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Le secret professionnel de l’avocat écarté sous conditions pour des mesures in futurum
- Par jurisactuubs
- Le 18/03/2024
- Dans Procédure civile
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Cass. 1re civ., 6 déc. 2023, n° 22-19.285
Il arrive parfois que la collaboration entre un avocat et un client dégénère. En effet, la profession d’avocat est basée entièrement sur la confiance entre le client et l’avocat. Dans le cadre de cette collaboration, le client peut être amené à remettre des documents ou communications confidentiels à son avocat. Cette confiance demande une protection accrue. Elle est préservée par le secret professionnel prévue dans le Code de déontologie des avocats. Cependant, il arrive que le secret professionnel rentre en opposition avec le droit de la preuve. C’est exactement cette problématique qui a été soulevé dans notre arrêt.
En l’espèce, une société avait souscrit avec un avocat une convention de prestation juridique. La société a porté plainte pour abus de confiance le 19 mars 2019. La société estime que l’avocat a « commis un détournement de clientèle et une rétention de dossiers ». Dans le cadre de ce litige, sur requête, le président du tribunal judiciaire de Toulouse prend une ordonnance le 8 octobre 2020 désignant un huissier de justice pour aller avec un expert informatique au cabinet de l’avocat « à la recherche de documents et correspondances de nature à établir les faits litigieux ». Cette visite a eu lieu le 13 novembre 2020. L’avocat conteste cette visite et assigne la société en rétractation de cette ordonnance. Il estime que cette mesure in futurum[1] est contraire au secret professionnel.
La cour d’appel de Toulouse, dans un arrêt du 10 mai 2022, donne droit à cette interprétation et décide de la rétractation de l’ordonnance ainsi que de la nullité des procès-verbaux établie lors de la visite. Elle estime que le secret professionnel empêche les mesures d’instructions prévues par l’article 145 du Code de procédure civile.
La société se pourvoit en cassation, arguant que la cour d’appel a commis une erreur en excluant d’office les documents pour cause de secret professionnel alors même que pour la société « il incombe au juge (…) de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence ».
La Cour de cassation donne raison à la société requérante et casse l’arrêt de la cour d’appel. Pour fonder sa décision elle s’appuie sur le droit à un procès équitable établi par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cet article indique que chaque partie doit être en mesure de pouvoir apporter la preuve pour défendre ses intérêts.
La Cour de cassation se fonde aussi sur l’article 145 du Code de procédure civile qui prévoit les conditions pour des mesures d’instructions in futurum. D’après ce texte, les mesures doivent être limitées dans le temps et dans leur objet ainsi que proportionnées au but recherché.
Enfin la Cour de cassation cite l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 sur le Code de déontologie de l’avocat. La Cour de cassation estime que le secret professionnel s’appliquant au document d’un dossier n’est institué que « dans l'intérêt du client (…) et non dans celui de l'avocat ».
La Haute juridiction en déduit donc que le secret professionnel de l’avocat n’est pas « un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du Code de procédure civile » pour établir la faute de l’avocat. La première chambre civile a donc privilégié le droit de la preuve face au secret professionnel. Ce dernier se retrouve largement affaibli par cette décision. Cependant cet affaiblissement est tempéré par les trois conditions que la Cour a identifié pour que les mesures in futurum soient légales. Il faut qu’elles soient « indispensables à l'exercice du droit à la preuve du requérant, proportionnées aux intérêts antinomiques en présence et mises en œuvre avec des garanties adéquates ».
Cet arrêt est dans la continuité d’une jurisprudence qui donne de plus en plus de place au droit de la preuve au détriment du secret professionnel[2] et vient aligner le secret professionnel de l’avocat sur la position de la chambre commerciale de la Cour de cassation concernant le secret bancaire[3].
Hugo SOUESME
Sources :
S. GRAYOT-DIRX, « Secret professionnel : des mesures d'instruction in futurum sous conditions », La Semaine Juridique Edition Générale, n° 50-52, 18 décembre 2023, p.146
C. HÉLAINE, « Le droit à la preuve vient-il d'achever le secret professionnel de l'avocat ? », Dalloz actualité, 12 décembre 2023, https://dalloz.ezproxy.univ-ubs.fr/documentation/Document?id=ACTU0220705
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La place du juge dans l’exécution d’une clause de résiliation unilatérale
- Par jurisactuubs
- Le 18/03/2024
- Dans Droit des contrats
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(Civ. 1re., 31 janv. 2024, n°21-23.233)
Par un arrêt de rejet en date du 31 janvier 2024, publié au bulletin, la première chambre civile de la Cour de cassation se prononce sur la place du juge dans le contrôle du motif impérieux et légitime d'une clause de résiliation unilatérale invoquée par l'une des parties à un contrat d'enseignement.
En l’espèce, un contrat conclu le 12 juin 2020 par un étudiant mineur, assisté de son père, auprès d’un établissement d’enseignement supérieur pour un cycle de deux ans, incluait la possibilité pour l’étudiant d'invoquer la résiliation de la convention à titre exceptionnel s'il justifiait d’un cas de force majeure ou d’un motif impérieux et légitime. Cette demande de résiliation devait impérativement être étayée par des documents et faire l’objet d’un examen par la direction de l’école, seule habilitée à déterminer l’existence avérée du cas invoqué par l’étudiant.
Par courrier daté du 28 septembre 2020, les cocontractants ont demandé la résiliation du contrat. L’établissement scolaire s’est opposé à cette demande et a obtenu une ordonnance d’injonction de payer la somme de 3 250 euros en principal au titre du solde des frais de scolarité. L’étudiant et son père forment opposition, et le tribunal de proximité d’Haguenau, par un jugement rendu le 9 septembre 2021[1], en premier et dernier ressort, a déclaré cette opposition recevable et bien fondée. Le tribunal a estimé que le motif impérieux et légitime était caractérisé en l’espèce.
L’établissement scolaire se pourvoit en cassation. Il reproche aux juges du fond d’avoir substitué leur propre appréciation du motif invoqué par l’étudiant à celle de l’école, alors qu'elle était la seule compétente selon les termes de la clause, constituant ainsi une violation de l’article 1103 du Code civil énonçant la force obligatoire du contrat.
Par son arrêt du 31 janvier 2024, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par l’établissement. Elle affirme que « l’application par les parties de la clause d’un contrat d’enseignement, prévoyant une faculté de résiliation dans le cas d’un motif légitime et impérieux invoqué par l’étudiant et apprécié uniquement par la direction, n’échappe pas, en cas de litige, au contrôle du juge ». Cette assertion pourrait tout à fait expliquer la publication de la décision au bulletin.
La rédaction de la clause litigieuse de résiliation accordait à l’établissement supérieur d’enseignement une place prépondérante, lui permettant de juger seule de l’existence du motif invoqué par l’étudiant. C’est dans ce contexte que l’établissement cherche, par le biais de son pourvoi, à convaincre la Cour de cassation d’imposer aux juges du fond d’adopter une lecture stricte de la clause, à défaut de la déclarer nulle.
Toutefois, selon les magistrats du Quai de l’Horloge, le juge peut intervenir dans le contrat pour apprécier le sens de la clause, lorsque les parties divergent sur son interprétation. Dans cette affaire, le juge n’avait d’ailleurs pas d’autre choix que de contrôler le motif impérieux et légitime avancé par l’élève et son père pour débloquer la situation. Ainsi, il est clairement établi que les juges du fond peuvent, dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation, se prononcer sur la mise en œuvre d’une clause de résiliation unilatérale.
Dorian GABORY
Sources :
- MICHEL Claire-Anne, « Résiliation pour un motif légitime et impérieux : l’appréciation souveraine des juges du fond », [en ligne], La quotidienne, Lexbase, février 2024, [consulté en février 2023]. https://lexbase.ezproxy.univ-ubs.fr/
- PLANCKAERT Héloïse, « L’application de la clause prévoyant une faculté de résiliation n’échappe pas au contrôle du juge », [en ligne], Revue Droit Civil, Lamyline, février 2024, [consulté en février 2023]. https://www.lamyline.fr
[1] Jurid. Prox. Haguenau, 09-09-2021, n°21/000033
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Exclusion du droit de préemption du locataire commerçant en cas de vente sur saisie immobilière
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- Le 15/03/2024
- Dans Procédure civile d'exécution
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Civ. 3e, 30 nov. 2023, n° 22-17.505
Dans un arrêt rendu le 30 novembre 2023, la Cour de cassation précise les conditions d’applications du droit de préférence du locataire en cas de saisie-vente immobilière.
En l’espèce, par un jugement d’adjudication en date du 16 mai 2019, rendu sur des poursuites de saisie immobilière engagées par une société A contre le couple, propriétaire d’un local commercial donné à bail à une société B. Le local loué avait été vendu sur les poursuites d’un créancier du bailleur. Le local loué a été adjugé à une société C.
Le 29 mai 2019, la société B, qui est la société locataire, a déclaré exercer son droit de préemption sur le local adjugé. Dans le même temps, la commune, le 6 juin 2019, a déclaré exercer son droit de préemption urbain prévu aux articles L.210-1 et suivants du Code de l’urbanisme. La société B locataire, a alors demandé au juge de l’exécution de juger irrégulière cette déclaration, intervenue postérieurement à la sienne, et d’être déclarée adjudicataire au lieu et place de la société C.
La cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 31 mars 2022[1], a rejeté la demande de la société B au visa de l’article L.145-46-1 du Code de commerce[2] qui accorde un droit de préférence aux locataires commerçants ou artisans en cas de vente des locaux loués. La vente par adjudication du bien ne change en rien cette disposition d’ordre public, mais elle ne peut s’appliquer dans ce cas spécifique de vente.
La Haute juridiction a alors confirmé la décision de la Cour d’appel et a conclu que les dispositions de l’article précité sont d’application, seulement lorsqu’il s’agit d’une vente volontaire de la part du propriétaire et non en cas de ventes faites d’autorité de justice et, qu’en l’espèce il s’agit d’une vente de ce type qui contraint donc l’application classique du droit de préférence au locataire occupant le local au moment de la vente. Cet arrêt est conforme aux intentions de l’article L.145-46-1 du Code de commerce, qui vise à protéger le locataire. La Cour de cassation a aussi jugé bon d’écarter la QPC[3] que le locataire voulait faire poser au Conseil Constitutionnel dans cette affaire[4].
Le texte de l’article L.145-46-1 du Code de commerce prévoit que lorsque le propriétaire envisage de vendre le local, il doit en informer le locataire et que cette notification vaut offre de vente au prix et conditions indiqués. La vente sera ensuite réalisée dans les conditions et délais donnés par le texte. Ce texte peut aussi s’appliquer à des locaux à usage de bureaux, bien que ce ne soit pas le cas pour des locaux à usage industriel.
Le droit de préférence légal du locataire commercial s’applique à toute vente d’un local à usage commercial ou artisanal intervenue depuis le 18 décembre 2014. Cette loi récente de 2014 institue une protection des commerçants et des artisans qui peuvent se voir léser lorsque le propriétaire du local souhaite vendre. Bien que cette protection ait un large spectre, elle ne s’étend pas jusqu’aux ventes par adjudication. Il est logique qu’une vente comme celle-ci ne peut être préférée au profit du locataire puisque le prix n’est pas connu avant les enchères publiques, le locataire ne peut donc pas s’engager en ne connaissant pas le montant. Pour autant, s’il avait été question d’une vente de gré à gré aux conditions et prix fixés par un juge-commissaire, les deux parties auraient pu s’entendre sur une éventuelle vente.
Ce droit n’est pas non plus effectif lors d’aliénations autres que la vente, qu’elles soient à titre gratuit ou à titre onéreux.
Cette solution n’est pas nouvelle puisqu’un arrêt affirmait déjà cela l’année dernière[5]. La jurisprudence a même considéré que le droit de préemption bénéficiant au titulaire du bail commercial n’est pas applicable dans le cadre d’une vente de gré à gré d’un actif immobilier dépendant d’une liquidation judiciaire[6].
Pour autant, le droit de préemption urbain s’applique tout de même en cas de vente sur saisie immobilière.
Léna RABILLARD
SOURCES :
-BARBIER J-D., VALADE S., « Exclusion du droit de préemption du locataire commerçant en cas de vente sur saisie immobilière », (en ligne), Dalloz actualité, Dalloz, 11 décembre 2023, (consulté le 20 janvier 2024)
-« Le droit de préférence du locataire commercial écarté en cas de vente sur saisie », (en ligne), Immobilier, Francis Lefebvre, 19 décembre 2023, (consulté le 20 janvier 2024)
-LAPORTE C., « Saisie immobilière – Adjudication d’un local commercial », (en ligne), Lexis 360, Procédures n°2, Février 2024, comm. 32, (consulté le 7 février 2024)
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Le principe de nécessité et de proportionnalité des peines et des délits n’interdit pas le cumul de sanctions de natures différentes.
- Par jurisactuubs
- Le 13/03/2024
- Dans Droit pénal
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(Civ. 2e, 18 janv. 2024, FS-B, n° 23-12.483)
Dans un arrêt rendu le 18 janvier 2024, la Cour de cassation refuse de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité, en application du principe de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines.
En décembre 2019, une caisse d’allocations familiales a assigné un bénéficiaire pour fausse déclaration en vue d’obtenir une prestation, délit réprimé par l’article 441-6 du Code pénal.
Par jugement en date du 17 mars 2021, le tribunal correctionnel de Grenoble l’a condamné à une amende de 1 000 euros assortie d’un sursis.
En se fondant sur l’article L.114-7 du Code de la sécurité sociale, la caisse d’allocations familiales lui a notifié une pénalité financière de 200 euros, suivie d’une contrainte de 220 euros correspondant à la pénalité financière majorée de 10 %.
Dans ce contexte, l’allocataire a soumis une question prioritaire de constitutionnalité à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, demandant son renvoi au Conseil Constitutionnel.
Cette démarche vise à éclaircir la conformité de l’article L. 114-7 du Code de la sécurité sociale, qui réprime des faits similaires à ceux couverts par l’article 441-6 du Code pénal, avec le principe de nécessité des délits et des peines, ainsi qu’avec le principe de proportionnalité des délits et des peines.
Après avoir examiné la demande, la Haute juridiction a décidé de ne pas renvoyer cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, considérant que celle-ci est dépourvue de caractère nouveau et sérieux.
Par principe, le Conseil constitutionnel retient le non-cumul des sanctions de même nature1, conformément au principe de nécessité des délits et des peines, prévu par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen2.
Toutefois, la Cour de cassation rappelle que ce principe ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits, commis par une même personne, puissent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente, en application de corps de règles distincts3.
Or, l’article L 147-17 du Code de la sécurité sociale envisage une pénalité financière, tandis que l’article 441-6 du Code pénal prévoit une peine d’amende, une peine d’emprisonnement, ainsi que des peines complémentaires en cas de fausse déclaration dans le but d’obtenir une allocation.
Ces sanctions revêtant une nature différente, le grief tiré d’une méconnaissance du principe de nécessité des délits et des peines est écarté.
Deuxièmement, les juges de cassation rappellent une position constante du Conseil constitutionnel. Dans l’éventualité où deux procédures engagées conduisent à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité des délits et des peines implique que le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues. Dès lors, il incombe aux autorités administratives et judiciaires compétentes de veiller au respect de cette exigence4.
L‘article L.114-17 du Code de la sécurité sociale prévoit que lorsque l’intention de frauder est établie, le montant de la pénalité est fixé à 4 fois le plafond mensuel de la sécurité sociale. Par ailleurs, l’article 441-6 du Code pénal sanctionne ce comportement de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
En l’espèce, le cumul des montants globaux des sanctions infligées est nettement inférieur au montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues.
Par conséquent, cette question prioritaire de constitutionnalité, dépourvue de caractère sérieux, n’est pas transmise au Conseil constitutionnel.
Ayant une portée pédagogique, cet arrêt réaffirme que le principe non bis in idem prévoit simplement qu’en cas d’une seule infraction, une seule sanction de même nature est envisageable. En revanche, il autorise, le cumul de sanctions de natures différentes.
Eva THEBAULT.
SOURCES :
- Civ. 2e, 18 janv. 2024, FS-B, n° 23-12.483
- D. GOETZ, « Fraude sociale : non-transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel », Dalloz Actualité, 30 janvier 2022. Disponible sur Fraude sociale : non-transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel - Pénal | Dalloz Actualité (dalloz-actualite.fr)
1 CC 3 déc 2021 QPC n° 2021-953
2 Article 8 de la Déclaration des Droit l’Homme et du Citoyen : "la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée".
3 QPC 21 nov 2021 n° 2021-942
4 DC n°89-200 28 juillet 1989