Articles de jurisactuubs

  • La validité des dispositions d’un testament conjonctif par la réitération de la volonté du de cujus

    Article publié le 2 mai 2016

     

    Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 31 mars 2016, 15-17.039, Publié au bulletin

     

    L’article 968 du Code civil interdit le testament conjonctif en disposant qu’« un testament ne pourra être fait dans le même acte par deux ou plusieurs personnes soit au profit d'un tiers, soit à titre de disposition réciproque ou mutuelle ».

     

    Une personne peut établir des testaments successifs ou révoquer librement son testament sans fournir de motif. En effet, il est tout à fait possible de prévoir qu’un testament « révoque et annule » tous ceux qui auront pu être faits précédemment.

    Mais bien souvent, les testaments successifs sont rédigés sans préciser s’ils révoquent ou non les dispositions antérieures. Dans un tel cas, le législateur établit une présomption visant à considérer que les dispositions antérieures sont implicitement révoquées, à moins qu’il ne s’agisse de dispositions complétant celles précédemment établies. En ce sens, l’article 1036 du Code civil prévoit que les testaments postérieurs annulent les dispositions antérieures incompatibles. Par principe, c’est donc le dernier testament qui sera retenu par le notaire.

     

    Dans les faits, un testateur décède en laissant un cousin au sixième degré pour lui succéder. Le de cujus avait rédigé, en 2001, un testament conjonctif avec sa fille prédécédée. C’est donc conformément aux dispositions du Code civil que les juges de première instance ont annulé le testament, en raison de sa forme. A la suite de la décision, est révélé un précédent testament du de cujus de 1999. Le jugement annulant le testament de 2001, les légataires du testament de 1999 demandent à ce que soit constatée la validité dudit testament. En effet, ces dernières avaient été « oubliées » à la rédaction du dernier testament. Les juges du fond (CA Rennes, 3 févr. 2015) rejettent l’appel des légataires de 1999 en arguant l’existence d’écrits postérieurs au testament de 2001, rédigés et signés par le de cujus. Ces derniers manifestent de la connaissance par le de cujus de la nullité affectant le testament de 2001, car conjonctif, ainsi que la volonté constante et non équivoque de maintenir les dispositions du même testament. Mais ces écrits auraient surtout pour conséquence d'anéantir les volontés contraires qu'il avait exprimées antérieurement par plusieurs testaments.

                                                     

    Les juges du droit sanctionnent le raisonnement des juges d’appel et casse l’arrêt au motif que « la réitération, par un testament régulier, d’un premier testament nul en la forme, ne peut faire revivre que celles des dispositions de ce premier testament que le second rappelle en termes exprès, et auxquelles il donne ainsi une existence légale ». Or dans cette affaire, « les écrits postérieurs au testament annulé ne reprenaient expressément aucune des dispositions de cet acte » donc les dispositions de ce testament nul sont inefficaces.

     

    Anne-Lise BECQ

     

    Sources :

     

  • Rappel des limites des pouvoirs du JLD en matière de soins psychiatriques sans consentement.

    Article publié le 21 juin 2016

     

    Civ 1ère, 11 mai 2016, F-P+B, n°15-16.233

    Depuis janvier 2013, les illégalités externes (incompétence, vice de forme, vice de procédure) des décisions administratives d'admission peuvent être soulevées devant le Juge des libertés et de la détention. D'ailleurs l'article L.3216-1 du Code de la santé publique précise que désormais, seul le juge judiciaire connaitra des irrégularités des décisions administratives relatives aux admissions en soins psychiatriques sans consentement.

    Dans un arrêt du 11 mai 2016, les juges de la première chambre civile de la Cour de Cassation rappel le domaine d'application du texte.

    En l'espèce après avoir fait l'objet de plusieurs mesures de soins psychiatriques sans consentement, un homme a été pris en charge sous la forme d'un programme de soins.  Contestant cette mesure, l'homme a procédé à la saisine du Juge des libertés et de la détention.

    Le magistrat a accédé à sa requête en prononçant l'annulation de la décision d'admission, allant au-delà de ce que les textes lui permettaient.

    Toutefois, cette initiative n'aura pas été payante puisque les juges de la Cour de Cassation cassent et annulent l'ordonnance rendue.

    Selon eux le juge a outrepassé ses pouvoirs car il ressort de l'article L.3216-1 du Code de la santé publique, que « si le juge judiciaire connait des contestations sur la régularité des décisions administratives de soins sans consentement, il ne peut que prononcer la mainlevée de la mesure, s'il est résulté, de l'irrégularité qu'il constate, une atteinte aux droits de la personne qui en faisait l'objet. »

    Deux points majeurs ressortent de cette décision. Les juges rappellent tout d’abord que le juge judiciaire dispose de pouvoirs limités en la matière puisqu'il ne peut prononcer qu'une mainlevée des décisions visées à l'article suscité et non pas une annulation. Ensuite, il est rappelé que  l'irrégularité relevée doit porter atteinte aux droits du demandeur, à charge pour le juge de la caractériser.  La mainlevée interviendra uniquement dans cette hypothèse.

    Il n'est pas surprenant ici que le juge ait été sanctionné pour excès de pouvoir puisque le texte précise bien que « le juge des libertés et de la détention connaît des contestations mentionnées au premier alinéa du présent article dans le cadre des instances introduites en application des articles L.3211-12 et L.3211-12-1. Dans ce cas, l'irrégularité affectant une décision administrative mentionnée au premier alinéa du présent article n'entraîne la mainlevée de la mesure que s'il en est résulté une atteinte aux droits de la personne qui en faisait l'objet ».

    Cependant si la cassation n'étonne pas au vu du texte, on aurait pu penser que la Cour de Cassation profite de cet arrêt pour se pencher sur le problème du grief que requière cet arrêt.

    En effet, ce texte pose à notre sens une question assez épineuse : Comment savoir si l'irrégularité porte atteinte aux droits de la personne ?

    Pour répondre à cette question le texte nous est très peu utile puisqu'il ne qualifie pas l'atteinte. Il est donc difficile de savoir s'il est ici exigé une atteinte grave ou si une atteinte plus faible suffit.

    Toutefois, ne devrions-nous pas considérer que le simple fait de se faire interner contre sa volonté soit déjà une atteinte aux droits ? Etant donné la procédure stricte qui encadre cette mesure nous pourrions être amenés à cette conclusion.

    De ce fait, il serait donc logique de penser que toute irrégularité entraine une atteinte aux droits et par conséquent une mainlevée.

    C'est en tous les cas ce que laissait penser Madame Nicole Questiaux lorsqu’elle a confirmé lors du colloque organisé par le syndicat de la magistrature le 23 novembre 2012 qu' « un juge est tenu à l'application des procédures et si un certificat manque ou si un délai est dépassé, il n'a pas de marge de manœuvre et le patient sort de l'établissement. »

    Néanmoins, cette déclaration semble être en contradiction avec l'idée première du Législateur, sinon comment expliquer que ce dernier ait pris la peine d'ajouter cette condition ?

     

    Lucie PARIS

     

     

     

     

  • QPC : la cession forcée des droits sociaux d'un dirigeant dans le cadre d'une procédure judiciaire est conforme à la Constitution

    Article publié le 30 novembre 2015

     

    Le 7 octobre dernier, le Conseil Constitutionnel a déclaré que l'article L. 631-19-1 du Code de commerce ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété (1). Cet article prévoit la possibilité pour le tribunal, lorsque le redressement de l'entreprise le requiert, de subordonner l'adoption du plan à la cession des titres du dirigeant de l'entreprise. Pour le Conseil Constitutionnel, les garanties offertes par l'article sont suffisantes dès lors que cette cession forcée ne peut être mise en œuvre « que si l’entreprise fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire », « si le redressement de cette entreprise le requiert » et uniquement « à la demande du ministère public ».  De plus, les mesures de cession forcée ne s’appliquent qu’au « dirigeant qui détient des parts sociales, titres de capital ou valeurs mobilières donnant accès au capital qui n’a pas renoncé à l’exercice de ses fonctions de direction » et le prix de la cession est « fixé à dire d'expert ».

    Certains voient en cette mesure un dispositif d'expropriation grave et peu encadré dans la mesure où « elle porte l’atteinte la plus grave aux prérogatives des dirigeants concernés, puisqu’elle les exproprie de leurs droits sociaux, les privant corrélativement de leur droit de vote » (2).

    L'atteinte faite au droit de propriété est ici indéniable, mais en droit français elle est admise dans la mesure ou elle vise à préserver l'intérêt général, où elle reste proportionnelle au but recherché et présente les garantie nécessaires à la protection du droit. La question à laquelle le Conseil Constitutionnel devait répondre portait sur ce point : L'article L 631-19-1 du Code de commerce constitue t-il une atteinte disproportionnée au droit de propriété ? Pour les neufs Sages, la réponse est non. Cette décision est compréhensible dans la mesure où l'on cherche à sauvegarder une entreprise, plusieurs emplois et donc une certaine stabilité économique. La cession forcée des droits sociaux paraît proportionnelle au but recherché puisqu'il semble en effet plus important de protéger une entreprise en difficulté plutôt que les droits de son dirigeant.

    Cependant, la condition « si le redressement de l'entreprise le requiert » reste trop floue pour affirmer que l'article présente les garanties nécessaires. En effet, comment déterminer si le redressement nécessite la cession des titres du dirigeant ? Sur quels critères le juge doit il se baser pour rendre sa décision ? Plusieurs situations pourraient être envisagées. On pourrait tout d'abord imaginer que le Législateur cherche à évincer le dirigeant qui par une attitude malveillante, nuirait au processus de rétablissement de l’entreprise. Mais on pourrait aussi concevoir le fait qu'il cherche en plus à écarter le dirigeant qui ne serait pas apte à rester à la direction d'une entreprise en état de redressement judiciaire. Si on se place dans la première hypothèse, la cession des droits du dirigeant malveillant, l'atteinte parait justifiée. Si on se place dans la seconde, la cession des droits du dirigeant qui ne disposerait pas des capacités techniques ou mentales pour mener à bien le redressement de son entreprise, la mesure paraît moins fondée.

    Mettant en place un mécanisme similaire, le nouvel article L 631-19-2 du Code de commerce (3) récemment introduit par la loi Macron, ne s'applique qu'en cas d'attitude malveillante des associés et actionnaires. En effet, le nouvel article permet au Tribunal de Commerce d’ordonner, au profit des personnes qui se sont engagées à exécuter le projet de plan de redressement, la cession de tout ou partie de la participation détenue dans le capital par les associés ou actionnaires, ayant refusé la modification de capital. Cette nouvelle disposition ne concerne que les entreprises de plus de 150 salariés, pour lesquelles les répercussions seront plus graves si le redressement échoue. La mesure prend réellement la forme d'une punition en sanctionnant ceux qui refusent de financer le plan et qui mettent en péril l’avenir de la société. Il aurait donc semblé souhaitable que le Conseil Constitutionnel profite de l'approbation de ce nouveau texte, pour déclarer que l'article L 631-19-1 ne présentait pas les garanties nécessaires dans la mesure où il ne précisait pas suffisamment les conditions d'application.

    Lucie PARIS

    (1) Cons. Const., Décision n° 2015-486 QPC, du 7 octobre 2015.

    (2) Vermot-Gauchy, Eric. « L'expropriation du dirigeant social, examinée à double titre par le conseil constitutionnel ».

    (3) Cons. Const., Décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015.

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  • Vers une réforme de la fiscalité des entreprises européennes

    Le 25 octobre 2016, la Commission européenne rendait un rapport indiquant les différents projets visant à réformer la fiscalité des entreprises au sein de l’Union. Ce rapport s’est principalement articulé autour de la notion d’Assiette Commune Consolidée pour l’Impôt sur les Sociétés ( ACCIS ). Cette dernière est définie par la Commission elle-même comme « un ensemble unique de règles permettant de déterminer le résultat imposable d’une société au sein de l’UE ». Par cette réforme, la Commission européenne s’attaque à différents points sensibles de l’économie européenne.

    Remédier à une trop grande diversité du marché unique en matière d’imposition sur les sociétés :

    Le cumul des 28 régimes fiscaux différents de l’Union est source d’incohérence et parfois de trop grandes différences. A titre d’exemple, le site internet compta-en-ligne, inspiré par la Lettre Vernimmen n° 138 de mars, réalise le comparatif suivant concernant l’écart entre la France et le Royaume-Uni :

    « Le même bénéfice avant impôt se traduit par un résultat après impôt de 21% supérieur outre-Manche à ce qu'il est ici, et donc par un autofinancement supérieur. Puisque le gouvernement britannique post-Brexit veut réduire le taux d'impôt sur les sociétés à 15%, le différentiel passerait alors à 29%. Même avec un taux réduit à 28% qui avait été promis pour 2017, le différentiel serait encore de 11% et pourrait remonter à 18% si le taux de l'impôt sur les sociétés tombait bien à 15% »

    Sur ce constat, il est facilement compréhensible de voir la Commission européenne se pencher sur la fiscalité des entreprises au sein du marché unique qu’est l’Union européenne.

    Grâce à l’ACCIS, les groupes d’entreprises exerçant des activités transfrontalières devront se conformer à un régime européen unique visant à déterminer leur revenu imposable de manière homogène, plutôt que de se conformer aux différents régimes nationaux où se trouve leur activité. Les groupes ainsi soumis au régime ACCIS auraient la possibilité de ne remplir qu'une seule déclaration fiscale consolidée pour l'ensemble de leurs activités au sein de l'UE.

    Les résultats imposables consolidés du groupe seraient répartis entre chacune des sociétés qui le constituent par application d'une formule simple. Cela permettra à chaque Etat membre de soumettre les bénéfices des sociétés résidentes de cet Etat à son propre taux.

    Attention cependant, l'ACCIS ne vise pas à fixer un taux d’imposition des sociétés aux différents groupes, car ce taux reste du domaine de la souveraineté nationale. Elle cherche uniquement à créer un système transparent et plus équitable pour calculer l’assiette imposable de ces entreprises. C’est cette modification qui va entraîner une réforme profonde de l’impôt sur les sociétés dans l’Union européenne.

    Lutter contre l’évasion fiscale et la double imposition :

    Pierre Moscovici, commissaire européen à l’économie a déclaré : « Jusqu’ici, nous avons fait beaucoup pour lutter contre la fraude fiscale et pour la transparence. En deux ans, nous avons mis fin au secret bancaire en Europe, institué l’échange automatique des rulings [rescrit fiscal] entre administrations, adopté une directive de lutte contre l’évasion fiscale. Nous préparons une liste des paradis fiscaux, qui doit voir le jour en 2017. »

    En effet, étant donné que l'ACCIS sera obligatoire pour les plus grands groupes au sein de l'UE, les sociétés ayant une capacité de planification fiscale importante se retrouveront dans l'impossibilité d'éviter l'imposition.

    En luttant contre la disparité énoncée précédemment, l'ACCIS permettra de limiter les régimes préférentiels ainsi que les rulings fiscaux dissimulés exploités par les fraudeurs, mis au goût du jour dans l’affaire du Luxembourg Leaks. Elle rendra en plus obsolète l’utilisation de prix de transfert.

    Concernant la double imposition, la Commission proposera un large éventail de solutions aux membres de l’Union européenne en matière de règlement des différends sur la double imposition.

    Améliorer l’environnement économique et la croissance au sein de l’Union européenne :

                   Enfin, aboutissement de ce projet, la volonté de relancer l’investissement dans l’UE de 3,4% et la croissance jusqu’à 1,2%. L’ACCIS cherche à favoriser les investissements en faisant bénéficier les dépenses de recherche et développement d’une déduction majorée. D’autre part, elle récompense le financement par fonds propres et à encadrer les entreprises avec des règles solides et enfin réduit les formalités administratives qui ralentissent les échanges.

    Ce projet est ambitieux et demandera la collaboration de tous les pays membres, mais à l’heure actuelle, il reste nécessaire pour assurer une bonne compétitivité des entreprises de l’Union européenne ainsi qu’une économie plus saine et fiable. C’est un tournant décisif pouvant réaffirmer la place de l’Union européenne dans le marché économique mondial.

    Gwenn de Chateaubourg

    Sources :

    Détails sur le Luxembourg Leaks et le ruling fiscal :

     http://www.europaforum.public.lu/fr/dossiers-thematiques/2014/ruling/index.html

    Détails sur le prix de transfert :

     http://www2.impots.gouv.fr/documentation/prix_transfert/entrep.htm

    Définition ACCIS :

    http://ec.europa.eu/taxation_customs/business/company-tax/common-consolidated-corporate-tax-base-ccctb_fr

    http://eric-verhaeghe.entreprise.news/2016/07/21/entreprises-soumises-a-233-impots/

    http://www.contrepoints.org/2016/11/07/270859-inventer-fiscalite-entreprises-intelligente

    http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/10/26/la-commission-europeenne-lance-une-reforme-majeure-de-la-fiscalite-des-entreprises_5020436_3234.html

    http://www.lemondedudroit.fr/europe-international/222165-ue-vers-une-reforme-de-limpot-sur-les-societes-.html

    http://www.compta-online.com/les-taux-impot-sur-les-societes-dans-le-monde-en-2016-ao2026

    La lettre Verminemm n°138 de mars 2016