une éventuelle vente.

    Ce droit n’est pas non plus effectif lors d’aliénations autres que la vente, qu’elles soient à titre gratuit ou à titre onéreux.

    Cette solution n’est pas nouvelle puisqu’un arrêt affirmait déjà cela l’année dernière[5]. La jurisprudence a même considéré que le droit de préemption bénéficiant au titulaire du bail commercial n’est pas applicable dans le cadre d’une vente de gré à gré d’un actif immobilier dépendant d’une liquidation judiciaire[6].

    Pour autant, le droit de préemption urbain s’applique tout de même en cas de vente sur saisie immobilière.

    Léna RABILLARD

    SOURCES :

    -BARBIER J-D., VALADE S., « Exclusion du droit de préemption du locataire commerçant en cas de vente sur saisie immobilière », (en ligne), Dalloz actualité, Dalloz, 11 décembre 2023, (consulté le 20 janvier 2024)

    -« Le droit de préférence du locataire commercial écarté en cas de vente sur saisie », (en ligne), Immobilier, Francis Lefebvre, 19 décembre 2023, (consulté le 20 janvier 2024)

    -LAPORTE C., « Saisie immobilière – Adjudication d’un local commercial », (en ligne), Lexis 360, Procédures n°2, Février 2024, comm. 32, (consulté le 7 février 2024)


    [1] CA Versailles, 31 mars 2022, n°21/04446.

    [2] Créé par la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014.

    [3] Question Prioritaire de Constitutionnalité.

    [4] Civ 3e, 15 déc. 2022, n°22-17.505.

    [5] Civ. 3e, 15 déc. 2022, n° 22-17.505.

    [6] Civ 3e, 15 fév. 2023, n° 21-16.475.